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EGYPTE : "ON CONTINUE" (Un blog pour mieux comprendre... )

par Via Claude Deloume

Publie le samedi 3 décembre 2011 par Via Claude Deloume - Open-Publishing

Lu sur le Blog de Sylvie Nony, prof au Lycée Français du Caire :

" On continue !

3 décembre 2011

C’est ainsi que l’on peut traduire ce pochoir des Jeunes du 6 avril qui se répand sur les murs de la ville “mustamirrûn“, (ils continuent).

Ce lendemain d’élections peut apparaître désolant : il n’est pourtant que la traduction d’une réalité égyptienne connue depuis longtemps. Les partis islamistes qui raflent la mise ne sont pas nés d’hier et ont à leur acquis, des années d’action sociale et de lutte contre l’oppression. Les égyptiens qui leur ont donné leur voix, certes souvent sous la pression et sans être très informés, ont cependant pu croire qu’ils votaient pour les idéaux de la révolution, tout en étant en accord avec leurs convictions religieuses. Ces partis sont, en outre, loin d’être unis : les Frères et les salafistes se détestent, et on peut imaginer qu’au pied de l’exercice du pouvoir (ce qui n’est pas pour tout de suite) cela ne va pas s’arranger.

Pour autant la messe n’est pas dite, si j’ose dire. Le mouvement qui est né avec la révolution de janvier est profond, populaire, exigeant. Il faudrait maintenant une répression phénoménale pour faire taire les égyptiens. Or ce qui se passe dans la rue, dans les entreprises, dans les organisations syndicales laisse penser que la résistance va continuer de se structurer. L’enthousiasme des jeunes, comme ceux du parti socialiste ci-contre, ne faiblit pas. Vendredi matin ils étaient là pour discuter avec les gens de la place, vendre leurs journaux, défendre leurs propositions, expliquer leur position dans l’imbroglio des partis politiques égyptiens d’aujourd’hui.

Il faut reconnaître que peu de monde s’y retrouve et c’est le paradoxe de l’explosion de l’offre politique ici. La carte ci-dessous, présentant les différentes alliances qui briguent les suffrages égyptiens, soulève bien des questions :

Elle montre de façon simplifiée les partis et leurs alliances : le bloc “égyptien” qui va des libéraux chrétiens aux (ex) communistes du Tagammu‘, le bloc pour la poursuite de la révolution qui rassemble beaucoup de jeunes organisations, celui de la démocratie où se trouvent les Frères, et celui des islamistes qui contient trois partis salafistes. Une version plus élaborée (en anglais) réalisée par un chercheur a circulé sur les réseaux et dans la presse : la voici. Elle a sans doute inspiré la carte interactive du Monde. Chacune de ces versions est discutable dans sa présentation bien sûr, mais toutes ont en commun de montrer la complexité de ces alliances, à laquelle il faut ajouter celle du scrutin. Chaque électeur avait deux bulletins (quand tout le

matériel était dans le bureau de vote, ce qui n’a pas toujours été le cas) : l’un pour le scrutin de liste à la proportionnelle, concernant les partis, l’autre pour deux noms (scrutin nominal à deux tours) à choisir parmi deux catégories (“ouvriers et paysans”, et “autres catégories”), sans qu’il soit bien clair si l’électeur pouvait indifféremment puiser dans chacune des catégories un ou deux noms. Un talkshow à la télévision a même montré que les juges, censés être présents dans chaque bureau (en fait, cela n’a pas été possible partout), ne répondaient pas tous de la même façon à cette question. Et je passe sur les questions d’identification des électrices portant le Niqab, certaines détenant plusieurs cartes d’identité afin de voter pour leur famille, sur l’absence d’isoloir, sur les pressions exercées dans la queue des bureaux de vote, etc…etc…

Malgré tout, les égyptiens sont, dans leur immense majorité, fiers d’avoir voté et à ce titre, ceux des jeunes (très minoritaires) qui appelaient à boycotter ces élections ont été désavoués. Une chose est d’analyser avec lucidité le rôle actuel de l’armée, une autre chose est d’en déduire que l’expression démocratique est inutile. Et les égyptiens ne sont pas près d’abandonner ce droit conquis au prix de tant de vies. L’avenir immédiat du pays n’est pas très clair, mais c’est bien “la démocratie la solution”, comme le répète Alaa al-Asswani, en conclusion de son papier hebdomadaire dans le Masry al-Youm.

C’est lui (de dos sur la photo), qui remontait vendredi la rue Qasr el Einy, et se faisait interpeller par de nombreux passants : Docteur Alaa, pense aux martyrs ! Docteur Alaa, qu’est-ce qu’on peut faire ? Il n’en finissait pas de répondre aux interrogations, pendant que quelques milliers de personnes se dirigeaient vers l’assemblée nationale ou le conseil des ministres en criant “A bas le maréchal”, ou “Liberté, liberté” !

Les Cassandres qui seraient tentés de dire aujourd’hui : “on vous l’avait bien dit que ça finirait par la charia”, devraient y réfléchir à deux fois. La Tunisie d’aujourd’hui avec al-Nahda au pouvoir mais des milliers de femmes dans la rue pour réclamer leurs droits, des syndicats organisés dans les entreprises pour se faire entendre, n’a absolument rien à voir avec l’Iran ou l’Arabie Saoudite. La question aujourd’hui n’est pas tant la couleur du pouvoir politique en place que l’existence de réels contre-pouvoirs dans le pays. L’Egypte, avec quarante millions de jeunes de moins de 24 ans, a de l’énergie à revendre. Il faut lui laisser le temps d’apprendre à s’organiser, à prendre son avenir en main.

De plus, ce n’est ni le gouvernement de Ganzouri, qui a perdu toute légitimité en s’associant bon nombre des responsables de l’ancien régime, ni l’assemblée civile qui va sortir définitivement des urnes fin janvier qui gouvernent ici, c’est l’armée. Comment cette dernière va-t-elle passer le pouvoir et quand ? Va-t-elle tomber aussi simplement dans “les poubelles de l’histoire” que le laisse entendre ce tag sur les murs du Mogamma ?

C’est sans doute la question la plus décisive. "

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