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PREVENTION DES AGRESSIONS : Pourquoi cela n’intéresse-t-il pas vraiment les politiques ?
Publie le vendredi 1er juin 2007 par Open-PublishingNous avons adressé aux candidats aux présidentielles notre ouvrage Violences contre agents accompagné d’une lettre dont voici le contenu :
"Paris, le 5 avril 2007
Madame ou Monsieur,
Nous avons l’honneur de vous adresser notre ouvrage Violences contre Agents. Agressions et souffrance dans les services publics (Jean-Claude Gawsewitch Editeur).
Ce travail collectif, mené par deux syndicalistes (Thierry Gerber et Joseph Boyer) et deux experts (Dominique Decèze et Pascal Poulain) est le prolongement et une extension sur le plan des champs professionnels étudiés d’une étude réalisée par deux d’entre nous (Thierry Gerber et Joseph Boyer) en 2005. Nous considérons que les agressions en général, ainsi que les nombreuses agressions des agents des services publics, sont une question tant d’implication des institutions et des entreprises, employeurs d’agents de service public, d’impulsion gouvernementale dans la lutte contre les violences, de sécurité publique que de santé publique.
Ce document a pour objectif de vous sensibiliser :
– aux faits et risques d’agressions vécus par les agents des services publics (hors champrégalien Police et Gendarmerie), sachant qu’il y a sous-estimation, situations de banalisation et de déni, pressions sur des salariés pour qu’ils ne déclarent pas leur agression en accident du travail, peur de représailles,… Il faudrait donc encourager les enregistrements, a minima en accidents du travail bénin ;
– aux agressions contre ces personnels qui sont devenues, à l’instar de ce qui se produit dans la société, un problème structurel et non plus conjoncturel, avec cristallisation forte sur les agents des services publics, considérés comme des cibles faciles. Ces agressions doivent sortir des faits divers et être prises en compte comme faits de société. Les dispositifs de prévention, insuffisants, peinent à contenir la hausse tendancielle ; leur renforcement est indispensable ;
– à l’insuffisante prise en compte de ces problèmes par les responsables des institutions publiques et entreprises (leurs employeurs) et par une grande partie des encadrants de ces entités ;
– à la très faible visibilité sociétale et institutionnelle des difficultés rencontrées par ces agents pour assurer la continuité de services essentiels à tous, des faits de violence accumulés chaque année, ainsi que des souffrances multiples engendrées par l’insécurité et les agressions ;
– à la nécessité de construire d’efficaces dispositifs partenariaux de prévention et d’analyse des agressions comme de prise en charge sincère des victimes, associant les partenaires sociaux et les organisations syndicales, les associations d’usagers-clients ;
– à la nécessité d’une aide sincère et désintéressée aux victimes, dont beaucoup ressentent mal les dispositifs actuels considérés comme lourds, longs et complexes .
Cette étude, qui comprend un certain nombre de propositions formulées tant par des salariés, des représentants syndicaux que par nous-mêmes entend être à la fois une modeste contribution à la construction du plan interministériel « Violences et Santé » et une contribution citoyenne à une alerte sociétale sur les questions d’insécurité et d’agression vécues par les agents des services publics, afin que ces problèmes et les mesures préventives pour y faire face soient mises en débat le plus largement possible.
Notre document, qui fait référence à certaines « situations à risques » (situation de travailleur et travailleuse isolés, risques vol à main armée, situations d’accueil physique, notamment en zones urbaines sensibles, interventions dans des quartiers sensibles,…), renvoie à la nécessité de services publics de proximité et de qualité, dotés de moyens humains et matériels supplémentaires, même si cela ne résoudra pas tout, des mesures complémentaires devant être prises pour combattre la délinquance violente (auteurs de vols à main armée et de vols violents, « habitués des coups de poing », bandes contrôlant certaines portions du territoire,…).
Dans le cadre de cette « alerte sociétale », nous considérons que :
– Le droit à la sécurité des agents des services publics, comme de tous les résidents sur le territoire national, est imprescriptible et non négociable ; des campagnes de sensibilisation doivent être programmées sur la gravité de tels actes, qui mettent à mal les services publics, menacent la continuité effective du service public partout et à toute heure, avec risque évident de : boycott de secteurs géographiques, service minimal, ruptures dans le « vivre ensemble », autodéfense… Cela peut générer des tentations d’imposer à des régies communales la gestion de populations et secteurs géographiques « à problèmes ».
– Les services publics doivent voir leur rôle de mixité et de cohésion sociales, de mobilité géographique, d’accès aux droits et à des services essentiels,… amplifié, des moyens plus importants et dédiés doivent être mis en œuvre. Il doit y avoir diversité de localisation des points d’accueil du public : à l’intérieur des cités et dans d’autres lieux de mixité sociale ;
– Les conditions d’exercice des services publics sont plus en plus difficiles et les logiques de rentabilisation participent du problème des agressions, la sous-traitance engendrant l’externalisation des risques sur des salariés encore plus vulnérables.
– Les violences physiques, verbales et menaces de mort ou de violence sont condamnables : il faut résolument les prévenir et transformer nombre d’agressions potentielles en conflits gérables ; pour ce faire, les marges de manoeuvre et de négociations doivent être accordées aux agents de terrain, leurs bonnes pratiques et savoir faire doivent être reconnus et encouragés, des échanges entre agents de différents services publics doivent être encouragés. Une partie de la médiation sociale doit aussi être internalisée. Il convient d’identifier avec précision ce qui ressort de la délinquance violente, et de populariser la possibilité du droit de retrait devant des situations à risque (avant même un danger grave et imminent) grâce à des campagnes d’information à l’initiative des pouvoirs publics et des structures professionnelles.
– Les violences contre les agents mettent en cause leur identité sociale et professionnelle, l’image d’eux-mêmes en tant que personnes, la légitimité de leur travail, l’intégrité et la santé physique et psychique des victimes ; cela porte aussi atteinte aux intérêts des professions, aussi la constitution de partie civile par les syndicats doit être facilitée. Les campagnes de dénigrement des agents et des services publics ont des effets désastreux et incitent aux passages à l’acte violent. Les impacts de ces violences en terme de santé publique doivent être mieux mesurés et il convient de prévenir les pluri-agressions et prendre en considération les poly-agressés.
– Les multiples formes de violences contre nos agents masculins et nos agents féminins ne doivent pas être tolérées et banalisées, cela renvoie à la lutte contre toutes les violences en général, ainsi qu’à celle contre les violences à l’encontre des femmes en particulier. En effet, il est de plus en plus fréquent que des usagers ou délinquants masculins agressent des agents féminins, celles-ci étant surexposées par rapport à leur poids dans les effectifs des métiers considérés, des mesures préventives spécifiques doivent être notablement renforcées. Il en est de même pour les agents ayant peu d’ancienneté dans le métier. Les équipes doivent être mixtées.
– Divers phénomènes contribuent à brouiller la lisibilité de leurs missions de service public, au service du public en général et des plus démunis en particulier, leur légitimité s’en trouve dès lors affaiblie, ce qui favorise la contestation des règles collectives et le passage à l’acte violent.
– Les politiques d’entreprises incitant aux attitudes de « clients rois » sont de nature à favoriser les agressions. En conséquence, une action doit être menée pour les proscrire. Les organisations des institutions et entreprises ainsi que les organisations du travail doivent être ré-interrogées et modifiées pour prendre pleinement en compte le risque agression.
– Nous estimons nécessaire de renforcer la pression sur les employeurs pour que leurs obligations de résultat et de moyens en matière de sécurité soient plus effectives, l’inspection du travail doit voir son rôle renforcer sous cet angle, le rôle des CHSCT doit être amplifié (recours plus aisé à des expertises externes, extension des prérogatives à la sécurité des usagers-clients,…), les plans de prévention des risques professionnels doivent être portés à un niveau supérieur et on doit prendre en considération tous les salariés, quels que soient leur statut, travaillant pour les services publics. Il est anormal que des primes individuelles ou collectives soient attribuées à des agents opérant des contrôles anti-fraudes. Cela les incite à faire du chiffre et prendre des risques inutiles, aussi ces primes doivent être remplacées par du salaire.
– Les normes des espaces recevant du public doivent être modifiées pour accroître la sécurisation des agents et usagers.
– Un gouvernement républicain se doit, selon nous, de mettre en mouvement un ensemble d’acteurs, d’horizons divers, pour œuvrer à la lutte contre ces violences, la garantie du respect mutuel usagers-agents,…
Nous souhaitons que vous rendiez public votre positionnement sur ces questions très importantes et nous vous prions de bien vouloir agréer, Madame, l’expression de nos salutations distinguées.
Pour Joseph Boyer, Thierry Gerber et Pascal Poulain
Thierry Gerber. "
Aucun candidat n’a répondu à ce courrier (des personnes de Lutte Ouvrière nous ont toutefois envoyé un courrier).
Alors pourquoi ce désintérêt ?
Si, hors période électorale, les agressions des agents de services publics sont traitées dans la rubrique des faits divers alors qu’ils ont rang de problèmes de société, les périodes d’élections ne sont guère propices à des débats approfondis et citoyens tant les questions de sécurité sont instrumentalisées ou passent carrément à la trappe si elles dérangent.
Nous persistons à appeler de nos vœux l’organisation de vastes campagnes de sensibilisation et de prévention des violences, la mise à niveau très rapide des entreprises qui ont pris du retard en matière de prévention des agressions.
Le problème c’est que beaucoup de politiques (de droite comme de gauche) ne veulent pas exercer des pressions sur les employeurs des agents de services publics (Fonction publique d’Etat, fonction publique hospitalières, fonction publique territoriale, entreprises publiques ou entreprises privées ayant des missions de service public (compagnies des eaux, entreprise de transport public de voyageurs,...). Ils préfèrent le laisser faire et ne font que renvoyer aux rapports de forces dans chaque branche professionnelle et entreprise, ainsi qu’au dialogue entre partenaires sociaux...
Plus largement le problème est le même pour tous les salariés en contact avec le public !