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Mes 15 raisons de voter non

Publie le samedi 28 mai 2005 par Open-Publishing
5 commentaires

de Pierre Saly historien

1) Se prononcer sur une texte de 191 p. sur deux colonnes (15 fois plus long que la constitution de la 5e République, déjà complexe), extrêmement technique et juridique, plein de détails qui n’ont rien à faire dans une constitution (jusqu’à l’orthographe de la langue hongroise et de la langue lettone ! - p. 191) ? De qui se moque-t-on ? Demander l’approbation d’un texte que pas un citoyen sur mille ne pourra lire c’est le contraire de la démocratie. C’est plutôt quelque chose qui ressemble au chèque en blanc. Donc je vote NON car j’aime comprendre un minimum les enjeux des choix que je fais.

2)Fournir aux citoyens un bulletin OUI et un bulletin NON (dans les enveloppes officielles) c’est bien un minimum. Mais ne fournir avec qu’une grossière justification du OUI en forme de projet de loi, sans que le NON de gauche (ni d’ailleurs celui de droite ) puisse s’exprimer c’est totalement scandaleux. Surtout alors que la quasi-totalité des moyens de la télévision et la plus grande partie de ceux de la presse écrite sont mobilisés pour chanter les louanges du OUI. Mettre ainsi au service d’un choix un tel déluge de propagande c’est suspect. Donc je vote NON car je n’aime pas qu’on veuille ainsi me forcer la main.

3)Je veux une Europe politique et pas une simple zone de libre-échange. Une Europe politique n’existera qu’à travers un fort degré d’implication politique des peuples que par ailleurs tant de choses divisent (langue etc.). La politique de l’Europe telle qu’elle se fait conduit au contraire de cette implication : en témoigne la constante montée de l’abstention dans toutes les consultations européennes et corrélativement la montée des xénophobies, poujadismes et autres souverainismes. Je veux une Europe qui encourage les peuples à être européens et pas une Europe qui les en décourage. Donc je vote NON car je veux une véritable Europe, portée par une ambition politique rassembleuse commune et pas un meccano institutionnel artificiel.

4)Le marché est à l’évidence la règle générale de fonctionnement de nos sociétés (et qu’on veuille ou pas changer de société n’est pas ce qui est ici en débat). Mais si le marché n’est pas régulé c’est la jungle. Si ce marché est régi par la « concurrence libre et non faussée » (dès l’article 3 sur les « objectifs de l’Union », formule répétée des dizaines de fois dans le document) cela signifie que toute loi sociale est attaquable car, par définition, une loi sociale fausse la concurrence. Comme disait Lacordaire « entre le faible et le fort c’est la liberté qui opprime et la loi qui libère ». Je ne veux pas d’un système dans lequel les lois sociales sont sans cesse menacées d’inconstitutionnalité au motif qu’elles « faussent la concurrence » ou « menacent de la fausser ». Donc je vote NON car, pour le temps présent, je veux un capitalisme régulé par des exigences sociales fortes et pas un capitalisme sauvage livré à la seule libre concurrence.

5)Je veux de véritables droits fondamentaux pour les peuples européens, au travers d’une véritable harmonisation par le haut (progressive, il s’entend), moralement juste et économiquement indispensable. Or les formules de la partie II (la « Charte ») sont des généralités sans incidences concrètes (« la dignité humaine est inviolable. Elle doit être respectée et protégée » art. 61. Quelle application juridique de ce principe incontestable mais si général ?). Elles sont toujours minimalistes : « droit de travailler » et « droit de chercher un emploi » au lieu de « droit au travail » (art. 75), parmi bien d’autres exemples. Elles sont largement en retrait sur les formules de notre droit social. Elles renvoient à des droits qui sont déjà en reconnus en droit comme en fait pratiquement partout dans l’Europe des 25. D’ailleurs la Charte « ne crée aucune compétence nouvelle ni aucune tâche nouvelle pour l’Union et ne modifie pas les compétences et tâches définies dans les autres parties de la Constitution » (art. 111, donc la partie III sur les politiques économiques prévaut sur les droits fondamentaux). La plupart des droits renvoient « aux lois nationales qui en régissent l’exercice ». Alors où est le bénéfice ? Les « explications » de la Déclaration 12 (p. 169) confirment largement qu’il n’y a aucune ambition d’harmonisation par le haut des droits fondamentaux : par exemple « des restrictions peuvent être apportées à l’exercice des droits fondamentaux , notamment dans le cadre d’une organisation commune de marché » (p. 183). Donc je vote NON car je suis plus européen que le TCE en matière de droits fondamentaux et je ne veux pas que le marché commande aux droits fondamentaux.

6)On me dit : le TCE est le résultat d’un compromis à 25. Naturellement des compromis il en faut. Mais je ne vois pas pourquoi les compromis se feraient toujours au détriment des droits sociaux et pas au détriment des institutions qui organisent la prédominance de la concurrence libre et non faussée. Je ne veux pas d’une Banque centrale européenne n’ayant de comptes à rendre à personne (mais qui inévitablement sera soumise à l’influence des milieux financiers extrêmement influents en son sein). Si compromis signifie accepter les dispositions les plus médiocres et les plus régressives comme dénominateur commun alors cela s’appelle alignement sur le moins disant social. Et cela donne un vague « droit à la vie », un « vague droit au mariage » , un vague « droit des personnes âgées de mener une vie digne et indépendante et à participer à la vie sociale et culturelle ». Mais nulle part il n’est question de droit à la contraception et à l’IVG, de droit au divorce, de droit à la retraite, qui sont des droits concrets et pas de belles phrases très générales. Je vote NON pour des compromis de progrès et contre des compromis minimalistes, toujours dans une perspective ultra-libérale

7)On m’explique que la 3e partie « codifie » des dispositions déjà mises en oeuvre et que donc il n’y a pas lieu de s’alarmer. Ajoutée in extremis (54 p., 320 articles discutés en un mois à la « convention » !) cette partie « résume » en les droitisant encore plus le contenu des traités antérieurs et de la jurisprudence qu’ils ont générée. Or cette politique fait tous les jours la démonstration de ses effets néfastes dans la vie des citoyens (mise en cause des services publics etc.). C’est donc une autre politique européenne que je veux, moins favorable aux « grands intérêts », plus favorable aux droits sociaux des gens. Je ne crois pas à la théorie : de toutes façons on n’y peut rien, alors acceptons, voire favorisons les destructions sociales, car ce sera bon pour l’économie. Quand on saccage le social on voit bien comment se porte l’économie. Je vote NON car je veux une vraie Europe de progrès qui n’est pas celle-là. Je ne veux pas investir de la légitimité du suffrage universel un ensemble de mesures disloquant le modèle social européen issu de deux siècles de combats

8)Toute la 3e partie contient notamment un programme d’action économique conjoncturelle, centré sur les critères de Maastricht et sur le pacte de stabilité (ouvertement violé aujourd’hui. Ca commence mal !). Que vient faire une politique économique, dépendant par définition de la situation économique du moment, dans une constitution qui est censée instituer des règles permanentes d’organisation institutionnelle des pouvoirs publics ? La règle de la limitation du déficit public à 3% du PIB (protocole 10, p. 143), conjuguée avec l’interdiction de se procurer des ressources d’emprunt empêche une politique de relance par les dépenses publiques en particulier d’investissement. Au lieu de cela la politique de la BCE campe sur une position déflationniste d’euro fort qui plombe les exportations européennes et nous vaut des millions de chômeurs en plus. Je vote NON car je ne pense pas qu’une politique économique ait sa place dans une constitution et parce que je crois que le problème du chômage est aujourd’hui beaucoup plus important que celui de la stabilité monétaire absolue. Je ne veux pas constitutionnaliser et donc sanctuariser une politique déflationniste dont on voit tous les jours les effets désastreux.

9)On fait grand cas de l’extension des compétences du Parlement européen. Mais le tout petit mieux en ce domaine justifie-t-il qu’on donne son aval à une construction constitutionnelle qui donne à la seule instance directement issue de la volonté populaire par le biais des élections une part si petite dans les prises de décision européennes. Le Parlement laisse toute l’initiative des lois à la seule commission européenne qui n’émane pas de lui et sur laquelle il n’exerce qu’un contrôle minimal. Il partage la décision avec le Conseil (ce qui peut se justifier dans la perspective d’une construction interétatique) mais dans une position très subordonnée. Une multitude de secteurs décisif, en particulier la politique étrangère et la guerre, sont en fait et/ou en droit soustraits à son contrôle : il n’est alors que « consulté », voire « informé ». Je vote NON car je veux un processus décisionnel européen qui soit vraiment sous le contrôle des élus du suffrage universel.

10)Je ne veux pas d’une Europe dans laquelle les Etats s’engagent à augmenter leurs « capacités militaires » (art. 41 et protocole 23), dans laquelle l’Union européenne « respecte les obligations découlant de l’Otan » (art. 41), donc se met dans la main des Etats-Unis, prévoit une « capacité opérationnelle » pour des « missions en dehors de l’Union » (art. 41 et 309) dans le cadre d’un « réservoir unique de forces » (p. 151) sous l’autorité d’un « comité politique et de sécurité ». Je vote NON car je ne veux pas que la politique étrangère européenne de paix, de désarmement et de sécurité collective que j’appelle de mes vœux, dans le respect du droit international, soit ignorée au profit d’un alignement à peine conditionnel sur les Etats-Unis. Et ce n’est pas le gadget d’un ministre européen des affaires étrangères qui changerait l’orientation atlantiste proaméricaine de l’Europe telle qu’on veut nous l’imposer.

11)Les services publics existent dans toute l’Europe sous des noms et dans des formes différentes permettant la satisfaction collective de besoins fondamentaux d’intérêt général, en particulier des besoins sociaux. Je n’ai rien contre la recherche d’un terme commun les désignant. Mais pourquoi « services d’intérêt économique général » ? Je ne vois pas en quoi l’enseignement, la Sécurité sociale sont des services « économiques ». Je vois encore moins pourquoi on emploie à leur sujet le terme exclusif d’entreprise et encore moins pourquoi on veut les soumettre à la concurrence alors que par définition ce sont des services qui servent l’intérêt général avec l’argent de la puissance publique (donc les crédits d ‘Etat) et, dans des proportions variables, avec la contribution des intéressés (cotisations sociales, achat de biens et services à des prix contrôlés). J’ai bien lu les articles 166 et 167 qui limitent drastiquement les aides « accordées au moyen de ressources d’Etat sous quelque forme que ce soit » aux entreprises remplissant des missions de service public. Et je ne veux pas de la police européenne instituée à l’article 168 pour pourchasser tout financement collectif des services publics. Comme je veux sauvegarder les services publics je vote NON.

12)Vous votez comme Le Pen. Donc vous êtes des populistes, nationaliste, xénophobes. Les insultes fusent dans la bouche des partisans du Oui, même envers les membres du même parti. Je n’ai pas l’habitude , quand on me pose une question, de commencer par regarder ce que fait Le Pen. Si Le Pen vote noir, je vote blanc et si Le Pen vote blanc je vote noir ? Je ne veux pas être ainsi captif des choix de Le Pen. En revanche ce que je sais c’est que le programme du FN est marqué au sceau de l’ultra-libéralisme et de la liquidation des droits sociaux élémentaires. Je le combats frontalement, d’autant plus à l’aise pour le faire que je n’adhère pas au programme de libéralisme absolu de la Constitution européenne. Alors laissons les arguments de bas étage. Je ne dis pas à Jospin que son choix est aussi celui de Sarkozy et de Madelin, et de tout le patronat européen groupé derrière l’Unice et Seillière. Je vote NON parce que je ne veux pas d’une constitution de droite et ce n’est pas l’épouvantail Le Pen sorti de sa boite rancie qui me fera la trouver de gauche

13)Nous allons retomber dans l’abominable traité de Nice. Ca va être le chaos. Que de fois entend-on ces simplismes. Mais qui a signé cet abominable traité de Nice ? Chirac et Jospin qui nous l’ont vendu alors comme une merveilleuse avancée. Vérité hier erreur aujourd’hui ? Le Traité de Nice est mauvais parce que déjà ultra-libéral. Raison de plus pour réorienter la construction européenne dans un sens plus social. Quel chaos, alors que nous vivons actuellement sous l’empire du traité de Nice et que, de toutes façons, nous y vivrons encore quatre ans ? Je vote NON à la fois contre cette Constitution et contre le traité de Nice qu’elle prolonge et constitutionnalise. Je ne veux pas casser l’Europe mais la remettre sur les rails

14)On ne peut rien faire contre cette politique. Toute l’Europe est à droite. Alors il faut bien avaler la pilule.? Avec qui pourriez-vous renégocier ? Naturellement avec les gouvernements en place mais en mobilisant les opinions publiques pour des réorientations de la nécessaire construction européenne. A qui va-t-on faire croire que la politique dépend exclusivement de la volonté des Bolkestein et des Pascal Lamy et pas des rapports de force dans la conscience des peuples et dans les actions menées. A qui va-t-on faire croire qu’une prise de position majoritaire du peuple français compterait pour du beurre dans les affaires européennes. Je vote NON parce que je crois qu’un vote NON pourra créer un rapport de forces plus favorable à une Europe vraiment sociale et je ne subordonne pas mon choix d’aujourd’hui à des calculs politiques franco-français et bien aléatoires sur 2007.

15)Vous allez casser l’Europe. Qui casse l’Europe ? Ceux qui veulent la refonder sur une vraie adhésion populaire ou ceux qui prennent leur parti de l’immense et croissante distance entre la politique inventée à Bruxelles et relayée par tous les Raffarin locaux et les aspirations des peuples. D’où l’effrayante indifférence des citoyens lors des consultations européennes.

Je vote NON

Messages

  • MERCI. C’est parfait. Exactement ce que je pense, bien dit !

    S’il vous plaît, si le oui l’emporte quand même, n’oublions pas tout ça, restons vigilants, et continuons à informer nos proches. Je n’ose pas imaginer qu’il l’emporte pourtant, car toute personne qui a lu le texte ne peut qu’en tirer ces conclusions évidentes...

    • Si le OUI l’emporte ? Ni pense même pas. Douterais-tu de toi-même ?

      LE NON est sur tous les murs, sur toutes les lèvres, dans toutes les têtes. Jamais, de toutes les élections que j’ai vu, j’ai senti une telle détermination. Nous sommes tous pressés d’aller dans l’isoloir. La victoire est en nous.

    • Non la victoire n’est pas acquise.
      Il y a une stratégie derrière les sondages et derrière cette illusion qu’on veut nous donner que les jeux sont faits : démobiliser le non et motiver les partisans du oui à aller voter.
      N’oublions pas surtout que les sondages sont des approximations très... approximatives à qui l’on peut faire dire une chose et son contraire selon que l’on tient compte ou non de la marge d’erreur.
      Voir pour ça le site Acrimed et sa page "les coûts cachés des coups de sonde"
      Le vote sera clos dimanche à 22h et ensuite il faudra être très vigilants pour prévenir d’éventuelles manoeuvres.

  • Bonjour,
    Je me retrouve tout à fait dans vos déclarations. Si un jour j’ai des petits enfants, je leur dirai, en les regardant droit dans les yeux, j’ai voté NON pour vous, car je souhaitais une Europe démocratique, solidaire, sociale, où l’être humain a sa place et soit l’acteur de sa vie.

    • Pour ceux qui doute encore de la victoire du NON :

      petite estimation quand j’ai été voté ce matin dans mon village du Perche : dans la corbeille de l’isoloir beaucoup de oui. Alors, proche de 60% le NON ? Cela est possible.