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Des paradoxes d’une social-démocratie libertaire

par Pierre Bance

Publie le mercredi 7 décembre 2011 par Pierre Bance - Open-Publishing
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Des paradoxes d’une social-démocratie libertaire

publié sur le site [>http://www.autrefutur.org]

Pierre Bance

Étrangeté qu’une social-démocratie libertaire ! Incongruité qu’un parti libertaire ! Horreur qu’un État libertaire ! C’est pourtant de cela dont il est question avec la social-démocratie libertaire active au sein du Nouveau parti anticapitaliste. Le flagrant délit de viol de la doctrine autorise gendarmes et juges anarchistes à condamner l’idée sans procès. Ne peuvent couvrir ce déni ceux qui veulent avancer vers un autre futur.

Il faut, d’abord, admettre que des deux voies du communisme pas plus l’une que l’autre n’a prouvé qu’elle est la bonne ; le marxisme vautré dans la collaboration de classe ou écrasé par le poids des révolutions trahies est en déroute ; oubliant ses propres échecs, l’anarchisme s’en croit ragaillardi alors qu’il n’est pas même sorti des catacombes pour devenir une alternative audible. Il faut, ensuite, comprendre pourquoi des intellectuels, des militants en viennent à associer des outils d’analyse libertaires au concept de social-démocratie.

Cette social-démocratie libertaire postule que de la confrontation des multiples expressions et expériences anticapitalistes sortiront des solutions équilibrées pour le bien commun. En poursuivant ce dessein syncrétique, elle contribue à la recherche d’un passage vers la société libérée de la domination et de l’aliénation. La tentative n’est pas nouvelle mais, pour le présent, elle constitue un apport original dans une gauche radicale sans destin. Malheureusement, le projet ne résiste pas à une critique anarchiste parce que butant sur l’organisation en parti partout discréditée, parce que prônant la prise du pouvoir plutôt que sa destruction par l’autogestion généralisée, parce que maintenant l’État là où il pourrait être remplacé par le fédéralisme des autonomies. Un peu de libertaire dans la social-démocratie ne suffit pas à la transmuter en idée émancipatrice.

Alchimie

L’hypothèse est qu’il y aurait, entre marxisme et anarchisme, « une troisième politique d’émancipation qui puise dans les deux premières tout en répondant à une série de nouveaux enjeux » (1). L’idée n’est pas nouvelle ; depuis l’échec de la Première internationale et de la Commune, elle parcourt le mouvement socialiste ; les précurseurs en furent, probablement, les allemanistes, les allemanarchistes comme disaient leurs détracteurs (2). Elle revient particulièrement au temps des basses eaux d’un courant. Autrefois, plutôt du côté des anarchistes aux prises avec leurs difficultés d’organisation, leurs complexes devant la magnificence de l’idéologie marxiste, son impérialisme universitaire, politique et syndical. Désormais, plutôt du côté des marxistes confrontés à la fin annoncée de leur histoire. Bien que n’ayant jamais abouti, elle est, aujourd’hui plus que jamais, pour beaucoup de militants, comme le dernier espoir pour construire un autre futur communiste.

Il ne faut donc pas s’étonner, qu’en février 2003, Philippe Corcuff et Michaël Löwy, prirent l’initiative de publier un numéro de la revue théorique trotskiste Contretemps sur le thème « Changer le monde sans prendre le pouvoir ? Nouveaux libertaires, nouveaux communistes » (3). Poser la question, ici, révélait leur préoccupation. La lecture de ce numéro fait comprendre que la démarche sera longue ; les articles se suivent, plutôt juxtaposition d’opinions d’auteurs marxistes ou anarchistes que recherche volontariste de la synthèse souhaitée par les initiateurs en introduction :

« Plutôt que d’essayer de comptabiliser les erreurs et les fautes des uns et des autres – les kyrielles d’accusations réciproques ne manquent pas – nous voudrions plutôt mettre en avant l’aspect positif de cette expérience [la Première Internationale] : un mouvement internationaliste divers, multiple, démocratique, où des opinions politiques distinctes, sinon opposées, ont pu converger dans la réflexion et dans l’action pendant plusieurs années, jouant un rôle moteur dans la première grande révolution prolétarienne moderne [la Commune]. Une Internationale où, libertaires et marxistes ont pu – malgré les conflits – travailler ensemble et engager des actions communes » (4).

Dans ce numéro, Daniel Bensaïd s’offre le luxe d’étriller le philosophe marxiste John Holloway raillant l’idée qu’on puisse changer le monde sans constituer un parti et sans prendre le pouvoir (5). Cela commençait mal (6). La question théorique pour les marxistes est de savoir s’ils surajoutent quelques idées à la doxa initiale qui reste immuable après les avoir digérées ou s’ils convergent avec d’autres pour construire. Dans cette dernière hypothèse, la confrontation des idées doit s’accompagner d’une révolution culturelle de la pensée ce que ne parvint pas à faire Daniel Bensaïd, et d’une remise en cause des pratiques sur laquelle cala le Nouveau parti anticapitaliste (NPA) dès ses débuts (7).

Dans la tentative représentée par le NPA, l’idée « synthésiste » n’est pas née au sein de la Ligue communiste révolutionnaire (LCR), elle est venue de l’extérieur et s’y est implantée pour acquérir une audience qui dépassera le cercle de ses promoteurs. En décembre 1997, se crée la Sensibilité écologiste libertaire et radicalement sociale-démocrate (SELS) à l’initiative de quatre personnes : Philippe Corcuff, Claire Le Strat, Lilian Mathieu et Willy Pelletier. Le projet n’est pas de transmuter en or le bronze marxiste, de le rénover, mais de le fusionner avec diverses références politiques : l’écologie politique, le féminisme, la tradition libertaire et une social-démocratie radicale. Les membres des SELS sont d’abord intégrés comme « observateurs » au sein de la LCR. En juin 1999, une minorité, dont les principaux organisateurs, adhère à la LCR (8).

Indépendamment des déboires connues par le NPA (9), sur le plan théorique, il est intéressant de regarder l’analyse du réseau des SELS qui reste active sous le nom de social-démocratie libertaire. Sa ligne politique s’écrit d’abord par une provocation que rappelle Philippe Corcuff et Willy Pelletier :

« Nous n’étions ni “marxisteˮ, ni “révolutionnaireˮ quand nous sommes entrés à la LCR, et nous ne sommes devenus ni “marxistesˮ, ni “révolutionnairesˮ en cours de route » (10).

Voilà qui mérite précisions.

Ni marxistes, ni révolutionnaires

Si les membres de ce groupe ne sont pas marxistes c’est, en première instance, parce qu’ils contestent que « la structuration économique détermine l’ensemble des activités sociales » (11). Á côté de la domination économique existent d’autres dominations, politique, culturelle, sexuelle, etc. (Pierre Bourdieu), et le pouvoir n’est pas localisé à l’État ou au capital mais diffus dans la société dans de multiples relations sociales (Michel Foucault). Résoudre la question de la capitalisation économique est primordial mais ne règle pas nécessairement toutes celles relatives à la domination et au pouvoir. Trois autres points les écarteraient du marxisme :

 l’histoire n’a pas un sens prédéterminé faisant que le mode de production capitaliste s’écroulera sous ses contradictions car, en vérité, l’action politique garde sa part d’aléatoire et d’incertitude (Maurice Merleau-Ponty) ;

 le collectif ne doit pas écraser l’individu, les deux doivent se compléter dans une logique d’émancipation (les anarchistes) ;

 le productivisme n’est pas signe de progrès (les écologistes).

Ce propos est dépassé. Les marxistes, mis à part quelques dogmatiques, y adhèrent et l’on retrouve ces réflexions, en partie ou en totalité, chez la plupart des penseurs contemporains de ce qu’on appellera la gauche radicale (12). Ce n’est pas là-dessus que la mécanique unificatrice recherchée coince mais sur le choix de l’organisation la plus à même d’en finir avec le capital (parti politique ou autre chose), sur la prise du pouvoir et le sort de l’État (le gérer, le faire dépérir ou le détruire).

Si les membres de ce groupe ne sont pas révolutionnaires, c’est parce qu’ils considèrent qu’il n’y a pas un avant la révolution maléfique et un après merveilleux. On peut être réformiste et anticapitaliste, c’est-à-dire penser que l’on peut parvenir à la société socialiste par la voie parlementaire (Jean Jaurès). On peut être révolutionnaire et conduire à la dictature étatique plus qu’au socialisme (Vladimir Lénine et Léon Trotski). Il faut donc entre un réformisme tellement gradualiste et progressif qui fait que rien ne change, mieux que l’on gère ce que l’on prétend détruire, et une révolution sans garantie, trouver la voie efficace. Ce sera « un genre hybride : “réformistes révolutionnairesˮ […] en essayant d’articuler dialectiquement réformes structurelles et horizon radical d’une société non-capitaliste émancipée » (13). Ces intellectuels, militants politiques, ni marxistes, ni révolutionnaires, sont donc favorables à « l’hypothèse provocatrice » d’une social-démocratie libertaire. Philippe Corcuff en synthétise l’économie :

« La notion de social-démocratie libertaire n’a pas vocation à se présenter comme une solution unifiée aux problèmes de notre temps. Elle vise simplement à introduire des grains de sable dans les habitudes mentales et organisationnelles des gauches, à introduire de l’étrangeté par la mise en tension dans une même expression de deux postures traditionnellement séparées, voire opposées (“social-démocratieˮ et “libertaireˮ). Pour que de la mise en rapport de ressources issues de diverses traditions (anarchismes, marxismes, socialisme républicain, socialisme coopérativiste, etc.) avec les questions renouvelées du XXIe siècle naisse des découpages politiques différents du passé. C’est une notion qui invite donc à la réflexion, au-delà des esprits de clocher concurrents, mais ne la clôt pas sur une proposition définitive. Elle pointe seulement que les termes classiques, comme “communismeˮ ou “socialismeˮ (y compris “socialisme du XXIe siècle‟), apparaissent pour une part inadéquats à cette révolution culturelle. Mais dans cette configuration, “social-démocratieˮ comme “libertaireˮ voient aussi leurs sens se déplacer par rapport à leurs usages dominants » (14).

La social-démocratie dont on parle n’est pas celle de Guy Mollet, Pierre Mendès-France, Michel Rocard, Jacques Delors et autres « socialistes » des IIIe et IVe Républiques, mais celle de Jean Jaurès, Otto Bauer, surtout Rosa Luxemburg (15). Démocratique (républicaine) et sociale (socialiste), elle est le contraire de la totalité, d’une rigide synthèse, c’est « une conception expérimentale et exploratoire de la politique, rompant avec “la certitude”, “la nécessité” et “l’absolu”, et intégrant une part d’incertitude, de probabilité et de fragilité, sans pour autant abandonner tout repère stabilisé » (16). C’est en cela que la social-démocratie est libertaire mais dans un des sens édulcoré du mot, celui d’ouverture d’esprit, non dans son sens politique synonyme d’anarchiste car l’anarchie est une construction cohérente dans sa globalité (17).

Voulant intégrer « le caractère pluriel, composite et mouvant du monde » (18), la social-démocratie libertaire est naturellement conduite à des contradictions dont trois principales que les diverses idéologies socialistes ont chacune résolue par l’élimination du facteur qui les gênait, le facteur libertaire : le collectif contre l’individuel ; la représentation plutôt que la démocratie directe ; l’État aliénant, mieux l’État protecteur au lieu d’une société sans État. À lire ses promoteurs, la social-démocratie libertaire est affectée d’un symbiote anarchiste qui vient rectifier les travers, les tensions, les emballements étatique du socialisme, autoritaire ou non. La social-démocratie libertaire s’installe dans les anciennes institutions (partis, élections, pouvoir, Parlement, État) et sa critique anarchiste, facteur permanent de rappel à l’ambition nouvelle, prémunit contre toute déviation, à défaut, impose la rectification. La critique anarchiste empêche la réconciliation car « il n’y aurait de pire tyrannie qu’une société réconciliée, ou qu’une société politique réconciliée » puisque rapidement réapparaîtrait ce que l’on a voulu détruire (19) ; les exemples historique son nombreux au premier rang desquels la Révolution russe de 1917 mais aussi la Révolution espagnole de 1936 (20). Ainsi parviendrait-on à l’« équilibration des contraires » telle que l’envisagerait Pierre-Joseph Proudhon (21) ou à une forme de la démocratie radicale issue des luttes hégémoniques explorée par et Ernesto Laclau Chantal Mouffe (22). Comment sont donc « gérées » les trois contradictions, interdépendantes, de la social-démocratie libertaire ?

Liberté individuelle et représentation

La résolution de la première est un préalable à toute autre avancée. La liberté de l’individu ne doit souffrir du collectif que pour les nécessités de la vie en société quand l’égoïsme l’emporterait sur la solidarité (23). Un principe commun au libéralisme philosophique et à l’anarchisme mais étranger au marxisme dans sa version bolchévique et les applications du socialisme réel. En pratique, il s’agit de concilier respect de l’individu et efficacité de l’action collective dans l’organisation qui prétend conduire à une société émancipée comme dans la société elle-même. La social-démocratie libertaire sera une nouvelle tentative pour envisager, expérimenter un autre rapport à la politique qui fasse que le replacement de l’individu grâce à « l’invention libertaire » (24) ne se limite pas seulement à sa préservation dans l’action collective mais soit un renforcement de cette dernière, là où il est généra-lement représentée comme un frein.

« La lucidité libertaire à l’égard des mécanismes de concentration des pouvoirs, comme des satisfactions que l’occupation des hautes sphères publiques procure, est ainsi devenue un point de passage obligé » (25).

Mais les instruments de la critique anarchiste ont-ils un sens s’ils ne sont pas suivis d’une pratique anarchiste ? D’un projet communiste ?

Questions qui conduisent aux problématiques des deux autres contradictions : la représentation, le rôle de l’État. C’est plus dans le présent de son organisation et de ses possibles dans la société actuelle que dans le futur émancipé que la social-démocratie libertaire évoque des outils permettant de contrarier les modes de représentation aliénant la souveraineté individuelle (26). Il s’agit de réduire la domination bureaucratique des représentants (dirigeants, élus) sur les représentés (militants, électeurs) engendrée par la professionnalisation du politique (27). Pour cela, les doctrines anti-autoritaires proposent le mandat impératif (ou précis), la révocation à tout moment (ad nutum). Philippe Corcuff et ses camarades sont des lecteurs de Proudhon qui écrivait en 1848 :

« Le choix des capacités, le mandat impératif, la révocabilité permanente, sont les conséquences les plus immédiates, les plus incontestables du principe électoral. C’est l’inévitable programme de toute la démocratie » (28).

L’environnement politique n’est plus celui d’après la Révolution de février. Aujourd’hui, ces normes de la démocratie directe trouvent application dans un syndicalisme révolutionnaire informel qui refait surface dans les assemblées générales lors des conflits du travail locaux ou même nationaux comme durant la lutte contre la réforme des retraites d’octobre 2010, voire internationaux dans les pratiques des mouvements des « Indignés ». La social-démocratie libertaire souhaite les transposer dans le cadre politique d’un nouveau parti, « un paradoxal parti libertaire » qui les appliquerait à ses dirigeant et à ses élus (29). Encore faut-il s’entendre sur le mot parti, se rappeler ce qu’en disait Daniel Bensaïd : peu importe si le parti s’appelle organisation, force, mouvement, front, ligue ou autre chose, seul compte l’intention et « pourquoi ne pas appeler un chat un chat, et parti ce qui prend parti ? » (30). C’est donc bien d’un parti dont parle Willy Pelletier quand il décrit ce que le NPA devrait être :

« Un parti politique libertaire, organisé autour de quelques dispositifs : la collégialité et la mixité du porte-parolat pour éviter la concentration du capital symbolique, le principe du tourniquet à mi-mandat pour les élus institutionnels, l’interdiction des cumuls, le travail collectif à l’intérieur d’un groupe élus-co-élus… ».
« Un parti libertaire dans son organisation interne, libertaire dans son rapport défiant aux institutions, mais apte à gouverner (en se méfiant de lui-même gouvernant » (31).

L’État, mais quoi l’État ?

« Apte à gouverner ». La vocation d’un parti politique est, en effet, de prendre le pouvoir pour gouverner, non de le détruire. Il peut le faire de deux manières, les combinant parfois. La première est la révolution violente, la social-démocratie libertaire est assez sèche sur le sujet. La deuxième est la voie démocratique, soit l’élection. Elle a sa préférence mais avec nuance ; la notion de délégation de pouvoir, de représentation doit prendre diverse formes pour « inventer une nouvelle galaxie démocratique dé-professionnalisée » ; à côté de l’élection traditionnelle de la démocratie bourgeoise « composante secondaire, mais nécessaire » sont associés d’autres modes de représentation venant la mettre en tension : « les procédures directes, le participatif, le délibératif, le tirage au sort, le représentatif » (32). Tout moyen est bon pour plus de démocratie, mais quid du « nécessaire » de l’élection de type parlementaire ? Elle est nécessaire parce qu’un Parlement subsiste, pièce de « quelque chose comme un paradoxal “État libertaireˮ » (33). Ainsi :

« L’État n’est ni pour nous le seul ou le principal outil de changement, ni un diable dont on doit nécessairement se tenir à distance dans un “contre-pouvoir”. C’est un des outils disponibles du changement, qui a des inerties, des déformations et des pièges, et qu’on doit donc tenter de changer tout en essayant de le mettre au service du changement » (34).

Avant même d’être « apte à gouverner » l’État libertaire, le parti libertaire devra composer avec d’autres dans un gouvernement. Ce compromis étatique se fonde sur l’idée qu’il y parfois plus de radicalité dans la négociation que dans la radicalité quand cette dernière freine la progression. Comment pourra-t-il faire ce qu’une organisation libertaire, puissante, la Confédération nationale du travail, n’a pu réaliser en pleine révolution (35) ? Les outils libertaires ne s’adaptent pas au fonctionnement d’un gouvernement quel qu’il soit, même bien intentionné. Ils n’ont de sens que dans une organisation repensée à l’aune du fédéralisme auto-gestionnaire. Le pouvoir corrompt et pas plus qu’il n’y eut de ministres anarchistes, il n’y aura de députés libertaires (36). Si un gouvernement populaire acceptait que les députés (délégués) soient munis de mandat impératifs, soient révocables à tout moment par leurs mandats, alors ce gouvernement s’engagerait dans un ordre nouveau qui conduirait à la dissolution de l’ordre ancien ; ainsi se retrouverait-on dans un processus de dépérissement de l’État dont l’histoire de l’État socialiste soviétique ou de la Chine populaire ont montré l’impossibilité voire l’inanité puisque conduisant à l’opposé du but recherché (37). Les penseurs de la social-démocratie libertaire annexent les outils de la critique anarchiste pour en faire apport au substrat social-démocrate radical comme le font, pour le marxisme, nombre de philosophes ripolineurs. Plus généralement le « libertaire » devient le remède indispensable à la survie des doctrines dépassées (38) ; de « fausses ruptures habillées de neuf, et de vraies impasses étatistes de toujours » (39). La démarche s’éclaire dans un texte récent de Philippe Corcuff :

« Être encore davantage “le parti anti et hors système”. Mais pas seulement au sens marxiste du terme : anti-système capitaliste, mais aussi au sens libertaire du terme : anti-système de la représentation politique professionnelle » (40).

Ainsi le marxisme est anticapitaliste ; le libertaire est contenu à la critique de la représentation. Le mot « libertaire » est purgé de sa signification première « anarchiste » laquelle est autant et même plus anticapitaliste que le marxisme quand elle prend la forme de la critique du capitalisme d’État. La critique anarchiste, dépossédée de son projet communiste, n’est plus que le cache-misère des déroutes idéologiques.

Quelque chose comme une confédération

La chose n’échappe pas aux partisans de la social-démocratie libertaire ; peut-être pressentent-ils qu’en se cantonnant à ce raisonnement, la social-démocratie libertaire nourrit sa propre mort. Philippe Corcuff et Lilian Mathieu ajustent le propos, se donnent de l’air :

« Nos valeurs pluralistes et libertaires, renforcées par les impasses autoritaires de l’émancipation au XXe siècle, les insuffisances historiques et actuelles des modèles anciens, “anarcho-syndicaliste” et “social-démocrate/léniniste”, comme l’inadéquation des stéréotypes actifs aujourd’hui vis-à-vis des réalités observables nous conduisent à privilégier, sur le plan d’une philosophie politique prescriptive, un modèle pluridimensionnel de contestation et de transformation sociales, faisant place à une pluralité d’institutions autonomes (syndicats, associations, mouvements, partis, etc.), non hiérarchisées, ayant des zones d’intervention pour une part communes, pour une part distinctes, engagées tout à la fois dans des tensions et des coopérations dans le cadre d’un équilibre instable et dynamique ».
Ils concluent : « Dans cette configuration, nous faisons l’hypothèse que le NPA a un rôle important, mais ni principal, ni dominant, à jouer » (41).

Conclusion qui aujourd’hui pourrait prêter à railleries tant la déception est profonde chez ceux qui crurent au devenir du PNA et tant sa mort était inscrite dans une analyse anarchiste du projet (42). Ceci ne dispense – surtout pas – de tirer les enseignements de l’échec pour progresser encore car avoir raison seuls ne conduit pas loin. Et les anarchistes commencent à le comprendre (43).

Les aspirations de la social-démocratie libertaire qui paraissent s’élargir dans le Réseau de réflexions et de pratiques autogestionnaires et libertaires, dépassent les limites d’un NPA agonisant dans une dernière dérive électoraliste (44) ; elles s’inscrivent dans le questionnement général sur le futur du communisme (45). Les nuances qu’apportent à leur idée les sociaux-démocrates libertaires, leurs ouvertures, leur réalisme sur l’état de la force révolutionnaire, font penser qu’ils sont proches du syndicalisme révolutionnaire. Ce n’est pas le cas pour, au moins, trois raisons :

 le syndicalisme révolutionnaire n’exclut pas l’action réformiste pour améliorer le bien-être social, mais son pragmatisme n’est qu’une phase de préparation à la révolution dont le détonateur est la grève générale (le rêve général) ;

 le syndicalisme révolutionnaire écarte radicalement la voie parlementaire ;

 le syndicalisme révolutionnaire propose de remplacer l’État bourgeois par une société fédéraliste à son image.

Ces trois raisons sont-elles suffisantes pour que les anti-autoritaires, toutes tendances confondues, repoussent d’un revers de main les idées de la social-démocratie libertaire s’enfermant dans leurs projets, certes magnifiques, mais végétatifs ? Quand, simple exemple, Philippe Corcuff et ses camarades réfléchissent à « quelque chose comme un paradoxal “État libertaireˮ », ce « paradoxal État » ne recouvre-t-il pas une solution proche des ambitions de la Première Internationale, de la Commune de Paris, du bref été de l’anarchie en Catalogne et du fédéralisme autogestionnaire (46) ?

Existe-t-il du côté des anticapitalistes anti-autoritaires cette volonté de sortir de leurs certitudes pour se poser de telles questions afin de contribuer à l’élaboration d’un projet qui ne sera pas exactement ce qu’ils voudraient mais qui s’en approchera ? Un projet qui se passe d’un parti en concevant une nouvelle forme d’organisation autogestionnaire ; qui renonce à la prise du pouvoir en cessant de conforter le jeu de la démocratie capitalo-parlementaire ; qui conçoive une autre société, fédéraliste, sans État, ou si peu d’État, où la seule autorité sera celle conférée par un mandat précis et révocable par les assemblées mandantes souveraines ? Un anarchiste, passé du côté des partis, assène une image pessimiste :

« Espérons, mais doutons. Il est à craindre qu’aujourd’hui comme hier, anarchistes et marxistes ne demeurent repliés sur leurs parcelles, et susceptibles d’analyses homologues à celles de Marx, relatives aux paysans parcellaires [Karl Marx, Le 18 Brumaire de Louis Bonaparte, 1852]. “Le mode de production” des anarchistes et des trotskistes “les isole les uns des autres, au lieu de les amener à des relations réciproques”. “Chacune des familles” anarchistes ou trotskiste “se suffit presque complètement à elle-même, produit directement elle-même la plus grandes partie de ce qu’elle consomme, et se procure ainsi des moyens de subsistance”. Cimenter l’alliance, séculariser les “traditions”, sacré défi ! Sociologiquement improbable » (47).

Improbable n’est pas révolutionnaire !

Notes

(1) Philippe Corcuff, « De Rosa Luxemburg à la social-démocratie libertaire », Contretemps, n° 6, février 2003, page 102.

(2) Jean Allemane (1843-1935), fils d’un modeste marchand de vin de Haute-Garonne, participa à la Commune ce qui lui valut la déportation en Nouvelle-Calédonie. De retour en 1880, il reprit son métier de typographe. Il adhéra au Parti ouvrier de Jules Guesde et scissionna avec les possibilistes de Paul Brousse en 1882. Ces derniers l’exclurent de la Fédération des travailleurs socialistes de France et le conduisirent à fonder, avec ses partisans, le Parti ouvrier socialiste révolutionnaire en 1890 ; bien que Jean Allemane ni occupa aucune responsabilité particulière, on l’appela le parti allemaniste. Plus que des anarchistes, c’est des syndicalistes révolutionnaires que ce parti fut proche prônant notamment la grève générale. En déclin, les allemanistes se fondirent dans la Section française de l’Internationale ouvrières (SFIO) en 1905 ; Allemane remplit une charge de député de Paris de 1901 à 1902, puis de 1906 à 1910. Après la guerre, il suivit avec sympathie la fondation du Parti communiste mais désapprouva la théorie léniniste sur les syndicats.
Voir la biographie de Jean Allemane, la bibliographie et les sites s’y rapportant sur Wikipédia (http://fr.wikipedia.org/wiki/Jean_Allemane).

(3) Contretemps, « Changer le monde sans prendre le pouvoir ? Nouveaux libertaires, nouveaux communistes », dosser rassemblé par Philippe Corcuff et Michaël Löwy, n° 6, février 2003, 196 pages.
« Changer le monde sans prendre le pouvoir » rappelle le titre d’un fameux ouvrage de John Holloway, Changer le monde sans prendre le pouvoir. Le sens de la révolution aujourd’hui, traduit de l’édition espagnole (Mexique) par Sylvie Bosserelle, coédition Syllepse (Paris) et Lux (Montréal), 2007, 320 pages.
On remarquera également que le sous-titre « Nouveaux libertaires, nouveaux communistes », n’est pas rigoureux. Étant entendu que les libertaires sont des communistes, il fallait écrire « Nouveaux libertaires, nouveaux marxistes ».

(4) Contretemps, n° 6, février 2003, précité note (3), page 9.
Ce à quoi, deux universitaires suisses, Philippe Gottraux et Bernard Voutat, ajoutent : « Il n’en reste pas moins que certaines de ces traductions ont manifesté dans l’histoire des enjeux bien réels, au demeurant tranchés parfois devant les pelotons d’exécution » (« Anarchisme et marxisme : vrai contentieux et faux clivage », Contretemps, précité, page 174).

(5) Daniel Bensaïd, « La Révolution sans prendre pouvoir ? À propos d’un récent livre de John Holloway », Contretemps, n° 6, février 2003, précité note (3), page 45.
Sur ce livre ce livre voir ci-dessus la note (3).

(6) Et continue mal. En 2011, dès l’introduction d’un article, un de la vieille garde trotskiste, dans la nouvelle série de la même revue, prend à rebours la proposition de Philippe Corcuff et Michaël Löwy : « L’Association internationale des travailleurs (1ère Internationale) fut dissoute en 1876, après des débats qui manifestaient l’incompréhension de ce que son fédéralisme et ses confusions théoriques et politiques étaient une cause importante de la défaite de la Commune de Paris », il ajoute un insert superfétatoire, comme pour casser toute réflexion sur le fédéralisme et bloquer toute discussion avec les anarchistes plutôt susceptibles sur le sujet : fédéralisme et confusions « qui avaient en particulier permis le fractionnisme de Bakounine, grand responsable de l’échec de la Commune de Lyon » (Michel Lequenne, « Un seul marxisme – 3. Dernières luttes de Marx et Engels », Contretemps, n°10, juin 2011, page 127).

(7) Voir Pierre Bance, « Lecture syndicaliste révolutionnaire de Daniel Bensaïd », Autrefutur.org, septembre 2011 (http://www.autrefutur.org/IMG/pdf/Lecture_syndicaliste_re_volutionnaire_de_Daniel_Bensai_d_-_Autre_futur-2.pdf).

(8) Ils viennent : Philippe Corcuff des Verts après être passé au Parti socialiste (tendance Ceres), puis au Mouvement des citoyens ; Claire Le Strat des Verts ; Lilian Mathieu et Willy Pelletier également des Verts mais après la Fédération anarchiste.
L’histoire est contée par Philippe Corcuff et Willy Pelletier dans un article : « “NPAˮ : l’expérience sociale-démocrate libertaire comme analyseur d’enjeux actuels », Critique communiste, n° 187, « Nouveau parti anticapitaliste : enjeux, stratégie, programme », juin 2008, page 171 (consultable sur : http://blogs.mediapart.fr/blog/philippe-corcuff/130808/de-la-lcr-au-npa-l-experience-sociale-democrate-libertaire-comme-a).
Le réseau des SELS est alors constitué de quelques dizaines de militants dont des professionnels de la politique idéologiquement peu sûrs comme Clémentine Autain.

(9) Voir son site : http://www.npa2009.org/.

(10) Philippe Corcuff et Willy Pelletier, « “NPAˮ : l’expérience sociale-démocrate libertaire comme analyseur d’enjeux actuels », Critique communiste, n° 187, juin 2008, article précité note (8).

(11) Philippe Corcuff et Willy Pelletier, « “NPAˮ : l’expérience sociale-démocrate libertaire comme analyseur d’enjeux actuels », Critique communiste, n° 187, juin 2008, article précité note (8).

(12) Lire, simple exemple, Alain Badiou et Slavoj Žižek (sous la direction de), L’Idée du communisme. Conférence de Londres, 2009, sl, Nouvelles éditions Lignes, 2010, 352 pages.

(13) Philippe Corcuff et Willy Pelletier, « “NPAˮ : l’expérience sociale-démocrate libertaire comme analyseur d’enjeux actuels », Critique communiste, n° 187, juin 2008, article précité note (8).
S’il existait toujours, il est probable que ce groupe eut sa place au Parti socialiste unifié (PSU) plus qu’à la LCR-NPA ralliée parce que force de la gauche radicale « la plus importante en quantité et en qualité » (article précité).

(14) Philippe Corcuff en introduction à « Galaxie altermondialiste et émancipation au XXIe siècle : l’hypothèse d’une social-démocratie libertaire », réflexion préparatoire à l’Université citoyenne d’Attac France (Toulouse, 22-26 août 2008) consacré à « L’altermondialisme aujourd’hui ». (http://blogs.mediapart.fr/blog/philippe-corcuff/200808/galaxie-altermondialiste-et-emancipation-au-xxieme-siecle-l-hypoth).

(15) Voir Philippe Corcuff, « De Rosa Luxemburg à la social-démocratie libertaire », Contretemps, n° 6, février 2003, précité note (3), page 101.

(16) Philippe Corcuff, « Galaxie altermondialiste et émancipation au XXIe siècle : l’hypothèse d’une social-démocratie libertaire », article précité note (14).

(17) Jean-Pierre Garnier, « Appellations peu contrôlées », à propos de mots « anarchiste » et « libertaire », Le Monde diplomatique, janvier 2009, page 17.

(18) Philippe Corcuff, B.a.-ba philosophique de la politique pour ceux qui ne sont ni énarques, ni politiciens, ni patrons, ni journalistes, Paris, Textuel, « Petite encyclopédie critique », 2011, 140 pages, citation page 96.

(19) Willy Pelletier, « Les anarchistes et la reproduction de l’anarchisme », Contretemps, n° 6, février 2003, précité note (3), citation page 170.

(20 ) Pour la première révolution voir le solide point de vue d’un historien anarchiste : René Berthier, Octobre 1917, le Thermidor de la révolution russe, Paris, Édition CNT Région parisienne, 2003, 286 pages.
Pour la deuxième, l’ouvrage destructeur de mythes et légendes de César M. Lorenzo, Le Mouvement anarchiste en Espagne. Pouvoir et révolution sociale (Seuil, 1969), Saint-Georges-d’Oléron, Les Éditions libertaires, 2006, 560 pages (deuxième édition enrichie d’un développement couvrant la période après 1970 jusqu’à l’approche des années 2000).

(21) Philippe Corcuff, « Galaxie altermondialiste et émancipation au XXIe siècle : l’hypothèse d’une social-démocratie libertaire », article précité note (14), 3e § « Un projet d’“équilibration” des tensions ». Voir également, pages 105 et 106 du B.a.-ba philosophique de la politique de Philippe Corcuff, précité note (18).
Pierre-Joseph Proudhon, Théorie de la propriété (1865), Paris, L’Harmattan, « Les introuvables », 1997, page 206. Ce livre est disponible sur le site de l’Université du Québec, le chapitre VII concernant « l’équilibration » commence page 92 (http://classiques.uqac.ca/classiques/Proudhon/theorie_de_la_propriete/theorie_de_la_propriete.pdf).La deuxième édition de 1866 peut également être consultée sur Google books, « l’équilibration » commence page 172 (http://books.google.fr/books).

(22) Ernesto Laclau, Chantal Mouffe, Hégémonie et stratégie socialiste. Vers une politique démocratique radicale (1985), préface à l’édition française d’Étienne Balibar, traduit de l’anglais par Julien Abriel, Besançon, Les Solitaires intempestifs, « Expériences philosophiques », 2009, 338 pages.

(23) Ce qui fait dire à Olivier Besancenot : « Plus largement, ce qui je puise dans la critique libertaire, c’est la tentative de réhabiliter une partie de la question de l’individu » (« Ma génération et l’individualisme. La gauche radicale face à de nouveaux défis » in Politiquement incorrects. Entretiens du XXIe siècle, Paris, Textuel, 2008, 384 pages, citation page 373 ; entretien avec Philippe Corcuff, précédemment publié dans Contretemps, n° 16, février 2006).

(24) Philippe Corcuff, « Nouveau parti anticapitaliste : c’est pour quand le “nouveau” ? », Rue89, 11 février 2011 (http://www.rue89.com/2011/02/11/nouveau-parti-anticapitaliste-cest-pour-quand-le-nouveau-189732).

(25) Philippe Corcuff, B.a.-ba philosophique de la politique, précité note (18), page 12.

(26) Philippe Corcuff précise : « La prise en compte de cette dimension est indispensable si l’on veut pointer des risques récurrents pour les projets politiques à visée émancipatrice, c’est-à-dire les risques d’être pris par le pouvoir qu’on croit prendre lorsqu’on veut changer les monde » (B.a.-ba philosophique de la politique, précité note [18], page 104).

(27) « Après deux siècles d’échecs des tentatives pour s’émanciper du capitalisme, nous avons maintenant compris que l’anticapitalisme ne peut aller sans critique libertaire de la professionnalisation et de la domination des représentants sur les représentés » (Philippe Corcuff, « La gauche après “les hommes providentiels” », Le Monde.fr, 19 mai 2011, à propos du retrait d’Olivier Besancenot de la compétition présidentielle).

(28) Pierre-Joseph Proudhon, Solution du problème social, Paris, Guillaumin, 1848, 119 pages, citation au chapitre II, point 4, page 79 (consultable sur Google Books).
Proudhon n’a pas inventé le mandat impératif, son origine est plus ancienne. Dans son acception moderne, on en trouve trace dès la Révolution française. Lire de Pierre-Henri Zaidman, Le Mandat impératif. De la Révolution française à la Commune de Paris, coédition des Éditions du Monde libertaire (Paris) et des Éditions libertaires (Saint-Georges-d’Oléron), sd, 90 pages.

(29) L’expression « paradoxal parti libertaire » se lit dans l’article « Non le NPA n’est pas morts ! » de Philippe Corcuff, Sandra Demarcq et Willy Pelletier, blog de Philippe Corcuff sur Mediapart, 18 février 2011 (http://blogs.mediapart.fr/blog/philippe-corcuff/180211/non-le-npa-nest-pas-mort).
Les écologistes ont tenté, sans succès, d’instaurer de tels parapets. Il suffit d’observer leur député européen Daniel Cohn-Bendit pour comprendre que le seul mandat qui le conduise est celui qu’il se donne ; mandat impératif, rotation des tâches et révocabilité ont fait les frais de la professionnalisation aussi bien chez les Verts français qu’allemands.

(30) Daniel Bensaïd, Contretemps, n° 1, « La nouvelle gauche anticapitaliste », 1er trimestre 2009, page 19.

(31) Willy Pelletier, « Les anarchistes et la reproduction de l’anarchisme », Contretemps, n° 6, février 2003, précité note (3), citations pages 168 et 169.

(32) Philippe Corcuff, « La gauche après “les hommes providentiels” », Le Monde.fr, 19 mai 2011, précité note (27).

(33) Philippe Corcuff et Willy Pelletier, « “NPAˮ : l’expérience sociale-démocrate libertaire comme analyseur d’enjeux actuels », Critique communiste, n° 187, juin 2008, article précité note (8).

(34) Philippe Corcuff, « Galaxie altermondialiste et émancipation au XXIe siècle : l’hypothèse d’une social-démocratie libertaire », précité note (14), 1er § « Une philosophie politique de la pluralité et de l’expérimentation ».

(35) Est fait ici allusion à la participation de la Confédération nationale du travail aux gouvernements républicains pendant la guerre d’Espagne ; fameuse polémique sur les ministres anarchistes.
Lire de César M. Lorenzo, Le Mouvement anarchiste en Espagne. Pouvoir et révolution sociale, précité note (20).

(36) Quand dans un entretien du 29 juin 1977, Freddy Gomez demande à Juan García Oliver, ministre de la Justice du gouvernement républicain espagnol en 1936 s’il n’eut pas quelques problèmes avec sa conscience anarchiste, il répond : « l’anarchiste n’a aucun problème de conscience, pour la simple raison qu’il a cessé d’être anarchiste » en devenant ministre, D’une Espagne rouge et noire ; traductions de l’espagnol de Freddy Gomez et Monica Gruszka, Saint-Georges-d’Oléron, Les Éditions libertaires, « Á Contretemps », 2009, 238 pages ; citation page 167.

(37) Voir René Berthier, Octobre 1917, le Thermidor de la révolution russe, précité note (20).

(38) Des Verts (Le Monde, 13 avril 2010) aux communistes réformateurs (Le Monde, 9 juin 2010), en passant par le philosophe Edgar Morin (Le Monde, 23 mai 2010), tout le monde est libertaire. Même Stéphane Hessel dans son Indignez-vous ! fait référence au « message libertaire » (Paris, Indigène, « Ceux qui marchent contre le vent », 2010, 32 pages, citation page 13). Ce ne sont là que quelques exemples de l’appauvrissement de la portée politique du mot.
Lire « Appellations peu contrôlées » de Jean-Pierre Garnier qui conclut : « Autant dire que les néolibertaires ne font qu’ajouter l’indispensable note “néo” à un conservatisme renforcé » (Le Monde diplomatique, janvier 2009, page 17).

(39) Philippe Gottraux et Bernard Voutat, « Anarchisme et marxisme : vrai contentieux et faux clivage », Contretemps, n° 6, février 2003, précité note (3), page 182.

(40) Philippe Corcuff, « Le NPA n’est pas encore né. Quelques pistes sur la situation difficile (mais pas désespérée du NPA après la Conférence nationale de juin 2011 », Europe solidaire sans frontières, 13 juillet 2011 (http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article22236 ; chercher « Corcuff).

(41) Philippe Corcuff et Lilian Mathieu, « Partis et mouvements sociaux : des illusions de “l’actualité” à une mise en perspective sociologique », Actuel Marx, n° 46, « Partis/mouvements », 2009/2, page 80.
La critique faite à l’anarcho-syndicalisme repose sur sa volonté de résoudre seul tous les problèmes de la société, celle aussi, probablement, de ne faire confiance qu’à la classe ouvrière.

(42) Lire ci-dessous une tribune de l’auteur écrite à l’occasion du congrès constitutif du NPA, en février 2009, refusée par Le Monde et Libération.
L’impasse NPA
L’histoire est ainsi qu’elle récompense ceux qui sont là au bon moment. Peut-on blâmer l’opportunisme de la Ligue communiste révolutionnaire (LCR) qui, en fondant le nouveau parti anticapitaliste (NPA), revitalise et fait rêver au-delà même de la gauche radicale ? Pourtant, l’espoir se mutera vite en déception pour ne pas avoir tenu compte de l’expérience plus que centenaire du mouvement socialiste. Les mêmes chimères conduiront aux mêmes désillusions.
Dans le socialisme d’origine, il faut conquérir l’État pour le détruire. Deux méthodes ont été proposées par ses pères. La tendance anti-autoritaire souhaitait renverser l’État concomitamment à sa conquête par la révolution et le remplacer par un fédéralisme communiste (autogestionnaire pour utiliser un qualificatif moderne). Dans la vulgate marxiste, il y a lieu de créer un parti pour conquérir l’État, conquérir l’État par tout moyen pour exercer le pouvoir, exercer le pouvoir pour faire dépérir l’État, c’est-à-dire le dissoudre lentement.

Le NPA adhère à la seconde proposition. Il crée un parti pour conquérir l’État. Alors comment être anticapitaliste dans une société capitaliste ?

L’histoire éclaire l’alternative qui ne connaît pas d’exception à ce jour.

● Faire une révolution ; le parti prend alors le pouvoir et le garde non pour détruire l’État comme prévu mais pour instaurer un capitalisme d’État adossé à une dictature politique, ce furent l’URSS, les démocraties populaires et la Chine.

● Ou jouer le jeu de la démocratie bourgeoise ; le jouer ouvertement comme les partis socialistes ou sociaux-démocrates et s’engluer dans le système au point d’en conforter les pires aspects, d’en assurer même une alternance gestionnaire ; jouer le jeu de manière interlope et inexorablement mourir dans la monotonie électorale, de mort lente comme les partis communistes occidentaux ou de mort brutale comme, en participant au gouvernement Prodi de centre gauche, vient d’en faire les frais Rifondazione communista, si proche par l’idée et la manière du NPA.

Comment expliquer que les fondateurs de ce dernier n’aient pas retenue la leçon et créent un parti traditionnel n’écartant nullement la possibilité d’exercer le pouvoir dans un gouvernement de gauche ? Que ses adhérents se bercent d’un rêve aux risques gravés dans la mémoire ouvrière ? Risque d’un petit succès électoral appuyé sur un leader médiatique permettant une vie végétative au regard de l’ambition affichée. Risque, probable, d’une lente dilution au fur et à mesure des prises de conscience de l’impasse.

Bien sûr les penseurs de gauche ont failli. Les brillantes critiques du capitalisme et du biopouvoir des Giorgio Agamben, Alain Badiou, John Holloway, Antonio Negri, Jacques Rancière, Slavoj Žižek… ont en commun de ne rien proposer. Comme conscients que la doctrine marxiste à laquelle tous continuent de se rattacher hypothèque de dérives léninistes, staliniennes ou maoïstes toute prospective. Mais le rôle des intellectuels ne se limite pas à l’analyse pour ensuite se contenter de dire que « l’hypothèse communiste » qu’il faudra construire n’aura rien à voir avec le funeste passé. Ils doivent, pour que le mouvement progresse, montrer ce qu’elle pourrait être, donner des idées pour y arriver. Il est à craindre qu’ils ne le puissent, prisonniers de la dialectique « parti, État, pouvoir » dont ils ne savent se dégager. D’où, aujourd’hui, le vague idéologique du NPA. Comme le syndicalisme révolutionnaire de la CGT historique, il entend « prendre le meilleur dans le mouvement ouvrier » (Oliver Besancenot, Le Monde.fr, 9 novembre 2008).

Sauf que le syndicalisme révolutionnaire dénie au parti toute capacité de représentation des travailleurs, n’aspire pas à conquérir l’État et prendre le pouvoir mais à y substituer son mode d’organisation.

Mais c’est peut-être, pourtant, de ce côté-là qu’il faut chercher pour sortir de la logique de la démocratie parlementaire. C’est bien de ce côté-là que, partout dans le monde, et encore aujourd’hui à Belem, les mouvements sociaux creusent pour réinventer l’assemblée générale décisionnelle et le mandat impératif, la mise au ban des partis et la gestion directe, l’autonomie des cellules de base (communes, syndicats, coopératives, mutuelles…) et le fédéralisme. Les quelques bribes qu’en prend le NPA pour faire bonne mesure ne sont nullement une garantie pour parvenir à un autre futur.
Pierre Bance, le 3 février 2009.

(43) Un texte du 68e Congrès de la Fédération anarchiste (Corbigny, juin 2011) pose, avec réalisme et concision, les questions « d’une problématique de la convergence ». Publié sous le titre « La convergence concrète avec les anarchistes » dans Le Monde libertaire (n° 1641, 23-juin-6 juillet 2011), il devait être l’occasion d’ouvrir le débat dans l’organe de la Fédération anarchiste. Celui-ci n’a pas eu lieu, ce qui laisse à penser que, de ce côté-là, il n’y a rien d’encourageant.

(44) Le Réseau de réflexions et de pratiques autogestionnaires et libertaires a été créé, au sein du NPA, le 14 mai 2011. Le compte rendu de la réunion constitutive est pauvre car il aligne une série d’observations diverses sans dégager une stratégie au sein, ou au-delà, du NPA. Ceci ne veut pas dire que les participants ont une pensée pauvre mais que leurs réflexions, leurs discussions où n’ont pas encore trouvé de lignes suffisamment fortes, où que le compte-rendu ne les valorise pas. Lire ce compte rendu sur le site Divergences (www.divergences.be/spip.php ?article 2708) ; voir aussi Philippe Corcuff, Mediapart, « Marxistes et libertaire : hommage à Léonce Aguirre » (http://blogs.mediapart.fr/blog/philippe-corcuff/031011/marxistes-et-libertaires-hommage-leonce-aguirre).

Il convient aussi de signaler l’existence, au sein du NPA, à la manière situationniste, d’un courant anarcho-droitier, selon sa propre qualification (http://fightclubnpa.blogspot.com/) : « Le problème au NPA c’est qu’on a plein d’intellos : ils sont tout mous et tout trotskistes alors que, comme on dit à la section, les intellos ça pourrait être bien parce qu’ils savent plein de trucs qu’on sait pas et qu’ils sont forts à la bagarre de la tête » (Dominique Marc, « Les intellectuels de classe », 13 novembre 2011).
Rappelons que pour Philippe Corcuff, « Le NPA n’est pas encore né », Europe solidaire sans frontières, 13 juillet 2001, précité note (40).

(45) Deux universitaires proches du NPA, Cédric Durand et Ramzig Keucheyan, ont publié dans Libération du 3 novembre 2011, une tribune « Pour un front unique contre l’austérité » ; ce front unique qui évoque le front unique ouvrier des trotskistes, réunirait les trois « forces susceptibles de résister à l’austérité » : la gauche de la gauche, les mouvements, les syndicats. « Cette rencontre pourrait prendre la forme d’un front social et politique – d’un front unique contre l’austérité –, dont les formes d’organisations seront nécessairement souples, mais dont le critère d’appartenance serait l’hostilité de principe à l’austérité qui vient ».

(46) Là encore la lecture du Mouvement anarchiste en Espagne. Pouvoir et révolution sociale de César M. Lorenzo, est instructive, précité note (20).

(47) Willy Pelletier, « Les anarchistes et la reproduction de l’anarchisme », Contretemps, n° 6, février 2003, précité note (3), citations page 172.

Texte libre de droits avec mention de l’auteur : Pierre Bance, et de la source : Autrefutur.org, site de l’Union Technique Syndicale, CNT-RP

http://www.autrefutur.org