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Roms, uniques objets de mon ressentiment… (Acte I)

Publie le lundi 6 septembre 2010 par Open-Publishing

de Maître Eolas

Le Gouvernement a donc décidé, pour
des motifs d’opportunité politique assez évidents sur lesquels je
ne m’étendrai pas, ayant assez de choses à dire par ailleurs, de
mettre en œuvre une politique d’expulsion, au sens premier du
terme : « pousser dehors », les Roms étrangers vivant en
France.

Ils sont fous, ces Roms, hein ?

Avant d’aller plus loin, qu’est-ce
qu’un Rom ? Rom vient du mot Rrom, en langue romani
(l’orthographe a été amputé d’une lettre en français, la
double consonne initiale n’existant pas dans cette langue), qui
signifie « homme » au sens d’être humain (féminin :

Roma ; pluriel :
Romané). Il
s’agit d’un peuple parti, semble-t-il (la transmission de la
culture étant orale chez les Roms, il n’existe pas de source
historique fiable, mais tant la langue romani
parlée par les Roms que la génétique confirme l’origine
géographique indienne)
, du Nord de l’Inde (Région du
Sindh, dans l’actuel Pakistan, et du Penjab pakistanais et indien)
aux alentours de l’an 1000 après Jésus-Christ, sans doute pour
fuir la société brahmanique de l’Inde qui les rejetait comme
intouchables (c’est donc une vieille tradition pour eux que d’être
regardés de travers par leur voisin).

Ils sont arrivés en Europe via la
Turquie au XIVe siècle, suivant les invasions des Tatars et de
Tamerlan, et s’installèrent dans l’Empire byzantin (qui les
appelle Ατσίγγανος , Atsinganos,
« non touchés », du nom d’une secte pré-islamique
disparue, dont les zélotes refusaient le contact physique ; quand
les Roms arrivèrent, les byzantins, qu’on a connu plus rigoureux
dans leur réflexion, les prirent pour des membres de cette secte),
ce qui donnera tsigane
, Zigeuner

en allemand et Zingaro
en italien. Ceci explique que leur foyer historique se situe dans

les actuelles Turquie, Roumanie, Bulgarie, pays qui restent les trois
principales populations de Roms, et dans les Balkans
(ex-Yougoslavie).

Outre des professions liées au
spectacle ambulant, les Roms se sont spécialisés dans des
professions comme ferronniers et chaudronniers, Γύφτοs,
Gyftos,
ce qui donnera Gypsies
en anglais,
Gitano en
espagnol, et Gitan et Égyptien en Français (dans Notre Dame de
Paris, la Recluse appelle Esmeralda « Égyptienne » ; et
Scapin appelle Zerbinette « crue d’Égypte »).

Le roi
de Bohême (actuelle république Tchèque) leur accordera au XVe
siècle un passeport facilitant leur circulation en Europe, d’où
leur nom de Bohémiens. De même, le Pape leur accordera sa
protection (Benoît XVI est donc une fois de plus un grand
conservateur) Leur arrivée en France est attestée à Paris en 1427
par le Journal d’un Bourgeois de Paris (qui leur fit très bon
accueil) — C’est d’ailleurs à cette époque que se situe
l’action du roman d’Hugo
Notre Dame de Paris.

Pour
en finir avec les différents noms qu’on leur donne, Romanichel
vient du romani
Romani Çel,
« groupe d’hommes », Manouche semble venir du sanskrit
manusha, « homme », soit le mot Rrom en romani, et Sinti
semble venir du mot Sind, la rivière qui a donné son nom à la
province du Sindh dont sont originaires les Roms. Sinti et Manouche
désignent la même population rom établie dans les pays
germanophones et presque intégralement exterminés lors de la
Seconde guerre mondiale C’est pourquoi le mot Tsigane, évoquant
l’allemand
Zigeuner,
d’où le Z tatoué sur les prisonniers roms, est considéré comme
blessant aujourd’hui .

Il
convient ici de rappeler que les Roms ont été, aux côtés des
Juifs, les cibles prioritaires de la politique d’extermination
nazie. Le nombre de victimes du génocide, que les Roms appellent

Samudaripen
(« meurtre collectif total »)
,
se situe aux alentours de 500 000, avec pour les Sinti allemands
entre 90 et 95% de morts.

Ces mots peuvent être utilisés
indifféremment pour désigner les Roms, encore que les siècles
d’installation dans des pays différents ont fait apparaître des
différences culturelles profondes. Même la langue romani n’est
plus un dénominateur commun, puisque les Roms d’Espagne et du sud
de la France, les Gitans, parlent le kalo, un sabir mâtiné
d’espagnol, depuis qu’une loi espagnole punissait de la
mutilation de la langue le fait de parler romani (les espagnols ont
un atavisme profond avec les langues, mais c’est un autre sujet).

En 1971 s’est tenu à Londres le
Congrès de l’Union Rom Internationale (IRU) qui a adopté le terme
de « Rom » pour désigner toutes les populations du
peuple rom, d’où l’usage de ce terme dans ce billet (ce que les
gitans refusent, eux se disent kalé).
Le mot rom ne vient donc absolument pas de Roumanie, ni de Rome, bien
que ce peuple se soit installé en Roumanie et auparavant dans
l’Empire romain d’Orient.

Je ne puis conclure ce paragraphe sans
vous inviter à lire les commentaires de cet article, où je ne doute
pas que des lecteurs plus érudits que moi apporteront de précieuses
précisions ou, le cas échéant, rectifications.

Tous les chemins mènent aux Roms

Les Gens du voyage sont-ils des Roms ?
En un mot, non. Le nomadisme n’est pas une tradition chez les Roms,
mais une nécessité historique. Aujourd’hui , entre 2 et 4% des Roms
sont du voyage, c’est-à-dire ont fait le choix d’une vie nomade.
Et beaucoup de gens du voyage ne sont pas roms, comme les Yéniches,
que l’on prend souvent pour des Roms. Les forains sont aussi
nomades, mais du fait de leur profession, et pour la plupart ne sont
pas Roms. Et si demain, il vous prenait la fantaisie de vivre une vie
nomade, vous deviendriez aussitôt Gens du Voyage, sans pour autant
devenir Rom (sauf aux yeux des lecteurs du Figaro). Un abus de
langage est apparu du fait que la Constitution française interdit
toute distinction sur une base ethnique. Le terme de Gens du Voyage,
neutre de ce point de vue, est souvent employé aux lieu et place du
mot Rom. Or ce ne sont pas des synonymes.

Ce qui d’emblée montre que le
problème des occupations illégales de terrains, publics ou privés,
par des Roms ne vient pas uniquement du fait que la loi Besson (pas
Éric, non, celui qui est resté de gauche, Louis)
du 5 juillet 2000, qui oblige les communes de plus de 5000 habitants
à prévoir des aires d’accueil, est allègrement ignorée par la
majorité des maires.

Quand un Rom viole la loi, c’est mal.
Quand l’État viole la loi, c’est la France. Laissez tomber,
c’est de l’identité nationale, vous ne pouvez pas comprendre.

La majorité des Roms en France sont
Français, et leur famille l’est même depuis plusieurs siècles.
Les Roms ont de tout temps adopté le style de vie des pays où ils
se sont installés, jusqu’à la religion (ils sont catholiques en
France, protestants en Allemagne, musulmans en Turquie et dans les
Balkans), et il ne viendrait pas à l’idée d’un Rom de donner à
ses enfants un prénom qui ne soit pas du pays où il nait (lire les
prénoms des enfants d’une famille rom permet parfois de retracer
leur pérégrination ; exemple : Dragan, Mikos, Giuseppe,
Jean-Pierre). Cela ne les empêche pas de garder vivace la tradition
rom, à commencer par la langue romani, et l’importance primordiale
de la famille élargie (la solidarité n’est pas un vain mot chez
les Roms). Il est d’ailleurs parfaitement possible qu’un de vos
collègues de travail soit Rom et que vous ne l’ayez jamais
soupçonné.

Naturellement, ces Roms ne sont pas
personnellement menacés par la politique actuelle, même s’il est
probable qu’ils la vivent assez mal.

Les Roms étrangers sont donc quant à
eux des migrants qui veulent une maison qui ne bouge pas, et habitent
des habitations de fortune, triste résurgence des bidonvilles. Ils
viennent de pays qui ont toujours refusé l’intégration des Roms,
en faisant des parias dans leur propre pays. Même si l’intégration
à l’UE de ces pays a conduit à un changement total de politique,
les états d’esprit, eux n’ont pas changé, et le rejet répond
hélas souvent au rejet. Certains Roms se sont sédentarisés et tant
bien que mal intégrés, comme les Kalderashs (du roumain
Căldăraşi, chaudronniers,
habiles travailleurs du métal, en particulier du cuivre) ; d’autres,
comme les nomades, forment une société fermée et hostile aux
gadjé
— aux non-Roms. La plupart des Roms de Roumanie qui viennent en
France sont des
kalderashs,
et non des nomades, fuyant la misère et le rejet dont ils font
l’objet dans leur pays. Donc, pas des gens du voyage.

Les
roms des Balkans (ils sont nombreux en Serbie et au Kosovo) fuient
eux aussi la misère, même si certains demandent l’asile (très
peu l’obtiennent) prétendant faire l’objet de persécutions. Il
faut reconnaître que lors de la guerre du Kosovo en 1999, des Roms
ont été recrutés par les troupes serbes pour se livrer à des
opérations militaires de nature à intéresser le tribunal pénal
international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY), et se sont acquittés
de cette tâche avec un zèle qui n’a pas laissé de très bons
souvenirs auprès des populations kosovares (j’entends par là :
albanais du Kosovo).

Des Roms, des stats et de la bière nom de Dieu

Une question se pose, et je ne tiens
pas à l’éluder : celle des Roms et de la délinquance. Le lien
est certain, les chiffres ne mentent pas. Partout en Europe, les Roms
sont bien plus victimes de la délinquance que les autres
populations. Destructions de biens, agressions racistes, sur lesquelles les autorités
ferment bien volontiers les yeux, d’autant plus que les Roms, on se
demande pourquoi, ont développé à leur encontre une certaine
méfiance, quand ce ne sont pas des pogroms. Sans compter les crimes
contre l’humanité subis par ce peuple, que ce soit le génocide
nazi ou la réduction en esclavage en Valachie et en Moldavie —oui,
des esclaves en Europe— jusqu’à la seconde moitié du XIXe
siècle.

Ce n’est pas une boutade, c’est une
réalité : la délinquance, les Roms en sont d’abord victimes. On a
déjà vu que même en France, État de droit imparfait mais État de
droit, l’État ne respecte pas la loi Besson. Vous verrez dans la
suite de ce billet qu’au moment où je vous parle, il fait encore
pire à leur encontre puisque la politique d’expulsion mise en
œuvre est illégale. Ce n’est pas moi qui le dis, ce sont les
juges administratifs. L’Union
européenne l’a remarqué
. Le
Conseil de l’Europe l’a remarqué
. L’ONU
l’a remarqué
. Le
Pape l’a remarqué
. L’UMP n’a rien remarqué.

Mais n’esquivons pas la question de
la délinquance de Roms. De Roms, pas DES Roms. Elle existe, c’est
indéniable, ne serait-ce du fait qu’aucun groupe humain n’est
épargné. Est-elle plus élevée que dans les autres groupes sociaux
 ? C’est probable.

Évacuons rapidement une question sur laquelle je reviendrai dans le prochain billet : l’occupation sans droit ni titres de terrains publics ou privés. Il ne s’agit pas de délinquance, puisqu’au pire (occupation d’un terrain public), ces faits sont punis d’une contravention de grande voirie.

Les causes premières de la
délinquance, au-delà du mécanisme intime et personnel du passage à
l’acte, qui fonde la personnalisation de la peine, sont la pauvreté
(liée au chômage ou à la précarité de l’emploi ; un CDD est
aussi rare dans une audience correctionnelle que la vérité dans la
bouche d’Éric Besson), l’exclusion (qu’entraîne mécaniquement
le fait d’être sans-papier, notamment), le faible niveau
d’instruction (qui empêche d’accéder aux professions
rémunératrices), outre le fait que la délinquance concerne surtout
des populations jeunes (le premier enfant a un effet remarquable sur
la récidive).

Vous avez remarqué ? Je ne viens pas
de vous dresser un portrait du jeune versaillais. Plutôt celui du
jeune Rom des terrains vagues. Ou du jeune des cités, soit dit en
passant pour la prochaine fois ou on tapera sur eux. À vous de voir
avec votre conscience si vous voulez y ajouter une composante
génétique.

Parce qu’aucune statistique n’existe
sur la délinquance des Roms. Aucune. Tout simplement parce que ce
serait interdit : Rom est une origine ethnique, or la loi prohibe la
constitution de fichier sur des bases ethniques ou raciales — suite
à un précédent quelque peu fâcheux.

Donc quand le ministre de l’intérieur
Brice Hortefeux, que l’on a connu plus méticuleux en matière
d’arithmétique
ethnique
, prétend présenter des statistiques
de la délinquance des Roms
pour justifier la politique du
Gouvernement, il ment. Je sais, ça devient une tradition de ce
Gouvernement, mais que voulez-vous, je n’arrive pas à m’y faire.
Quelqu’un, je ne sais plus qui, m’a mis dans la tête l’idée
saugrenue de République exemplaire, du coup, je fais un blocage.

Le ministre de l’intérieur a cru
devoir présenter publiquement (sur RTL) le 25 août des statistiques
fondées sur « une étude des services de police », non
sur l’origine ethnique, interdite, mais sur la nationalité du
délinquant, roumaine en l’occurrence.

Mes lecteurs ayant suivi jusqu’ici
ont déjà compris l’inanité de l’affirmation. Rom ne veut pas
dire Roumain, et le ministre joue ici sur la ressemblance des termes,
et l’inculture de son auditoire. Mes lecteurs sachant faire la
différence entre un mot sanskrit et un mot latin, je ne m’attarderai
pas sur ce stratagème grossier, qui ne trompera que qui veut être
trompé.

De plus, les services de police, même
si on leur fait perdre un temps précieux depuis des années à
collectionner des statistiques inutiles hormis à la communication
gouvernementale, ne sont pas un service de statistique. La méthode
de récolement des données n’a rien de scientifique et n’a jamais
eu la prétention de l’être. Elle repose sur les délits constatés
ou dénoncés, ayant donné lieu à élucidation. Donc préalablement
à enquête. Or la distribution des effectifs et des moyens (limités,
et de plus en plus du fait de ce même Gouvernement) dépend pour
l’essentiel des directives données par ce même Gouvernement.

Je m’explique. Le Gouvernement estime
que l’opinion publique, qu’il confond hélas trop volontiers avec
le peuple souverain, est particulièrement remontée contre les vols
à la tire (les pickpockets) ou à l’arraché (qui en est une
variante un peu plus bourrin) dans les transports en commun. Le
ministre de l’intérieur va demander aux forces de police de mettre
la pression contre cette délinquance. Le commissaire de police va
recevoir cette instruction et va redistribuer ses effectifs, qui
préalablement luttaient contre les violences faites aux personnes,
sur les voleurs du métro. Mécaniquement, le nombre d’interpellation
pour des faits de violence va baisser. Les policiers interviendront
toujours lors d’une bagarre, mais n’arrêteront personne pour des
faits de violences légères, puisque leur mission est de surveiller
les voleurs à la tire. Un délit constaté de moins = baisse de la
statistique correspondante, sans que la réalité n’ait changé en
quoi que ce soit. En revanche, plus de voleurs à la tire seront
arrêtés (car la police reste malgré tout plutôt efficace dans son
boulot). Augmentation de la statistique, sans lien avec l’évolution
de la réalité. Voilà la méthodologie qui préside à la
confection de ces statistiques.

C’est pourquoi le ministre peut
proclamer des chiffres aussi aberrants, et sans hélas faire tiquer
qui que ce soit, qu’une augmentation de 138% en un an de la
délinquance roumaine. Personne ne fait le lien avec une autre
donnée, qui indique que 13,65% des auteurs de ces vols seraient
Roumains (sous-entendu : Roms). C’est-à-dire que 13,65% des
délinquants sont responsables d’une augmentation de 138% des délits. Qui a
dit que les Roms étaient des feignants ?

D’autant plus que pour fréquenter un
peu les prétoires parisiens, je suis assez bien placé pour savoir
qu’il existe aussi une délinquance roumaine non-rom, assez active
ces derniers mois, dite de l’escroquerie aux « Yes-card ».
Une Yes-card est une fausse carte de crédit qui, quel que soit le
code que vous tapez, renvoie toujours une réponse positive au
lecteur, faisant croire que la banque a accepté la transaction. Des
Roumains achètent ainsi des vêtements de marque et des parfums, et
vont les revendre à Bucarest. C’est une atteinte aux biens,
commise par des Roumains, mais pas par des Roms. Sauf dans les
statistiques de M. Hortefeux.

Brisons là, ce billet mérite je pense
d’être soumis à vos commentaires. Le deuxième volet sera centré
sur le droit des étrangers et portera sur les mesures actuelles
d’expulsion, pour lesquelles le Gouvernement use selon les cas de
deux méthodes : soit violer la loi, soit se payer votre tête.

Et fort cher, si ça peut vous
consoler.

http://www.maitre-eolas.fr/post/2010/08/28/Roms,-uniques-objets-de-mon-ressentiment%E2%80%A6-%28Acte-I%29