Accueil > JOURNÉE MONDIALE POUR LA PAIX : Comment coexister ?

JOURNÉE MONDIALE POUR LA PAIX : Comment coexister ?

Publie le dimanche 2 janvier 2011 par Open-Publishing

Les musulmans en Occident d’une part, et les chrétiens en Orient d’autre part, considèrent qu’ils sont aujourd’hui le groupe religieux en butte à la persécution.

Le 1er Janvier est la Journée mondiale pour la paix. Il n’y a pas de paix sans justice. Le monde connaît une paix fragile, des tensions, des conflits et des formes variées de violence. Nous pouvons résumer cette situation en 5 points : le système dominant sur le plan politique est caractérisé par l’unilatéralisme, le recul du droit et la loi du plus fort. Sur le plan économique le libéralisme sauvage produit de la misère et des inégalités. Sur le plan social, les liens se rompent et l’intolérance grandit. Sur le plan des stratégies, les musulmans sont attaqués et les extrémistes parmi eux donnent de l’eau au moulin des xénophobes.

Le système hérité de l’après-guerre mondiale connaît ses limites, aggravées par l’unilatéralisme depuis la chute du mur de Berlin en 1989 et l’invasion de l’Irak en 2003. L’émergence de nouvelles puissances, de la Chine à l’Inde et au Brésil, n’a pas encore remodelé le schéma des rapports de force. Sur le plan de la doctrine, en Occident, censé être la terre des droits de l’homme, ressurgit le spectre du « fascisme » sous des formes nouvelles et subtiles. Il existe des populismes, racismes à l’encontre d’autrui différents. En Orient, l’intégrisme est visible profitant des contradictions générales.

Les musulmans en Occident d’une part, et les chrétiens en Orient d’autre part, considèrent qu’ils sont aujourd’hui le groupe religieux en butte à la persécution, à cause de leur foi. « Comment coexister ? » est la question de notre temps. Dans nombre de régions du monde, il n’est pas possible de professer et de manifester librement son opinion ou sa religion, sans mettre en danger sa vie et sa liberté personnelle.

Nulle communauté en effet, n’est l’unique victime, partout des flambées d’intolérance inadmissibles sont visibles, comme les lâches attentats contre des chrétiens irakiens et les épreuves qu’ils subissent dans d’autres contrées comme en « Terre sainte » à cause des occupations étrangères ; mais le sentiment antimusulman en Occident rappelle l’antisémitisme et le racisme le plus abject. La politique du deux poids, deux mesures à l’encontre des musulmans est la preuve qu’ils sont considérés comme le « nouvel ennemi ».

Le musulman est celui qui prend la figure du dissident dans un monde dominant areligieux ou antireligieux. L’hostilité envers la religion en général et l’Islam en particulier est un phénomène grave, lié surtout à la Crise sans précédent que vit l’humanité. Le populisme, la montée des extrêmes-droites et la xénophobie, d’une part, et le fanatisme réactif, d’autre part, ont le vent en poupe.

Le monde semble courir à sa perte et remettre en cause la possibilité d’une paix perpétuelle. Stigmatiser les musulmans, et limiter de manière arbitraire la liberté religieuse est ignoble, c’est contredire des valeurs fondamentales. Combattre la spiritualité, les valeurs de l’esprit et l’éthique aboutit à rendre impossible la possibilité d’une paix liée à la justice. Chaque personne a le droit à la liberté religieuse, du point de vue moral et spirituel.

Reconnaître l’altérité et tenir compte des droits d’autrui est la marque des sociétés civilisées. Les non-croyants dogmatiques ou les fanatiques religieux s’opposent à l’expression collective et publique de la liberté d’expression et de la foi d’autrui. La liberté religieuse ne s’épuise pas dans la seule dimension privée et individuelle, elle se met en oeuvre dans la communauté et la société. La foi est une affaire privée, intime, liée à la liberté de conscience, mais la religion est un bien public, d’utilité publique. Il n’est pas juste que des croyants doivent se priver de ces droits afin d’être des citoyens modernes et respectés. Le monde moderne devrait apprendre qu’il n’est pas nécessaire de nier la foi pour s’épanouir et s’émanciper.

Selon tous les grands penseurs et théologiens de toutes les religions, quand la liberté religieuse est reconnue, la dignité humaine est respectée et la paix sociale consolidée.

La diversité est une opportunité de dialogue et d’enrichissement culturel réciproque. Savoir que l’unité du genre contient la multiplicité et que la multiplicité contient l’unité, doit être enraciné dès les premières phases de l’éducation. Il est temps de former à la connaissance de la reconnaissance d’autrui. C’est le chemin de la paix réfléchie.

La paix est en danger

Quand les droits élémentaires, à l’éducation, à la santé, au bien-être et à la liberté religieuse sont niés, la dignité humaine est bafouée et le lien social perturbé. Toute communauté doit pouvoir exercer librement le droit de vivre, le progrès et la foi en public ou en privé, de manière responsable, sans porter atteinte à l’ordre public et en respect des lois du pays. La même détermination avec laquelle sont condamnées toutes les formes de fanatisme et de fondamentalisme religieux, doit animer aussi l’opposition à toutes les formes d’hostilité à l’égard de la religion. Ni foi dogmatique et fermée, ni athéisme dogmatique et fermé, mais un être humain ouvert et digne.

Nul ne devrait subir de discrimination s’il veut exprimer ses convictions, changer de religion ou n’en professer aucune. Cependant, il doit respecter l’exigence légitime de l’ordre public. Tout en sachant que pour l’Islam le quitter après avoir librement adhéré et s’y opposer outrageusement est défini comme une faute. Ce sens de la responsabilité, ces droits et ces devoirs et de la paix civile sont les éléments incontournables d’une société civilisée et d’un Etat de droit bâti sur les libertés fondamentales et le respect des lois. Il n’y a pas de liberté sans loi.

Le prosélytisme et l’instrumentalisation de la liberté religieuse par des extrémistes ou des sectes pour masquer des intérêts occultes, pratiquer la subversion de l’ordre et tromper des gens en situation de faiblesse méritent d’être combattus avec toute la force de la loi. Les pratiques contraires à la dignité humaine, ne doivent pas êtres tolérées, même si elles se drapent de la liberté religieuse. La profession d’une religion ne peut pas être instrumentalisée, ni imposée par la subversion ou la ruse.

Les extrêmes se rejoignent, les fondamentalismes religieux et les laïcistes outranciers refusent le pluralisme et le vivre-ensemble. La société qui veut imposer, ou qui, au contraire, nie la religion par la violence, contredit les valeurs universelles. D’où l’importance du dialogue pour collaborer au bien commun.

L’unité du genre humain et le droit à la liberté de conscience et liberté religieuse pour tous les êtres humains sont fondamentaux en Islam : « Nul contrainte en religion ».

De son côté, l’Eglise catholique, depuis Vatican II en 1965, exprime clairement son estime des autres croyants, notamment les musulmans « Elle considère avec un respect sincère ces manières d’agir et de vivre, ces règles et ces doctrines qui, quoiqu’elles diffèrent en beaucoup de points de ce qu’elle-même tient et propose, cependant, apportent souvent un rayon de la vérité qui illumine tous les hommes. » Reste à dénoncer l’intégrisme chez les uns et les autres, pas seulement en rive Sud.

La Charte de l’Organisation des Nations unies de 1945, qui présente des principes moraux universels pour la coexistence mérite d’être rappelée. Car l’humanité est dans l’impasse et la paix en danger. Ce n’est pas une simple crise de plus. Nous sommes entrés dans la crise la plus grave de l’Histoire avec la perte de valeurs, la loi du plus fort, la sauvagerie dans tous les domaines, la marchandisation de la vie, le pillage et la destruction de la planète, le fanatisme, le racisme.
La terre a cessé d’être la demeure sacrée de l’homme et l’équilibre humain est perturbé. Il subit une vie traumatisante effrénée. L’incertitude règne et l’horizon semble fermé. La crise est d’abord morale. Les gens ne croient plus ni en eux-mêmes, ni dans les systèmes dominants. Le monde est en train de devenir invivable et impossible, malgré de prodigieux progrès technologiques.

Cependant, il est possible de dépasser cette situation et de transformer le risque en opportunités. En chacun de nous, le destin de l’humanité se joue. Nous ne sommes pas seulement un individu isolé, séparé des autres. Chacun est responsable. Tout est en relation avec tout. De nos pulsions, de nos paroles, actes ou silences dépend l’avenir. Il faut créer une autre dynamique, car on ne peut pas séparer le coeur, de la raison, l’individu, de la communauté, la mystique, de la raison. Ces oppositions tout comme les confusions ont mené à la déshumanisation. On ne peut connaître si on n’aime pas la vie. On ne peut pas bien vivre sans connaître.

Agir selon notre conscience

Notre culture précise qu’avant de vouloir changer le monde, il faut changer en soi-même. Se remettre en cause et retrouver notre humanité. Pour dépasser la fermeture inhérente à tout système clos sur lui-même, il faut créer du dialogue, vécu comme un partage sans lequel aucune communauté humaine ne saurait exister. Comprendre l’autre, ce qu’il dit, ce qu’il veut dire et ce qu’il tait. L’essentiel est de s’ouvrir à notre intériorité et à autrui. Sans les fins c’est-à-dire le sens, sans la logique c’est-à-dire le savoir objectif, sans la justice c’est-à-dire le droit, la politique devient une idéologie stérile. Le dialogue rend possible une transformation créatrice de la réalité pour parvenir à la paix. Dans le dialogue, tout est en jeu, la prise de conscience et la transformation mutuelle. Si l’on n’est pas libre en soi, on restera prisonnier d’un système. Le Prophète (Qsssl) demandait d’agir selon notre conscience.

Il ajoutait si tu veux connaître le Vrai connais-toi toi-même et une des dernières lettres de Platon se termine par ce mot d’ordre : sois toi-même.
Compte tenu des désillusions du progrès, de surcroit inégal, se fondant sur la raison instrumentale coupée du sens et de la justice, des repliements irrationnels sont visibles. Il faut revenir au travail de la raison sans la couper des significations et des buts de la vie. La sous-culture consumériste fait des ravages à cause de notre vide culturel. Le laxisme, la permissivité et l’immoralité font face aux fanatismes, aux rigorismes et aux intégrismes. Cela provoque le rejet, l’angoisse et la violence. Nous sommes loin de la paix.

Le monde moderne a mis l’accent sur le profit et la jouissance à tout prix, la logique de prédation et a marginalisé les valeurs de justice et de sens. On assiste à de la récupération politicienne de la modernité-sécularité-laïcité au service de l’incitation à la haine. Nous refusons que la modernité soit réduite à des considérations marchandes et xénophobes. La sécularité et la modernité alliées à l’authenticité sont celles de la liberté de conscience et d’expression des convictions, pas celles de la division et de la haine. Elles sont instrumentalisées pour agiter le spectre xénophobe et islamophobe et susciter de faux-débats créés à partir d’une réalité déformée.

Nul ne doit être dupe face aux manoeuvres électoralistes des partis populistes en temps de crise, qui se cachent derrière le sentiment ignoble antimusulman. Ils méritent mépris et condamnation fermes, tout comme les attitudes fondamentalistes. Coexister, dans la vigilance, c’est dénoncer l’inhumain, tous les inhumains, et énoncer des chemins de partage et de justice avec autrui pour vivre en paix. Bonnes années 1432 hégirienne et 2011 grégorienne et que puissent se consolider les liens de solidarité entre tous les citoyens du monde.

(*) Spécialiste du dialogue des civilisations
intellectuels@yahoo.fr

Mustapha CHÉRIF (*)

http://www.lexpressiondz.com/article/8/2011-01-02/84426.html