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Non, pour sortir de l’impasse libérale
Publie le jeudi 28 avril 2005 par Open-Publishing6 commentaires

de Éric Berr maître de conférences en économie à l’université Montesquieu-Bordeaux-IV
Lors que le non au traité établissant une Constitution pour l’Europe semble s’installer durablement en tête des sondages, les partisans du oui tentent de faire croire qu’il reposerait sur des arguments qui n’ont rien à voir avec le contenu du traité (adhésion de la Turquie, directive Bolkestein, contexte économique et social morose en France, etc.). Evacuons d’emblée la question de l’adhésion de la Turquie, qui se posera, que le traité soit ratifié ou non, et qui est effectivement complètement hors contexte.
Il est en revanche curieux de prétendre que la directive Bolkestein est hors sujet. Si elle n’est pas reprise telle quelle dans le traité, ayons l’honnêteté de reconnaître que ce texte en contient les prémices.
En effet, les articles III-144 à III-150 laissent la porte ouverte à de futures directives Bolkestein, en précisant notamment que "les Etats membres s’efforcent de procéder à la libéralisation des services au-delà de la mesure qui est obligatoire (...). La Commission adresse aux Etats membres intéressés des recommandations à cet effet" (art. III-148).
L’indignation d’organisations politiques qui avaient accepté, il y a plus d’un an, les contours de cette directive doit également nous interpeller sur le mode de fonctionnement de l’Union européenne, sur son manque de transparence et son déficit démocratique, à peine atténués par le traité constitutionnel. Cela explique en partie la méfiance des citoyens européens à l’égard d’institutions qui ne paraissent pas défendre leurs intérêts.
Il faudrait également nous expliquer par quel miracle la politique monétaire, qui, pour des raisons idéologiques, a pour unique objectif de lutter contre une inflation vaincue depuis une quinzaine d’années, n’a pas eu de conséquences en matière de chômage, et que dire du pacte de stabilité et des politiques budgétaires restrictives jouant contre l’emploi ?
La situation économique actuelle n’est pourtant pas surprenante. Elle est la conséquence de l’application de plus de vingt ans de politiques libérales que le traité se propose de pérenniser. Des politiques qui ne sont pas sans rappeler le contenu des programmes d’ajustement structurel imposés aux pays en développement et qui se sont soldés par plus de pauvreté et d’inégalité en de nombreux endroits du monde.
C’est ce type de politiques que l’on nous propose de poursuivre en constitutionnalisant la cure d’austérité que nous subissons depuis de nombreuses années.
Dans cette perspective, l’Etat est sommé de toujours plus se désengager, ce qui se traduit par une discipline budgétaire toujours plus stricte (art. III-184 et III-194), qui empêche toute politique budgétaire de relance. Comme l’unanimité est requise en matière fiscale (art. III-171), l’harmonisation indispensable au respect de la "concurrence libre et non faussée" ne pourra se faire qu’en s’alignant sur le moins-disant. Dès lors, l’austérité budgétaire ne peut être réalisée qu’en réduisant les dépenses publiques et les subventions (art. III-167).
La voie de la privatisation des services publics est également ouverte. En effet, ceux-ci deviennent dans le traité des "services d’intérêt économique général" (art. III-122) soumis à la concurrence (art. III-166) et qui ne peuvent plus bénéficier d’aides de l’Etat s’ils faussent ou simplement menacent de fausser la concurrence (art. III-167).
Les marchés du travail "doivent être aptes à réagir rapidement à l’évolution de l’économie" (art. III-203), ce qui implique plus de flexibilité.
Quant à la libéralisation des mouvements de capitaux, elle peut être remise en question malgré les conséquences dramatiques qu’elle a déjà occasionnées en de nombreux endroits de la planète (art. III-146, III-156).
Dès lors, quel crédit apporter à une Constitution dont l’objectif affiché est d’oeuvrer pour "le développement durable de l’Europe fondé sur une croissance économique équilibrée et sur la stabilité des prix, une économie sociale de marché hautement compétitive, qui tend au plein-emploi et au progrès social, et un niveau élevé de protection et d’amélioration de la qualité de l’environnement" (art. I-3) ?
Le volet social, qui constitue une avancée majeure pour les partisans du oui, envisage d’améliorer, entre autres choses, les conditions de travail, la sécurité sociale et la protection des travailleurs, l’égalité entre hommes et femmes, la lutte contre l’exclusion, tout en évitant d’"imposer des contraintes administratives, financières et juridiques telles qu’elles contrarieraient la création et le développement de petites et moyennes entreprises" (art. III-210).
De la même façon, l’introduction d’un volet environnemental est un leurre. Car que penser d’un développement durable qui ne consacre que deux articles (sur 448 !) aux questions environnementales (art. III-233 et III-234) et nécessite l’unanimité pour agir ? Que penser d’une politique agricole commune qui ne fait aucune référence à la protection de l’environnement et se soumet toujours à une logique productiviste destructrice (art. III-227) ?
Reconnaissons toutefois que ce traité constitutionnel n’est, pour reprendre l’argument des partisans du oui, ni plus ni moins libéral que les textes précédents. Mais justement, il est libéral. Et constitutionnaliser de telles politiques économiques apparaît très risqué.
Dès lors, puisqu’on nous demande si nous souhaitons poursuivre une construction européenne dominée par les questions économiques, le non proeuropéen, qui repose sur des considérations sociales et environnementales, est légitime.
Dire non à ce traité, c’est vouloir remettre l’économie au service de l’homme, c’est refuser une logique qui considère que l’avoir plus équivaut au mieux-être, c’est considérer que les valeurs sociales et environnementales ont au moins autant d’importance que les considérations économiques.
Au moment où le rapport de l’ONU sur "l’évaluation des écosystèmes pour le millénaire" , rendu public le 30 mars, dresse un état des lieux accablant de l’impact de l’activité humaine sur l’environnement et appelle à "des changements significatifs d’ordre politique, institutionnel et au niveau des pratiques" . Un tel changement de cap nécessite une Europe beaucoup moins "libérale" , faute de quoi l’avenir des générations suivantes (celles de nos enfants et de nos petits-enfants) est menacé. Nous sommes prévenus.
Messages
1. > Non, pour sauver un peu de libéralisme, 6 mai 2005, 16:57
Etonnant d’entendre répéter à tout crin que "nous nous enfoncerions dans l’ultra-libéralisme".
Moi, libéral, constate tous les jours avec indignation et affliction que le taux des prélèvements obligatoires, la mainmise de l’état sur tous les sujets, le dérappage incontrolé des finances de l’état, l’augmentation inexorable des cotisations sociales nous pousssent au contraire vers toujours plus de socialisme et d’étatisme.
A croire que nous fantasmons chacun notre pays, mais qu’en fait, je vive dans l’ancienne URSS et vous à Singapour, et non tous les deux en France ...!
Et pourtant, je voterai non avec ferveur au référendum sur le TCE .... pour des raisons justement libérales !
Nous vivons une époque de fous.
Tioman.
1. > Non, pour sauver un peu de libéralisme, 6 mai 2005, 18:27
oui, camarade Tioman, tu vis dans l’ancienne URSS. Et d’ailleurs, le Bureau politique a décidé de t’envoyer au goulag, histoire de t’apprendre à déraper sans forcer sur le p.
2. > Non, pour sauver un peu de libéralisme, 10 mai 2005, 07:43
Étonnant ? Dans le système capitaliste (rebaptisé libéralisme aa grand dam de la Liberté), l’Etat prend en charge les dépenses et les déficits, laissant les intérêts privés se partager les affaires juteuses.
3. > Non, pour sauver un peu de libéralisme, 10 mai 2005, 09:44
Capitalisme et libéralisme n’ont rien à voir.
L’un est la logique économique du capital, l’autre est la logique de la liberté. Les deux se rejoignent pour prôner moins d’état mais pour des raisons différentes.
Pour les capitalistes, l’état représente un frein institutionnel et juridique à la logique du profit.
Pour les libéraux, c’est différent : ils croient en l’homme et ne sont pas élitistes.
Autrement dit, ils pensent qu’un particulier saura toujours mieux quoi faire avec son argent plutôt que de le confier (se le faire voler serait plus juste) par des politiciens dont le métier consiste à dépenser et à dépenser toujours plus (donc voler toujours plus). Et personne ne me contredira si je dis qu’ils dépensent mal, non ?
Si on est d’accord sur ces principes de base, on peut continuer la discussion sur la notion de dépenses de l’état et d’affaires juteuses ...
4. > Non, pour sauver un peu de libéralisme, 11 mai 2005, 07:33
Il s’agit là d’embrouilles linguistiques destinées à camoufler les réalités et à piéger le pigeon. Quand un système (capitalisme) prend une sale gueule, on ne le change pas, on le rebaptise (libéralisme). Mais sous un nom ou sous un autre, c’est le profit qui demeure prioritaire, même au prix d’une crise sociale ou d’une guerre. Les libéraux croient en l’homme comme je crois au lapin : en civet. Je ne vois pas de différence entre le libéral baron de Seillères et ses ancètres capitalistes.
5. > Non, pour sauver un peu de libéralisme, 12 juin 2005, 19:33
Monsieur, vous faites une erreur d’interprétation en ce qui concerne le libéralisme. Il ne s’agit pas de l’engagement de l’individu par ses actes, mais de celle du profit pour quelques individus que leur puissance permet d’user et d’abuser. Avouez que ce n’est pas toute à fait la même chose. "La logique de la liberté", c’est un concept dénué de réalité. La logique du libéralisme, au mépris du simple bon sens, ne conçoit la liberté que pour ceux dont l’argent rend puissant. C’est donc une liberté qui nécéssite un grand nombre d’esclaves, aujourd’hui salariés, dans les régions du monde qui abusent du vocable Démocratie. Mais une liberté si dépendante ne peut s’exercer que par égoisme. C’est ce dont rend compte le libéralisme. J’engage ce débat sur mon site personnel que je vous invite à visiter :
http://destroublesdecetemps.free.fr