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Vous avez dit la paix ?

par Maxime Azadi

Publie le samedi 23 juin 2012 par Maxime Azadi - Open-Publishing

Après l’assaut du PKK contre l’armée turque le 19 juin à Hakkari, presque tous les medias turques ont parlé d’un « coup contre la paix », d’un « complot » ou d’une « coïncidence » avec le processus de paix, ce qui montre que rien n’a changé au niveau des mentalités face au problème kurde depuis l’arrivée au pouvoir de l’AKP, parti du premier ministre Recep Tayyip Erdogan. Comme si l’on était en train de vivre un moment de paix qui aurait été détruit par l’attaque du PKK, mouvement armé et populaire.

A part de longues attentes et des diversions politiques, on ne peut malheureusement pas parler de mesures concrètes pour une paix avec les kurdes. Nous sommes en face d’un gouvernement arrivé au pouvoir en 2002 en pleine crise économique, faisant des fausses promesses pour renforcer son pouvoir sur tous les mécanismes de l’État en 2005, prenant les reines des services de renseignements et de la police jusqu’en 2007, s’emparant du commandement de l’armée en 2009 et lançant ensuite une terrible campagne de répression contre les kurdes et tous les opposants. Pendant ce temps, rien n’a été fait au nom d’une paix juste.

Malgré cela, ceux qui sont considérés comme intellectuels, journalistes ou analystes turcs font débats sur une situation non vécue, montrant à quel point ils sont misérables face aux revendications légitimes du peuple kurde.

Pour les médias et les autorités, tout est clair : l’attaque du PKK était contre la paix qui n’a jamais existé depuis la création de la République turque. Le PKK avait affirmé avoir tué plus de 100 soldats et abattu quatre hélicoptères de type Skorsky, ainsi qu’avoir perdu 14 combattants dans ses rangs. L’armé a de son coté annoncé la mort de 8 soldats et 31 membres du PKK. Cependant, il y a seulement 14 corps de combattants transportés à la morgue.

« Combien de soldats turcs ont été tués le 19 juin à Hakkâri ? », « Comment cache-t-elle l’armée ses pertes ? » Des questions gênantes qui ne se posent pas ! Cependant, on sait que les troupes spéciales turques sont composées de soldats et de polices payants, soit des mercenaires comme en Irak ou pendant la guerre du Vietnam. Ces soldats ne trouvent même pas de places dans les statistiques, car c’est ainsi qu’exige leur contrat. Ils ne sont que des morts sous contrat, une pratique de sale guerre, de Vietnam au Kurdistan. Beaucoup de soldats tués dans des combats sont annoncés comme victimes du suicide ou de l’accident, après un certain temps.

Lourd bilan censuré de la guerre

Alors « quelle coïncidence », « quel jeu » et « quelle paix » ? Ces mots qui couvrent la UNE des médias turcs ne trouvent pas de réponses raisonnables. Ce n’est pas la première attaque du PKK, il ne s’agit non plus du premier affrontement et on ne peut non plus parler d’améliorations pour finir la guerre.

Entre le 1er janvier et 20 juin 2012, l’armée turque a mené au moins 120 opérations terrestres, plus de 130 attaques d’artillerie contre les régions sous contrôle du PKK dans le Kurdistan irakien et plus de 30 attaques aériennes, selon des sources kurdes. Le 21 juin, l’armée a annoncé de son coté que l’aviation turque a mené 448 attaques contre 387 cibles dans le nord d’Irak. Il ne passe presque pas un jour sans affrontement entre l’armée et le PKK, faisant près de 550 morts, dont au moins 420 membres des forces de l’ordre (soldats, policiers, gardians de village, éléments paramilitaires et mercenaires), a-t-on appris de sources proches du PKK.

Mêmes débats, même mentalité

On comprend mieux pourquoi la paix est encore loin quand les mêmes débats se répètent après chaque attaque du PKK, ignorant et censurant les pertes de l’armée et l’étendue du problème. Il n’existe toujours pas assez de journalistes et d’intellectuels qui connaissent vraiment les kurdes et leur combat, alors qu’ils ne cessent pas de dire que les turcs et les kurdes vivent ensemble « depuis des milliers d’années ».

Ressentant le besoin de paix de temps en temps, rappelant les valeurs humanitaires, des élans sentimentaux, mettant accent parfois sur les revendications du peuple kurde ne sont pas suffisants pour comprendre le combat des kurdes.

Tant que les intellectuels et les journalistes turcs restent tellement étrangers au peuple kurde, une solution commune sans rupture entre les peuples ne sera pas possible.

Où est la paix ?

Alors quel paix ? Où est cette paix détruite ? A-t-on entendu de la bouche des responsables de l’État turc le mot « paix » pour les kurdes ? Comment ça se fait que nous n’avons pas entendue l’existence d’une formule de paix proposée par le gouvernement, si ce n’est pas pour l’écrasement du mouvement kurde ?

De quel climat de paix parlent-ils ces intellectuels turcs, journalistes turcs et politiciens turcs ? Peut-on parler d’une solution politique quand on sait que quelque 200 élus du principal parti légal kurde BDP dont 35 maires sur 98 et six députés sur 36 sont en prison, sans parler de milliers d’autres membres incarcérés de ce parti.

Comment dire qu’un débat libre est-il permis quand les prisons comptent près de 100 journalistes et les médias sont sous contrôle du gouvernement ? De quoi s’agit-il cette volonté de paix au moment où les gens se font arrêter en masse, les violations des droits humains battent tous les records mondiaux et tous les opposants sont la cible d’une répression sauvage ? Où étaient ces partisans de paix quand l’armée continuait à massacrer alors que le mouvement kurde observait un cessez-le-feu.

Que des insultes…

34 civils kurdes dont 19 enfants ont été massacrés le 28 décembre 2011 dans les bombardements de l’aviation turque contre le village de Roboski à Uludere, dans la province de Sirnak. Six mois ont passé sur ce massacre. Les auteurs sont toujours protégés et le gouvernement se prive même d’une excuse auprès du peuple kurde. Certes, il ne s’agit pas du premier massacre et il n’a pas été le dernier. Le 16 juin, treize détenus kurde ont été brulés vifs dans la prison d’Urfa après un incendie déclenché par des prisonniers pour protester contre les conditions inhumaines de détention. Cette prison compte 1050 prisonniers, soit près de quatre fois sa capacité.

Rien n’a été fait pour améliorer la situation à part des déclarations officielles vantant la « démocratie avancée » du régime AKP. Alors que les arrestations massives se poursuivent et que les autorités ne tolèrent aucune critique, quel est le sens de la réécriture d’une nouvelle constitution civile ou de la paix ?

La paix a-t-elle vraiment été une préoccupation des chefs du régime turc ? Outre les insultes incessantes du premier ministre dans tous ses discours et les promesses vides sans fondement juridique, qu’à-t-on fait au nom de la paix ?

Le régime AKP ne cherche pas la paix

Le 19 juin, le premier ministre turc a affirmé qu’il n’est pas nécessaire de demander l’accord du principal parti kurde BDP pour trouver une solution à la question kurde. Une solution sans kurdes peut-elle être considérée comme une solution ?

Croire à une solution ou présentant cela comme un « espoir de paix », tout en excluant les représentants du peuple kurde ne servira qu’à l’aggravation du problème.

En bref, il n’existe pas une situation de paix mais une situation de fausses attentes créer par des manipulations. Le régime AKP n’a même pas la capacité de tolérer une liberté d’expression, donc il ne possède pas une mentalité démocratique et humanitaire pour résoudre le problème kurde. Notons que toute avancée démocratique ou la résolution du problème kurde sera la fin de ce régime répressif.

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