Accueil > Un jour je serai ce que je veux
de Mahmoud Darwich
Deux textes du poète palestinien disparuUn jour je serai ce que je veux.Un jour je serai une idée qu’aucun glaive ne porteA la terre désolée, aucun livre …Une idée pareille à la pluie sur une montagneFendue par la pousse d’un brin d’herbe.Et la force n’aura pas gagné,Ni la justice fugitive.Un jour je serai ce que je veux.Un jour je serai oiseau et, de mon néant,Je puiserai mon existence. Chaque fois que mes ailes se consument,Je me rapproche de la vérité et je renais des cendres.Je suis le dialogue des rêveurs.J’ai renoncé à mon corps et à mon âmePour accomplir mon premier voyage au sens,Mais il me consuma et disparut.Je suis l’absence. Je suis le célestePourchassé.Un jour je serai ce que je veux.Un jour je serais poèteEt l’eau se soumettra à ma clairvoyance.Métaphore de la métaphore que ma langueCar je ne dis ni n’indiqueUn lieu. Et le lieu est mon péché et mon alibi.Je suis de là-bas.Mon ici bondit de mes pas vers mon imagination …Je suis qui je fus, qui je seraiEt l’espace infini me façonne, puis me tue.Murale,Arles, Actes Sud, 2003IdentitéInscris !Je suis ArabeLe numéro de ma carte : cinquante milleNombre d’enfants : huitEt le neuvième... arrivera après l’été !Et te voilà furieux !Inscris !Je suis ArabeJe travaille à la carrière avec mes compagnons de peineEt j’ai huit bambinsLeur galette de painLes vêtements, leur cahier d’écolierJe les tire des rochers...Oh ! je n’irai pas quémander l’aumône à ta porteJe ne me fais pas tout petit au porche de ton palaisEt te voilà furieux !Inscris !Je suis ArabeSans nom de famille - je suis mon prénom« Patient infiniment » dans un pays où tousVivent sur les braises de la ColèreMes racines...Avant la naissance du temps elles prirent piedAvant l’effusion de la duréeAvant le cyprès et l’olivier...avant l’éclosion de l’herbeMon père... est d’une famille de laboureursN’a rien avec messieurs les notablesMon grand-père était paysan - êtreSans valeur - ni ascendance.Ma maison, une hutte de gardienEn troncs et en roseauxVoilà qui je suis - cela te plaît-il ?Sans nom de famille, je ne suis que mon prénom.Inscris !Je suis ArabeMes cheveux... couleur du charbonMes yeux... couleur de caféSignes particuliers :Sur la tête un kefiyyé avec son cordon bien serréEt ma paume est dure comme une pierre...elle écorche celui qui la serreLa nourriture que je préfère c’estL’huile d’olive et le thymMon adresse :Je suis d’un village isolé...Où les rues n’ont plus de nomsEt tous les hommes... à la carrière comme au champAiment bien le communismeInscris !Je suis ArabeEt te voilà furieux !InscrisQue je suis ArabeQue tu as raflé les vignes de mes pèresEt la terre que je cultivaisMoi et mes enfants ensembleTu nous as tout pris hormisPour la survie de mes petits-filsLes rochers que voiciMais votre gouvernement va les saisir aussi...à ce que l’on dit !DONCInscris !En tête du premier feuilletQue je n’ai pas de haine pour les hommesQue je n’assaille personne mais queSi j’ai faimJe mange la chair de mon UsurpateurGare ! Gare ! GareÀ ma fureur !Chronique de la tristesse ordinaire suivie de Poèmes palestinienstraduction : Olivier CarréParis, Les Éditions du Cerf, 1989
Messages
1. Un jour je serai ce que je veux, 30 août 2008, 16:32, par Basta
Les deux absents : toi et moi,
moi et toi, les deux absents.
Deux blancs époux de mouettes
conversent de nuit sur les branches des chênes.
Pas d’amour, mais j’aime
les poèmes d’amour
anciens qui protègent
la lune souffrante, de la fumée.
Poussées et tirées, tel le violon dans les quatuors,
je m’éloigne de mon temps
quand je me rapproche
Des reliefs du lieu...
Plus de place dans la langue moderne
pour fêter ce que nous aimons,
tout ce qui adviendra... fut.
Le cheval est tombé, baignant
dans mon poème
et moi je suis tombé, baignant
dans le sang du cheval...
Extrait de Le cheval est tombé du poème dans Ne t’excuse pas,
éditions Actes Sud 2006, page 34
http://basta.20six.fr/basta/art/93551739/