Accueil > Tom Thomas, un auteur à lire d’urgence !
Un extrait tiré de son ouvrage : La crise chronique ou le stade sénile du capitalisme :
1°) Ce n’est pas la mondialisation libérale qui est la cause de la crise. Au contraire, elle l’a retardée en permettant une transformation mondiale des rapports sociaux qui a fourni une bouffée d’oxygène (de plus-value) au capital. Mais l’expansion de l’accumulation capitaliste aggrave toujours en même temps les facteurs de crise et les antagonismes. D’où la nouvelle limite qu’elle atteint à l’aube du 21ème siècle.
2°) Cette limite ne laisse plus au capital que la solution d’accentuer l’exploitation du prolétariat par les moyens les plus ouvertement brutaux, qui ne peuvent que le précipiter dans une misère plus grande, absolument et non plus seulement relativement comme c’était encore le cas dans les décennies des « Trente Glorieuses ». La crise n’est pas en elle-même l’écroulement du capital. Elle est au contraire le moment où il lutte pour réunir les conditions lui permettant de reprendre le cours de son accumulation. Ces conditions n’étant rien d’autre que d’accroître ouvertement et brutalement l’exploitation du prolétariat, la misère sociale et la dégradation de la planète, cette lutte n’est rien d’autre qu’une lutte de classe, et se déroule aujourd’hui à l’échelle du capital mondialisé. Les extrêmes difficultés que le capital rencontre au stade de développement, de niveau de productivité sociale, qu’il a atteint, indiquent l’extrême violence qu’il va devoir utiliser pour relancer le procès de valorisation et d’accumulation qui est sa vie, l’ampleur des destructions de la nature et des hommes, des richesses matérielles et des richesses financières, qu’il doit parvenir à effectuer pour y réussir. La bourgeoisie va, de toute évidence, devoir intensifier sa lutte contre le prolétariat, la porter à un niveau d’exigences et de violences supérieur, et exercer sur lui une domination totalitaire. Intensification qui, quoi que déjà bien visible, n’en est encore qu’à ses tous débuts. Ce qui obligera le prolétariat, tôt ou tard, à élever lui-même le niveau de sa riposte.
Il est évident en effet que la dictature bourgeoise quitte rapidement les dernières formes démocratiques qui la masquent quelque peu encore dans un petit nombre de pays riches où elle a encore les moyens d’organiser certaines alliances de classe. Elle devient de plus en plus ouverte. Pas seulement avec le renforcement permanent de mesures sécuritaires, l’évanescence de formes électorales vidées de toute représentativité et de tout contenu, purs spectacles sans objet, mais par le développement dans le même temps d’un appareil d’Etat tentaculaire, bureaucratique et omnipotent. Non seulement la plupart des organes exeçant son pouvoir sont non élus, mais il est totalitaire au sens où ils décident de tout, s’appliquant méticuleusement à ne laisser aucun espace de libre développement aux individus du peuple, pas même les loisirs que des spécialistes appointés s’acharnent à faire le moment d’un décervèlement absolu parce que consenti. Son activité croissante pour le capital, qu’il aide et subventionne de toutes sortes de façon, se double de son activité croissante contre le peuple, qu’il écrase sévèrement, idéologiquement sous la botte de journalistes et de médias stipendiés, comme physiquement sous celle d’une police omniprésente, d’une justice dont même l’indépendance formelle est supprimée, bien qu’elle fût déjà au service de l’ordre existant, ne remplissant pas les prisons des financiers véreux, des politiciens corrompus, mais des gens du bas peuple.
Par ailleurs, la division du travail de la mondialisation libérale a rendu totalement interdépendants et complémentaires les activités productives des différents pays, en même temps que l’extrême puissance productive des multinationales exige un marché de taille planétaire. La libre circulation des capitaux et des marchandises, le libre accès des maîtres du monde aux ressources minières essentielles sont une nécessité pour les multinationales. Il en résulte bien évidemment la nécessité d’un ordre mondial ouvert, d’un marché unique sans frontière (si ce n’est à l’entrée des métropoles impérialistes) qui ne soit pas troublé par des velléités nationalistes, et encore moins par les révoltes populaires qui se développent évidemment particulièrement dans les pays dominés. Les interventions militaires pour maintenir ces pays et ces peuples dans l’ordre hiérarchisé convenant aux multinationales se multiplient donc. Elles massacrent beaucoup de civils et leurs responsables mériteraient amplement l’appellation de terroristes dont ils affublent ceux qui leur résistent. Bien que la crise exacerbe les rivalités entre les puissances impérialistes, elles coopèrent généralement pour imposer cet ordre mondial, où alors elles se battent par cliques locales interposées dont elles attisent les querelles, puis arment, financent et manipulent (l’ex Yougoslavie, l’Afghanistan, et de nombreux pays d’Afrique ont offerts des exemples récents et particulièrement sanglants de ces guerres néo-impérialistes).
Du côté du prolétariat sa puissance est à construire, en totalité, c’est à dire dans tous les domaines. La bourgeoisie l’y obligera. L’actuelle et féroce offensive bourgeoise est le sûr terreau de la lutte révolutionnaire. La bourgeoisie n’a plus guère de miettes à distribuer pour obtenir des compromis avec les dirigeants syndicaux et acheter la paix sociale Même les couches populaires petites bourgeoises commencent à être gravement touchées par le chômage et la paupérisation. De sorte que les alliances de classes qui fondaient la forme dite démocratique de la dictature bourgeoise s’effritent, s’effondrent. Toutes les bases matérielles du vieux, puissant et sournois ennemi du prolétariat, le réformisme, disparaissent petit à petit. Il n’en reste que les bases idéologiques fondées sur les divers fétichismes (de la marchandise, du capital, de l’Etat, de la Nation) qu’induisent les séparations de la propriété privée dans la tête de l’individu privé (pour n’en citer qu’un qui s’exacerbe particulièrement en temps de crise, celui du nationalisme, son terreau est que le capital « accoutume le travailleur à voir sa seule chance de salut dans l’enrichissement de son maître », celui de « son » capital, ou plus généralement de « son » capital national, incarné par sa Nation).
La crise oblige les prolétaires et opprimés du monde entier à lutter contre la bourgeoisie et l’impérialisme. Mais elle ne les réunit pas automatiquement et spontanément en une force unique et unie, seule apte à les construire comme puissance pouvant s’approprier les conditions de la production de leur vie. Tous ces fétichismes sont des obstacles à franchir pour déterminer une lutte efficace, se fixant un but rationnel. Et si il y a homogénéisation du prolétariat mondial en tant qu’il est soumis au même capital, subordonné aux mêmes lois qui déterminent sa valorisation ou son blocage, l’emploi ou le chômage, il y a hétérogénéisation en tant que ce n’est pas dans les mêmes conditions suivant les pays, notamment entre ceux du Sud dominés et ceux du Nord dominant, ou suivant les statuts (sans papier, chômeur, précaire, fonctionnaire) etc.
Ce n’est pas le lieu ici de discuter de l’ensemble des voies et moyens pour réaliser l’union internationaliste et combattante des prolétaires. Mais si une analyse de la crise a une quelconque utilité, ce n’est qu’en tant qu’elle peut y contribuer. Et elle peut y contribuer si elle montre ses racines, c’est à dire ce qu’il faut éliminer, éradiquer au sens propre si on veut réellement « en sortir ». Pour s’unir il faut se délimiter disait justement Lénine (ce qui est, soit dit en passant, tout l’art du révolutionnaire car il ne faut ni s’isoler dans le sectarisme et le « solo funèbre », ni tomber dans l’opportunisme mou qui affadit et désarme). Sur le sujet de la crise la délimitation est dans la détermination de ses causes fondamentales. Ce ne sont pas les faits qui sont discutables. Tous les économistes sont d’accord sur des faits telles que les bulles extravagantes et « irrationnelles » même pour eux du capital financier, les augmentations de la productivité et du chômage, les désastres écologiques, la faiblesse de la croissance, etc. Mais ce qu’en général les uns et les autres refusent de voir et de dire, c’est d’une part que la crise est inhérente au capitalisme, et d’autre part que le niveau mondial d’expansion, de productivité et d’accumulation qu’il a atteint constitue une limite qu’il ne peut repousser que de plus en plus difficilement, et au prix de destructions massives.
C’est une distinction essentielle. Elle permet de séparer ceux qui proposent de sauver le capitalisme de ceux qui affirment que l’analyse de la crise montre non seulement qu’il faut l’éliminer, mais que les conditions matérielles, objectives, pour le faire sont vraiment réunies. Si la crise n’est due qu’à des spéculations, des erreurs, une démission des Etats devant les errances du capital financier, ou toute autre raison conjoncturelle comme le disent encore les réformistes de la gauche, alors une autre politique est possible, « 100% à gauche » cette fois-ci, pour développer les « bons » côtés du capitalisme : esprit d’entreprise, démocratie, et redistribution équitable sous la sage direction d’un « bon » Etat bien gouverné. Vu les œuvres catastrophiques de la gauche depuis si longtemps, les immenses services qu’elle n’a cessés de rendre au capital, et vu que le capital n’a même plus de miettes à distribuer pour alimenter le réformisme, proposer d’être « 100% à gauche » est proposer aux prolétaires d’être 100% écrasés.
Mais si, comme il est argumenté dans cet ouvrage, la crise est non seulement inhérente au capital, inéluctable, mais, à ce stade historique du développement capitaliste, permanente et structurelle, comme nous savons aussi que ce développement n’est que l’aboutissement logique des rapports capitalistes de propriété, alors il n’y a plus qu’à conclure que ce n’est que par l’élimination de ces rapports qu’il est possible « d’en sortir ».
pages 115-119
La crise chronique ou le stade sénile du capitalisme
de Tom Thomas
Editions Contradictions, Bruxelles, 2004
ISBN 2 - 87090-048-1
ISSN-0770-8521