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Le vrai coût d’un éclatement de la zone Euro

Publie le lundi 20 décembre 2010 par Open-Publishing

Par Franck Dedieu

Austérité, scission, éclatement, implosion : L’Expansion examine les quatre scénarios auxquels risque de conduire l’attaque des marchés contre la zone euro. Dans tous les cas, l’avenir proche s’annonce sombre.

Le logo de l’euro devant la Banque centrale européenne à Frankfort.
Reuters / Alex Grimm
Et de deux ! Après la Grèce, c’est l’Irlande que les marchés financiers étaient sur le point d’asphyxier, si ses partenaires de la zone euro n’avaient pas volé à son secours, le 28 novembre. "Deux Etats à genoux, contraints de mettre leurs finances publiques au carré. Il reste encore quatorze cibles dans la zone euro", ironise un investisseur. Son décompte effronté ne fera certainement pas rire les gouvernements européens, bien forcés, pour la première fois, d’envisager le pire. Le président de l’Union, Herman Van Rompuy, le reconnaît sans détour : "L’euro joue actuellement sa survie." Le ministre des Affaires étrangères portugais, Luis Amado, entrevoit même comme "solution de rechange [...] de quitter l’euro". Austérité, scission, éclatement, implosion ? L’Expansion examine quatre scénarios de crise parmi les plus plausibles et chiffre leur coût, avec l’aide des économistes de la Société générale. Verdict : la route ressemblera plus à un chemin de croix qu’à un tapis de roses, du plus vraisemblable (l’austérité pour tous, 45 % de probabilité selon l’institut Oxford Economics) au plus extrême (seulement 5 % de probabilité).

Scénario 1 : La zone euro s’engage dans l’austérité

Après la dette, la diète. Pour présenter des comptes publics honorables aux marchés financiers, toutes les capitales choisissent la voie de la rigueur budgétaire. Les bons élèves allemand, autrichien et néerlandais tiennent avec zèle leurs promesses d’économies. Les cancres irlandais et grec, avec leurs compagnons d’infortune portugais et espagnol, sacrifient leur croissance sur l’autel de promesses trop ambitieuses. Fonctionnaires en moins, impôts en plus, salaires en berne, ils connaissent le refrain. "Ces quatre maillons faibles de la zone euro se condamnent à au moins cinq années de récession", estime l’économiste Jean-Luc Gréau.

Au milieu de la classe, la France donne des gages d’austérité en pleine campagne électorale pour garder son rang. Et, pour la première fois de son histoire budgétaire, elle tient parole. Le prix à payer : "1,5 % de croissance au mieux pendant au moins trois ans", prédit Véronique Riches-Flores, responsable de la recherche thématique à la Société générale et auteure de l’étude. Son homologue de l’OFCE, Xavier Timbeau, alourdit même la peine : "Pas de croissance, des inégalités qui explosent, des services publics exsangues, une déflation à la japonaise pendant de longues années." Au bout du compte, une décennie perdue pour gagner la faveur des marchés.

Scénario 2 : L’Allemagne revient au mark

Nein !Cette fois, la chancelière allemande Angela Merkel ne paiera pas. Incapables d’administrer à plus haute dose la potion d’austérité, les gouvernements portugais et espagnol réclament un gros chèque au fonds européen de stabilité financière : 65 milliards d’euros pour Lisbonne, 410 milliards pour Madrid, selon les calculs des experts de Natixis. Une belle somme ! Face à l’impéritie méditerranéenne, l’Allemagne et ses meilleurs amis (Autriche, Pays-Bas, Finlande) quittent l’euro pour fonder une zone mark promise à la stabilité des prix et à la vertu budgétaire. Et les autres ? Ils forment une "union latine", avec pour monnaie un "euro-sud". Les portes claquent, les partenaires se déchirent.

Ce vaudeville monétaire enflamme l’imagination de quelques économistes très sérieux. Christian Saint-Etienne, du Conservatoire national des arts et métiers, fait ses calculs : "Dans cette hypothèse, l’euro-sud se déprécie du jour au lendemain. En France, les exportateurs regagnent des parts de marché. Les touristes affluent vers l’Italie, la Grèce et l’Espagne. Les entreprises peuvent même se permettre de lâcher des augmentations à leurs salariés. La zone peut dégager 2,5 % de croissance."

Un peu d’inflation, aussi, mais tant mieux : elle permettrait aux Etats du Sud d’alléger leurs dettes. Et, cerise sur le panettone, la BCE siégerait à Paris, la France deviendrait le point d’ancrage de la zone, et de nouveaux billets ornés d’effigies latines comme Vasco de Gama, Michel-Ange ou Delacroix remplaceraient les coupures actuelles illustrées par des figures géométriques sans âme. De l’espoir dans un premier temps, mais des larmes ensuite. Les marchés ne manqueraient pas de brocarder cette zone "Club Med" et exigeraient des taux d’intérêt usuraires pour prêter leur argent à des Etats olé olé. Selon la Société générale, il faudrait même acquitter un loyer de l’argent de 13 % pour financer les déficits. A ce tarif, les gouvernements seraient bien sûr pris à la gorge, et les entreprises ne pourraient plus investir. Seule solution pour Jacques Sapir, directeur d’études à l’Ecole des hautes études en sciences sociales : "Obliger les banquiers à détenir, voire à acheter, des obligations de la zone euro-sud pour éviter la dépréciation." Avec quelle arme ?

Scénario 3 : Les petits pays quittent l’euro

De guerre budgétaire lasse, les Etats les plus fragiles se résolvent à quitter la zone euro. Les Portugais ressortent leurs escudos, les Espagnols, leurs pesetas, les Italiens, leurs lires. Les Grecs reviennent à la drachme... pour entrer dans le drame. "Leur monnaie s’effondre de 40 à 80 %. Cette dévaluation compétitive peut faire les affaires des exportateurs, mais ces Etats ne pourraient plus rembourser leurs dettes contractées en euros, et ils verraient leur inflation s’envoler", prévient Véronique Riches-Flores. Et combien coûterait le retour à la monnaie nationale ? "Entre l’impression de nouveaux billets, la mise à jour des systèmes informatiques et comptables des distributeurs, au moins 0,5 à 1 % du PIB", calculent les experts d’Oxford Economics.

Quid de la zone euro restreinte aux pays de l’élite ? Comme dans les grandes crises, le premier craquement se produirait dans le bilan des banques. Selon les sinistres pointages de la Deutsche Bank, les établissements français et allemands détiennent 595 milliards d’euros de créances publiques et privées sur la Grèce, le Portugal, l’Irlande et l’Espagne. "Perdre la moitié de ces engagements, voire les deux tiers, équivaudrait à dix fois le choc des subprimes", annonce Xavier Timbeau. Lestés de telles pertes, les établissements de crédit ne feraient pratiquement plus de prêts aux entreprises, priées de remettre à plus tard leurs investissements. Dans l’industrie, elles subiraient aussi les effets dévastateurs d’une lire italienne de combat. Les agriculteurs français ne feraient pas le poids face à leurs compétiteurs espagnols requinqués - au moins les deux premières années - par une peseta dévaluée. Toujours selon les projections de la Société générale, les exportations françaises perdraient 30 % en trois ans, sur fond d’un euro à 1,90 dollar (+ 45 % par rapport à aujourd’hui) et d’un CAC 40 en baisse de 40 %. Et inutile de compter sur les pouvoirs publics pour relancer la machine. Dans l’univers de l’euro fort, l’Allemagne veillerait au grain, avec ce mot d’ordre : pas de déficit excessif. Une sorte de double peine économique frapperait la France, placée entre le marteau des pays à monnaie faible et l’enclume germanique.

Scénario 4 : L’euro implose

La colère monte dans les capitales du Sud acculées à la rigueur. Un grondement continu se fait entendre dans l’opinion publique allemande, fatiguée de signer des chèques en blanc à des Etats laxistes. Chacun veut recouvrer sa liberté monétaire. Dont acte : les devises nationales font leur retour dans les porte-monnaie. "Très vite, un processus mortifère de babélisation se met en marche : contrôle des changes aux frontières, spéculation monétaire, protectionnisme économique. La fin d’un rêve monétaire se double d’une défaite politique majeure. La construction européenne s’effondrerait par pans successifs", frémit d’avance Yves-Thibault de Silguy, ancien commissaire européen chargé de préparer le passage à l’euro de 1995 à 1999, aujourd’hui vice-président du conseil d’administration du groupe de BTP Vinci. La récession serait sévère : "L’activité dans la région baisserait de 2 % en 2011, de 3 % en 2012, et stagnerait en 2013", selon Oxford Economics.

Et la France ? "Une catastrophe. Si le "nouveau nouveau franc" décidait de s’arrimer au mark, comme dans les années 80, Paris adopterait la rigueur, avec, à l’arrivée, davantage de chômage et pas un centime de croissance", affirme Karine Berger, directrice des études économiques à Euler Hermès. La Société générale chiffre les dégâts à 2 800 chômeurs supplémentaires par jour pendant trois ans. Mais la France pourrait aussi laisser filer sa monnaie. Fini les budgets riquiqui, au feu la BCE... Le pronostic de Jean-Louis Mourier, économiste au cabinet Aurel Leven, dégrise vite : "Dans ce cas, des dévaluations compétitives feraient gagner 3 à 4 % de croissance les deux premières années. Mais, après, le franc ferait office d’épouvantail sur les marchés. Une douce pénurie s’installerait, comme dans les années 50." La France meublée en Formica et roulant en Simca, avec une essence à 1,80 euro le litre - pardon, 14 francs - à cause du renchérissement des produits importés, dont le pétrole.

Un scénario intermédiaire consisterait à faire de l’euro une monnaie commune, et non unique. "L’euro et la devise nationale coexisteraient. Le premier pour les transactions internationales, la seconde pour les particuliers. Franc, mark, peseta et consorts évolueraient entre deux bornes autour d’une parité centrale pour donner de la souplesse à chaque pays", imagine Dominique Plihon, professeur à l’université Paris XIII et président du conseil scientifique d’Attac. Retour aux années 90, cette fois, avec leur chômage de masse et leur croissance faiblarde.

Où en sera l’économie française dans trois ans si...

... L’austérité s’impose à toute la zone euro(1) ... L’Allemagne revient au mark ... Les petits pays quittent l’euro ... L’euro disparaît(2)

Evolution du PIB entre aujourd’hui et fin 2013

+ 4,5 % + 9 % - 9 % - 14 %

Variation des prix entre aujourd’hui et fin 2013

+ 5 % + 17 % - 5 % - 8 %
Taux d’intérêt à long terme fin 2013

3,5 % 13 % 1 % 0,5 %

Taux de chômage fin 2013

9 % 7 % 16 % 20 %

Evolution des exportations entre aujourd’hui et fin 2013

+ 15 % + 30 % - 30 % - 30 %

Euro par rapport au dollar fin 2013

1,40 0,80 1,90 -

CAC 40 fin 2013

4 000 points 5 200 points 2 200 points 2 000 points

Source : Société générale. (1) Scénario central de la Société générale. (2) Hypothèse d’un arrimage du franc au mark.

ooOOoo

Source : http://www.lexpansion.com/economie/le-vrai-cout-d-un-eclatement-de-la-zone-euro_245288.html