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Sylviane Agacinski : "être enceinte, ce n’est pas un job !"

Publie le jeudi 11 juin 2009 par Open-Publishing

RENNES - La philosophe Sylviane Agacinski, auteur de l’essai "Corps en miettes" et signataire d’un manifeste s’opposant à la pratique des mères porteuses, juge qu’"être enceinte, ce n’est pas un job" et dénonce une aliénation du corps des femmes et leur marchandisation.

Q : "Pourquoi militez-vous contre la pratique des mères porteuses ?"

R : "J’ai toujours milité pour les droits des femmes, la liberté et la dignité des femmes. La dignité est une notion extrêmement importante, proche de la liberté, qui touche surtout à ce qui peut apparaître comme dégradant et ce qui peut apparaître surtout comme source d’aliénation et d’exploitation".

Q : "En quoi est-ce une aliénation et une marchandisation du corps ?"

R : "Aujourd’hui via des moyens biotechnologiques qui permettent des +fabrications+ d’enfants en laboratoires, on se retourne du côté des femmes pour qu’elles apportent les fournitures nécessaires à la procréation artificielle pour tous ceux qui voudraient en bénéficier. On a l’apparition d’une population convoitée par l’industrie, soit pour leur utérus soit pour leurs ovocytes. Cela oblige les femmes à se dessaisir de leur corps et d’elles-mêmes. Être enceinte pendant neuf mois, c’est quoi ? Ce n’est pas faire un job, un job on le commence à une certaine heure, on l’arrête le soir, on mène sa vie sexuelle, on va dormir... Une femme qui va être enceinte à la place d’une autre vit neuf mois à la place d’une autre. Elle doit se défaire de son existence propre, de ses désirs sexuels ou de ses désirs pro-créatifs éventuels... Nous n’avons pas les chiffres exacts, mais beaucoup de mères porteuses accouchent prématurément. Une des dernières mères porteuses qui a exercé en France illégalement a eu une hémorragie, il a fallu enlever l’utérus. Quand on fait cela pour soi, on sait déjà que c’est rude mais le faire pour autrui cela devient une sorte de job, et souvent pour des raisons financières".

Q : "Pourquoi la question des mères porteuses cristallise-t-elle autant les débats et divise-t-elle passionnément les experts ?

R : "Parce que c’est l’enfant, la maternité et la puissance des femmes. Il y a peut-être ce fantasme d’enlever aux femmes ce pouvoir. Peut-être que faire de cela quelque chose de monnayable, c’est aussi une façon de leur enlever. C’est une question qui se pose".

(propos recueillis par Déborah CLAUDE)

http://www.romandie.com/infos/news2/090611173233.270v8vdc.asp