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Lettre à Florence

Publie le jeudi 16 juin 2005 par Open-Publishing
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de Jean Luc Porquet

Chère Florence,
ce petit mot pour te mettre au parfum. C’est qu’il s’en est passé des choses, ici, durant tes 157 jours de détention ! D’abord, tes collègues n’ont peut-être pas osé t’en parler, mais ton nouveau patron s’appelle Rothschild. Edouard de, de son prénom. C’était dans l’air avant ton départ, mais là, ça y est. Pas d’inquiétude : même sous la férule du grand capital, à "Libé", la liberté reste entière, la preuve, c’est qu’au rebours de toutes les règles commerciales July s’est permis d’engueuler copieusement la moitié de ses lecteurs, ceux qui avaient osé voter non au référendum. Des masochistes, xénophobes, embobinés par une poignée de menteurs, de cyniques et d’incompétents, pas moinsse ! On peut toujours tout écrire, à "Libé", c’est rassurant.

A ce propos, un conseil : pas un mot sur ce que tu aurais voté si tu avais pu. Tes amis sont tous réjouis de te voir, unanimes dans la joie des retrouvailles, mais voilà des jours qu’ils ne se parlaient plus. Tu t’en apercevras bientôt : il existe une nouvelle ligne de démarcation, invisible à première vue mais en béton. Celle qui sépare les ouiiste des nonistes : les premiers ne pardonnent pas aux seconds d’avoir coulé la Constitution européenne. Et les seconds commencent à nourrir un gros complexe de culpabilité des familles. Car la France n’existe plus Elle est au ban des nations. Son président, le grand échalas qui l’a embrassée sur le tarmac de Villacoublay, n’est plus qu’une enveloppe vide qui s’agite au vent. Il n’a plus aucun pouvoir ? Sarkosy, le ministre de l’Intérieur. Oui, il est redevenu le premier flic de France. Tout en gardant l’UMP ! Je sais, c’est fou, mais c’est comme ça. Des tas de choses ont changé. Gaymard, par exemple. Quand tu es partie, il était ministre des finances.

Il n’existe plus. Une histoire de mètres carrés. On te racontera. Douste, que tu as vu dans l’avion du retour, n’était pas là pour ta santé : il est devenu ministre des affaires étrangères. Tout a changé, tout ! Les impôts : c’est décidé, ils ne baissent plus. Le Pape : il continue à balancer les mêmes salades sur le sida et les préservatifs, mais il s’appelle maintenant Benoît XVI. Dechavanne passe tous les soirs à la télé. Pasqua est encore en liberté. Le lundi de Pentecôte ressemble à un mercredi des Cendres. On n’a plus de nouvelles de ce type qui nous faisait rire autrefois, "la route est droite mais la pente est forte", son nom m’échappe, parti sans laisser d’adresse. Il n’y a plus un sou dans les caisses, et le premier ministre Villepin (oui, le poète !) cherche à vendre tout ce qui peut se vendre, Gaz de France,, les centrales nucléaires, les routes nationales, si tu as une idée d’un truc public à vendre, n’hésite pas.

Que te dire encore ? On est en guerre. contre le chômage. C’est Chirac qui l’a dit. Oui, ça recommence. Le chômage est redevenu la mère de toutes les priorités. Ça lui a pris comme ça. Villepin a inventé la période d’essai de deux ans, ah, ah ! Excuse-moi, c’est nerveux. Il y a deux millions et demi de chômeurs. Plus d’un million d’érémistes. Rien n’a changé. Tout peut changer. Rien ne va changer. On n’en peut plus. Oui, on est à bout. Il nous faudrait un soutien. Une cellule d’aide psychologique.

Tu avais l’air tellement en forme sur le tarmac. Solide, debout, sur tes deux jambes, bien dans ta peau. Te voir ainsi, ça nous a remonté le moral. Merci.

Le Canard Enchainé du mercredi 15 juin 2005

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