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Les microsociétés des jeunes dans les quartiers d’habitat social
Publie le mardi 26 décembre 2006 par Open-Publishing3 commentaires
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À l’heure où se multiplient les réflexions sur le communautarisme, le risque d’ethnicisation du lien social et la question de l’intégration des jeunes issus de l’immigration, nous proposons dans cet article de nous centrer sur le phénomène de « microsociété » et ses effets sur l’évolution des sociabilités des « jeunes de la cité » de 15 à 25 ans.
Depuis la création des grands ensembles dans les années 1960, les modes de socialisation des adolescents vivant dans les quartiers ont changé. Face à la crise sociale et au chômage, les politiques publiques ont visé à transformer les effets négatifs de ces phénomènes. Cependant, pour beaucoup de jeunes, en particulier issus de l’immigration, la cité s’est refermée sur elle-même et la bande de jeunes est devenue un lieu de refuge. La réflexion proposée est le résultat d’une recherche psychosociologique menée dans un quartier d’habitat social de la banlieue parisienne et d’interventions auprès de jeunes, de leur famille, d’élus politiques et de professionnels des politiques publiques de la prévention de la délinquance et de la sécurité. Lors de cette recherche qui s’est étalée sur huit années nous avons pris le parti d’une approche compréhensive.
LES MICROSOCIÉTÉS DE SURVIE : UN PHÉNOMÈNE DES ANNÉES 8O
Lors de nos interventions dans des quartiers d’habitat social très différents, nous avons identifié un phénomène social, apparu dans les années quatre-vingt, et qui aujourd’hui prend des formes différentes, spécifiques selon les contextes, les ressources locales et les projets politiques des villes, mais qui présente cependant des caractéristiques communes.
Face au chômage et à l’effacement du militantisme des classes moyennes, les sociabilités de quartier ont évolué très rapidement et l’on observe que des groupes de jeunes adolescents se réfugient dans des lieux d’exclusion sociale. Pour les générations précédentes, nombreux étaient les jeunes de quartiers populaires qui appartenaient à des bandes et qui cultivaient des histoires « héroïques », celles de leur quartier et de leur groupe. La bande était à la fois un endroit d’initiation, d’appartenance, de confrontation et de transgression de la loi. À l’entrée dans la vie adulte, la majorité quittait le groupe pour fonder leur propre famille et travailler, alors que quelques-uns s’installaient davantage dans la grande délinquance.
Dans les années 1980, les bandes de jeunes représentent un lieu de repli et de refuge. Face aux difficultés pour occuper une position sociale dans la société, l’espace public de la cité devient leur « territoire » de vie quotidienne. De nouvelles valeurs et de nouvelles façons d’être ont émergé. Un des jeunes nous dira : « la cité c’est comme un élastique, tu vas le plus loin possible, mais tu reviens toujours au centre. »
La cité attire et inquiète les jeunes tout à la fois. Devenir « un jeune de la cité » constitue un risque d’échec social ; à cette époque, tous expriment le souhait de devenir « comme les autres », d’être salarié et de pouvoir s’installer.
Le chômage et l’impossibilité d’exercer des rôles sociaux valorisants, la perte d’influence dans ces quartiers des associations et des partis politiques, la présence massive des drogues dans la vie de ces jeunes sont autant de facteurs qui contribuent à la dégradation de la situation sociale. Progressivement, ces adolescents se reconnaissent dans une condition sociale spécifique, se nomment et sont nommés « les jeunes de la cité ». Ils développent des modes de vie et des valeurs en réaction au sentiment de rejet qu’ils éprouvent par rapport à la société. Ils constituent, pour les « autres » habitants, un objet de stigmatisation, qui les aide à mettre à distance leurs propres angoisses concernant le devenir de leurs propres enfants.
Le développement d’économies souterraines et l’argent venu des trafics, en particulier celui de la drogue, ne se limitent pas à un phénomène socio-économique, mais sont un élément central d’un processus de repli identitaire.
Les adolescents confrontés à l’exclusion sociale n’ont pas pu faire l’épreuve du moratoire psychosocial, décrit par Erikson (1978) et n’ont pas pu vivre le processus d’individualisation leur permettant de se reconnaître comme sujet social. Ils ont créé des microsociétés de repli, « contre-dépendantes » des valeurs de la société dominante. Ils ont par la création de liens symbiotiques forts tentés de mettre à distance les images négatives produites par leurs échecs. Cette situation les a conduits à s’inscrire dans des modes de vie caractérisés à la fois par la chronicité et l’immédiateté. Il leur est très difficile de se projeter dans le futur et de développer des stratégies pour se réaliser personnellement. Progressivement, les leaders héroïques ont été supplantés par des leaders « patron » des trafics et de la dette au sein de la cité. Être dans « le double » signifie bénéficier d’un emploi légal et être le leader de l’économie souterraine.
Les leaderships ont fait souvent l’objet d’affrontements entre les jeunes et parfois entre les familles. Face à l’exclusion sociale, et parfois à la discrimination, les familles sont souvent devenues les leaders de ces microsociétés de survie. Les trafics de drogues notamment sont des enjeux de pouvoir entre les jeunes mais aussi leurs familles. Ainsi, dans la cité où nous avons travaillé, les pères issus du même village d’Algérie se sont battus pour obtenir le « statut de patron ». Face aux dangers et à la mort des jeunes, les leaders du marché, après avoir vendu de l’héroïne dans la cité, l’ont protégée de cette distribution et ont continué à écouler le produit à l’extérieur. Après avoir accumulé de l’argent, ils ont prohibé la drogue dure et ont organisé la revente de matériels illégalement acquis. Ils sont aussi devenus les « banquiers » de la cité ; cette fonction de prêt auprès de jeunes et de leurs familles leur a permis d’exercer un pouvoir important.
Lors de nos premières enquêtes, les distinctions entre l’« argent propre » et l’« argent sale » étaient faites par les jeunes et par leurs familles. Mais au fur et à mesure de nos travaux, nous avons constaté la perte de sens de cette distinction et la participation importante des ressources illégales aux budgets familiaux.
Ce phénomène contribue fortement au sentiment d’indignité exprimé par ces habitants et entraîne une dévalorisation personnelle et collective. La « protection » des leaders internes à la cité crée une dépendance, et le sentiment de ne plus être autonome comme les salariés des classes moyennes.
L’inclusion au sein des microsociétés de survie constitue pour tous une très grande violence, car elle signifie à la fois une protection par le groupe et une dépendance à l’égard de ce même groupe ainsi qu’une assignation à territoire très forte. Les jeunes filles et les jeunes garçons vivent ce risque très différemment. Trop souvent ont été mises en exergue les conduites des jeunes garçons alors que les modes de réaction et de défense des filles ont été passés sous silence et ont fait l’objet de moins de stratégies d’intervention.
MICROSOCIÉTÉ DE SURVIE ET EXCLUSION SOCIALE
Aujourd’hui, les adolescents, vivant dans des familles victimes de l’exclusion sociale, sont attirés par ces microsociétés de survie dans lesquelles leurs frères aînés ont souvent grandi. Les valeurs affirmées de respect et de lutte contre l’injustice, les modes de vie quotidiens au sein de la cité, la reconnaissance des autres, influencent la socialisation de ces jeunes. Ils sont à la fois présents dans leur famille, dans l’espace de la cité et souvent dans l’univers scolaire. Dans chaque espace, ils sont confrontés à des codes et des autorités très différents.
Face à cette situation, de nombreux jeunes ont des attitudes adaptatives et offrent une image attendue, selon les interlocuteurs, afin d’en recueillir les bénéfices escomptés. Ceci a des conséquences très importantes sur la construction de leur identité et sur leur possibilité d’accéder à une autonomie personnelle.
Ces « changements de rôle » les empêchent d’avoir une conscience réflexive et unitaire d’eux-mêmes et ne leur permettent pas d’envisager leur destin individuel. Ainsi, la réponse à la demande des professionnels de définir « leur projet » est très difficile, car leur rapport au temps et leur dépendance aux autres ne permettent pas une énonciation claire de ce projet.
Aujourd’hui, le rapport de ces jeunes exclus aux représentants des institutions est très complexe. Ils sont à la fois dans un rapport d’utilisation et d’agressivité vis-à-vis d’eux. Ceci est significatif de leur frustration et de leur mécanisme de défense pour affirmer et revendiquer une condition spécifique face à l’exclusion sociale. Ainsi, la lutte contre les discriminations peut venir conforter les mécanismes de défense.
Ces dernières années, les responsables politiques et sociaux ont mis en place de nouveaux statuts professionnels pour favoriser l’inscription progressive de ces jeunes dans des emplois salariés. Cependant, il existe plusieurs dérives possibles : aujourd’hui, certains d’entre eux ne sont plus employés pour leur compétence professionnelle mais pour leur capacité à « maintenir la paix sociale » dans le quartier. Ceci a pour conséquence d’éloigner les professionnels qualifiés de leur vie quotidienne et de leur famille ; ce processus contribue ainsi au renfermement de la cité sur elle-même.
L’analyse au cas par cas des situations locales est nécessaire pour créer des lieux de transition, favorisant la sortie des jeunes de ces microsociétés. Les nouveaux statuts peuvent y contribuer s’ils sont fortement accompagnés et s’ils n’ont pas pour mission prioritaire de faire « tampon » entre les microsociétés et la société. L’emploi actuel des aides-éducateurs à l’école, des médiateurs sociaux ou des adjoints de police constituent dans cette perspective un enjeu prioritaire.
L’école, aujourd’hui, pour tous les adultes et pour les enfants est source d’un grand investissement. Dans tous nos entretiens, réussir à l’école représente une valeur importante. Cependant, certains adolescents commencent à estimer qu’ils « ne s’en sortiront pas » par l’école et par le travail et visent dès l’âge de douze ou quatorze ans à construire leur place au sein de la microsociété, pour tenir un rôle avantageux dans les relations sociales et économiques. L’argent est à la fois une valeur réelle et symbolique de la réussite. Les modes d’accès à l’argent sont de plus en plus souvent appréhendés en fonction des risques encourus et rarement par rapport au produit d’un travail légal. La reconnaissance des rôles et des statuts, et de leur fonction pour pouvoir exister comme citoyen autonome, est parfois très éloignée de leurs représentations. Ceci nécessite, aujourd’hui, non seulement un travail pédagogique mais aussi la création de modalités d’intervention qui permettent à ces jeunes d’éprouver « la valeur » d’une citoyenneté autonome et la dignité que cela procure en tant que sujet social.
Créer les conditions de reconnaissance du « tiers public » au sein des quartiers et promouvoir des espaces éducatifs publics deviennent des enjeux pour lutter contre les replis vers des microsociétés.
UN ENJEU DÉMOCRATIQUE : FAVORISER L’ACCÈS À L’AUTONOMIE PAR L’EXERCICE DE LA CITOYENNETÉ
L’analyse du fonctionnement des microsociétés met en évidence des solidarités, des protections, mais aussi des rapports de domination. Le départ progressif des professionnels qualifiés, représentant les institutions, de certains quartiers risque d’accentuer la difficulté du rapport à la loi. Il apparaît donc important de renforcer cette présence afin d’aider à la création de solidarités entre les habitants face à l’exclusion sociale. Ces actions supposent une volonté politique pour permettre l’exercice des droits sociaux et politiques.
De nombreuses municipalités, en relation avec les associations locales et les représentants des institutions, développent des travaux collectifs liés aux problèmes rencontrés par les habitants. Ainsi, la création de « Maison de parents », d’associations locales, pour lutter contre les violences, et de réseaux collectifs de santé, s’avèrent être des initiatives de coopération intéressantes pour lutter contre le repli et l’isolement.
Nous avons pu observer la place qu’occupait l’école et ce qu’elle représentait pour les parents. Lors d’une intervention menée à Sarcelles dans un collège, ceux-ci ont marqué l’intérêt porté à la réussite scolaire de leurs enfants mais aussi au rôle de socialisation que devait jouer l’institution scolaire. Progressivement, les parents tiennent une autre place et instaurent d’autres modes d’échange avec les enseignants, davantage dans le partage de responsabilités à l’égard de leurs enfants. L’établissement de coopération avec les parents, mais aussi avec l’ensemble des institutions éducatives du quartier, favorise la création d’une instance adulte pouvant constituer des repères et des identifications pour les enfants et les adolescents. Les coopérations au quotidien, entre les représentants des institutions, les adultes et les jeunes, représentent une modalité centrale pour lutter contre les ruptures et les replis défensifs au sein des quartiers.
Face au sentiment d’indignité et de dévalorisation ressenti par ces jeunes, il est nécessaire de créer à la fois des possibilités d’accès aux droits communs et de mener avec eux des débats sur les problèmes qui, aujourd’hui, s’énoncent en termes d’identité et de place dans la société. Ainsi, des questions telles que « comment peut-on être de croyance musulmane et être républicain » s’expriment lors des discussions. La réflexion collective et nos capacités à répondre à ces interrogations sont des priorités. Au-delà de l’échange, ces jeunes cherchent non seulement à trouver leur place sociale, mais aussi leur place de citoyen.
Messages
1. Les microsociétés des jeunes dans les quartiers d’habitat social, 26 décembre 2006, 16:52
INTERESSANTE ETUDE.
JE VOUS CONSEILLE LE LIVRE D’ANTOINE SFEIR et RENE ANDRAU :
"LIBERTE, EGALITE, ISLAM" (Editions Tallandier)
Michèle
1. Les microsociétés des jeunes dans les quartiers d’habitat social, 26 décembre 2006, 19:27
Ha michèle dès que ça parle d’islam ça l’émoustille la friponne...Etonnant qu’elle ne se soit pas encore convertie...
2. Les microsociétés des jeunes dans les quartiers d’habitat social, 27 décembre 2006, 17:50
J’ignore qui se cache derrière ce commentaire "non signé"
mais le vocabulaire qui me concerne : ...émoustille...fripponne
s’harmonise mal avec ma foi chrétienne
Michèle