Accueil > Talal, mon frère : l’enfant martyr
de Joseph Harb
Il n’y a rien de plus précieux que d’être livré à soi quand les autres se métamorphosent en traîtres, il n’y a rien de plus beau que ton dos collé au mur quand les autres ne t’offrent que leur perfidie.
Repoussons au loin les entremetteurs, le Conseil de sécurité, les Nations unies et installons-nous devant le cadavre brûlé, calciné, déchiqueté, éparpillé d’une petite martyre du village de Marouahîn. Peu importe qu’elle se nomme Rym, Zeinab, Zahra, Dou‘â ou Amna.
Habillons-la de beaux vêtements comme si elle s’apprêtait à aller à la fête, à la balançoire, au papillon, au jardin verdoyant avec sa vasque, ses fleurs et ses oiseaux.
Nous lui mettrons une robe longue, un chapeau à large bord, une ceinture nouée autour de la taille comme les ailes d’un canari, des chaussettes bleues brodées d’écume, des chaussons, des bottines ou des sandales, une escarcelle en velours tissée comme par les becs des oiseaux qui font leur nid et qui y couvent deux Dinars d’argent, ronds comme des œufs de ramier.
Pour confectionner des habits à la petite martyre, nous avons ouvert grands les armoires des dirigeants arabes, nous y avons pris les lainages en poil de chameau et en cachemire, les ceintures et les écharpes en satin chatoyant, les chemises et les soutanes, les voiles et les bandoulières en soie noire, les pèlerines et les caftans, les keffiehs et les djellabas, les costumes et les mouchoirs de poche, les cravates et les manchettes, les cols et les chaussettes, les tatouages et les médailles, les tiares et les couronnes.
Talal, mon frère,
Ni toi ni moi n’avons été surpris lorsque, des habits de tous ces dirigeants arabes, les relents nauséabonds se sont répandus : pestilence du traître, putréfaction de l’espion, fétidité de l’esclavagiste, moiteur du pirate, mesquinerie du menteur, rance du couard, viscosité du voleur, vomi de l’escroc, insolence du médiocre, roideur du velléitaire, gale du paillard, pourrissement du dépravé.
Nous avons alors laissé choir tout ce que nous avions réuni, nous avons jeté fil, aiguille et ciseaux et nous avons abandonné la petite martyre dans sa nudité noire, bleue, rouge.
Le plus merveilleux c’est que, lorsqu’il nous fut impossible de fabriquer des chaussures à l’enfant martyr, malgré tout ce que nous avions cueilli sur le front des dirigeants arabes, et que nous avions laissé nus ses pieds de cire, ceints de nos baisers et de nos larmes, les oiseaux du village de Cham‘, aux ailes teintées de sang, se sont répandus comme un parapluie au-dessus de son petit corps.
Talal, mon frère,
Versons le sang des enfants martyrs dans le fanal de la Liberté, car il lui faut du feu, portons leurs restes calcinés à la locomotive de l’Histoire, car il lui faut du carburant.
Assafir, 18 juillet 2006
Traduit de l’arabe par Rania SAMARA