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DU CONFORMISME DES INTELLECTUELS PROGRESSISTES

par YUL

Publie le mardi 22 novembre 2011 par YUL - Open-Publishing
4 commentaires

Indignés d’Espagne, Occupants de Wall Street, de Madrid à New-York, les jeunes descendent dans la rue et protestent, exigeant à présent plus de justice sociale. Le sociologue Heinz Bude affirme qu’ils estiment [et espèrent] que : Le système est bon, mais il a perdu la raison : l’économie doit être au service des hommes, et non l’inverse.

Qui nous rappelle les paroles de Pier Paolo Pasolini en 1968 qui dénonçait ce qu’il nommait le « conformisme des progressistes » des intellectuels réformistes, les accusant de mener une lutte abstraite, inoffensive, « purement linguistique », d’être prisonniers d’un mode de vie « petit-bourgeois », et de masquer derrière leurs proclamations une pure et simple « terreur à l’égard de la réalité » : « J’ai passé ma vie à haïr les vieux bourgeois moralistes, il est donc normal que je doive haïr leurs enfants, aussi… La bourgeoisie met les barricades contre elle-même, les enfants à papa se révoltent contre leurs papas. La moitié des étudiants ne fait plus la Révolution mais la guerre civile. Ils sont des bourgeois tout comme leurs parents, ils ont un sens légalitaire de la vie, ils sont profondément conformistes. Pour nous, nés avec l’idée de la Révolution, il serait digne de rester fidèles à cet idéal. »

 Allocution de Slavoj ZIZEK
 Allocution de Arundhati ROY

Heinz Bude
Die Zeit
15.09.2011

Ce qui se passe ces temps-ci sur la place Tahrir du Caire, dans le quartier de Tottenham à Londres, sur le boulevard Rothschild à Tel-Aviv, à Madrid, en Tunisie ou au Chili, fait penser au mouvement contestataire de 1968. A l’époque aussi, des analyses documentées, avant le début des soulèvements, faisaient état d’une jeune génération globalement pondérée – et même sceptique à l’égard de la politique. Mais ce qui s’est passé à l’époque à Caracas, Tokyo, Paris, Prague ou Berlin était également une réaction à des situations locales spécifiques et difficilement comparables. Au milieu des années 1960, qu’avaient en commun Berlin l’humiliée, Paris l’élégante et San Francisco la décontractée ? La contestation prenait la forme d’un joyeux mélange de pensée hippie positive, d’idéalisme grave et de rêveries surréalistes. Le mouvement était à la fois plein d’énergie brute et d’une incroyable crédulité. Ce cocktail de violence, de passion et de critique de fond du système a frappé comme la foudre : les sociologues ne l’avaient pas prévu.

Aujourd’hui, la situation est exactement la même, à une différence près : le mouvement de 1968 était né d’une utopie ; en 2011, les précurseurs du renouveau ont la conviction que tout va désespérément de travers depuis leur venue au monde. Même ceux qui, en Tunisie, ont chassé le président Ben Ali, ceux qui ont traduit Hosni Moubarak en justice en Egypte, ceux qui s’opposent à Benyamin Nétanyahou en Israël et à Sebastián Piñera au Chili, ceux encore qui ont montré le vrai visage de David Cameron en Grande-Bretagne et du Premier ministre José Zapatero en Espagne ne croient pas que le ciel se dégage. Le système est bon, mais il a perdu la raison : l’économie doit être au service des hommes, et non l’inverse.

A leurs yeux, c’est cette idée simple qui fait renaître l’espoir. Nul ne croit que l’on pourra résoudre la crise de la dette sans que la société paie les pots cassés. Après tout, nous faisons tous partie de ce système. Et ce que nous reprochons aux Américains, est-ce que nous ne le faisons-nous pas nous-mêmes ? Cette clairvoyance des contestataires explique la forme curieusement peu héroïque du mouvement. Il manque un Che Guevara, un Rudi Dutschke ou une Angela Davis qui lui consacre sa vie. Certes, on connaît quelques visages, qui deviendront sans doute des égéries avant peu, mais aucun d’eux ne veut endosser le rôle de guide pour les masses. C’est l’inverse que l’on observe : personne ne veut se battre seul, on fait bloc et on mise sur l’effet de surprise en se servant du vide laissé par la politique. 

Une vie qui ait du sens

On chercherait en vain un concept de société qui fasse polémique. Au contraire, les frondeurs ne veulent en aucun cas remettre en cause un mode de vie fondé sur l’individualisme, la démocratie, la protection des minorités et une totale liberté de circulation, mais simplement le ramener à ses fondamentaux. C’est le sens de ce mouvement contestataire qui s’appuie sur des idées telles que le respect des expériences de chacun et la restauration de la confiance dans la société. Plutôt que tout remettre en question, on préfère commencer quelque part. Tout repose sur un raisonnement terre à terre, et non sur le désir utopique de “changer le système”. Les problèmes sont bien trop concrets pour qu’on se permette de rêver. Il y a un monde béant entre les promesses d’avenir faites aux jeunes et les chances qu’on leur donne. La jeunesse a le sentiment de s’être fait mystifier à bien des égards. Les métiers créatifs ne mènent à rien, il est impossible de payer seul un logement et les imitations de vêtements de marque ne font pas le bonheur à long terme. C’est toute une génération qui a perdu l’espoir de mener une vie qui ait du sens – en Tunisie comme en Israël, en Angleterre comme en Grèce. La jeunesse est devenue l’incarnation de l’exclusion sociale. On est jeune indépendamment de son âge, on est jeune lorsqu’on n’a pas de travail, pas de famille et pas de toit au-dessus de la tête. 

Jeunes instruits et interconnectés

Naturellement, ce sont les privilégiés qui peuvent se permettre de protester, comme toujours. Mais il leur suffit de se pencher sur leur propre génération pour s’apercevoir des tristes inégalités qui existent en son sein : c’est particulièrement flagrant entre des jeunes de même âge. C’est un scandale moral. La génération devient ainsi le siège des inégalités vécues. La justice sociale est l’horizon commun d’individus confrontés à des problèmes radicalement différents. La justice sociale en Israël, c’est le rétablissement d’un équilibre social entre ceux qui, jour après jour, doivent se serrer la ceinture et les orthodoxes et les colons qui n’ont qu’à tendre la main. Au Chili, c’est pouvoir suivre une formation qui ne mène pas à la misère. En Espagne, c’est la possibilité de trouver un emploi à peu près décent. En cela, le mouvement de protestation de 2011 ressemble en effet à celui de 1968 : il est animé par des jeunes issus de “petites” familles, dont les parents ont gravi les échelons de la société et qui possèdent de grandes compétences sociales. Ils parlent anglais couramment et sont en contact avec d’autres jeunes de leur âge dans le monde entier. Contrairement aux anciens “héros” de la critique sociale, ils n’ont pas besoin de cacher qu’ils viennent de la classe moyenne. Ils sont le témoignage authentique d’un monde de plus en plus instruit, interconnecté, où l’épanouissement personnel passe par l’expérience. C’est justement pour ces raisons qu’ils entendent mettre un terme à une réalité qui s’abuse elle-même dans l’image d’une société du “gagnant-gagnant” où chacun joue pour soi.

http://laboratoireurbanismeinsurrectionnel.blogspot.com/2011/11/du-conformisme-des-progressistes.html

Messages

  • Le sociologue Heinz Bude affirme qu’ils estiment [et espèrent] que : Le système est bon, mais il a perdu la raison : l’économie doit être au service des hommes, et non l’inverse.

    Je crois qu’il n’a pas tort dans son analyse sur ce point (hélas) !!

  • le système est bon ??? il y a un énorme malentendu !!!! non ?

  • Aux USA, les syndicats ouvriers sont très présents depuis peu de temps après le début.

    Postiers, travailleurs de Verizon en lutte, des transports, de l’hotellerie, syndicats d’enseignants, forte présence des infirmières une des professions ayant beaucoup bougé ces derniers temps, etc..

    Plusieurs fois des petits cortèges sont venus des quartiers les plus populaires de New York.

    Il est exact qu’au tout début il y a eut des jeunes précaires et chomeurs bien formés et rompus à la communication, mais rapidement c’est sur un terrain social central que la bataille a été menée.

    Maintenant dans les centaines de villes américaines où ce mouvement existe il a une partie de syndicalistes dedans non négligable.

    Meme des fois ça pose question comme la participation de l’AFL-CIO dans l’Oregon , mais la situation est telle aux USA qu’on voit des syndicats travaillés et secoués dans le cadre du chaos de la crise

    Dans les années 60 les soulevements de la jeunesse américaine démarrerent sur le racisme, contre la guerre, sur la libéralisation des moeurs et ces mouvements (sauf une partie du mouvement noir, une partie...) fut largement marqué par la petite bourgeoisie voir de fils de la bourgeoisie,ce n’est pas le cas aujourd’hui.

    La jeunesse en cause n’a plus rien à voir avec celles de l’époque, elle est composée de fils et filles de travailleurs et travailleuses , et pense son destin comme prolétaires (meme si elle n’emploie pas ces mots là) et bouge là dessus.

    Et cette jeunesse n’est pas rdéuctible à la jeunesse scolarisée mais plus souvent est composée de jeunes précaires...

    Pas d’envolées lyriques à la Pasolini, pas de conscience planétaire individuelles ?

    Mais les années 60 et le déclenchement des soulevements américains furent-elles le fruit d’envolées lyriques ou tout simplement la bataille pour n’etre pas conscrits et envoyés en Indochine (50 000 GIs y trouverent la mort , il y eut des centaines de milliers de blessés), ou par ailleurs pouvoir écouter des concerts pop ou rock ?

    Il ne faudrait pas prendre l’histoire des années 60 par sa fin du point de vue des masses en mouvement.

    De quoi parle-t-on ?

    Réformisme ?

    Oui bien sur, comme tous les grands mouvements ceux-ci partirent de revendications réformistes, est-ce nouveau ?

    Ce n’est que très accéssoirement par des discours que les gens évoluent. L’essentiel de leurs évolutions se font quand ils explorent les impasses dans l’action sans etre trops défaits par celles-ci.

    Du pain et la paix comme charge de dynamite en 1917
    Du pain en 1789
    68, un monome de jeunes etudiants
    2011, une bataille contre les banques, groupes financiers haute bourgeoisie

    On n’écrit pas l’histoire par sa fin

    • C’est un article qui interrogeait le rôle des intellectuels en période de troubles ou pré-insurrectionnelle ; et du décalage, aujourd’hui, entre leur propos réformiste et la situation malheureuse et désespérée de 49,1 millions de pauvres aux Etats-Unis, dont 3 millions suite à la crise de 2007/2008. D’une manière générale, les intellectuels progressistes développent des propos qui s’adressent en premier lieu aux classes moyennes, qui ne remettent pas fondamentalement en cause le capitalisme d’Etat et qui, en outre, fait l’impasse sur les conditions d’une plus que nécessaire redistribution des richesses -aux Etats-Unis comme ailleurs- susceptibles sinon de changer les sociétés mais d’améliorer le sort des plus pauvres. Que Zizek ou Arundhati Roy s’expriment en public à New-York devant Wall Street est remarquable, plus remarquable aurait été qu’ils s’adressent aux réfugiés de camps de tentes.
      Lorsque l’on parcourt l’histoire des révolutions et des insurrections, une caractéristique commune apparaît : la présence d’un leader/intellectuel qui sache diriger les foules, rassembler les multitudes de groupes opposés, par leur charisme, leur force de conviction, leurs discours et leur aptitude à lier les classes sociales [en autres]. C’est passablement regrettable mais sans Lénine et Trotsky, Fidel Castro, Thomas Sankara, Ho Chi Minh, Mao, etc., il n’est pas certain que les révolutions aient été victorieuses. De même - à l’opposé idéologique- pour Mussolini et le couple Peron en Argentine... L’Argentine, d’ailleurs, a qui il manqua en 2001, un leader de la gauche radicale, selon les témoignages de mes camarades argentins et de ce que j’ai pu moi-même observer.
      Ces véritables guides de la révolution ne semble pas apparaître aujourd’hui, et les intellectuels qui nous interpellent nous semblent bien fades par rapport aux enjeux : leur réformisme de petite portée n’empêchera certainement pas à un banquier de dormir mais peuvent satisfaire uniquement ceux qui n’ont pas tout perdu et qui en ont peur. Bien plus, l’action des indignés a pour résultat, en Grèce l’arrivée de pro-fascistes au gouvernement, l’arrivée de la Droite en Espagne... Tout ceci appelle donc à un réformisme plus radical, voire plus selon Pasolini...