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Là-bas en Arizona, entre chasseurs et proies

Publie le lundi 25 avril 2005 par Open-Publishing
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A la frontière entre les Usa et le Mexique, gardée par des volontaires anti-migrants. Outre aux redoutables gardes de frontière états-uniens, la frontière, dans la zone désertique de Sonora, est maintenant confiée aussi aux "patriotes" du Minuteman Project, qui "aident" à stopper et à arrêter ceux qui essayent d’entrer du Mexique. Mais le flux continue, alimenté par l’énorme différence économique entre les deux pays. Et les morts "accidentelles" dans le désert ou dans les fleuves passés à gué continuent.

de FULVIO GIOANETTO traduit de l’italien par karl&rosa

NOGALES, ARIZONA - L’énième manifestation des Minuteman Project dans la petite ville ensoleillée de Naco (Arizona) est à peine terminée, cette fois devant les bureaux de la Border Patrol, la redoutable police de frontière états-unienne. Les manifestants sont une soixantaine, nombre d’eux en tenue kaki, des pancartes avec des inscriptions lourdes : Illegals are criminals. Close Al Qaeda Hiking Trail, Mr.Bush, close this border ("les illégaux sont des criminels", "fermer le sentier de al Qaeda" "Bush, ferme cette frontière").

Il demandent à la police d’être plus efficace et de bloquer le passage de centaines d’immigrés clandestins à travers ces terres désertiques, d’arrêter l’"invasion" des étrangers. Ils sont guidés par un espèce de fou raciste, Jim Gilchrist, qui a lancé un appel à former des patrouilles pour "aider" la police de frontière à pourchasser les migrants.

Trois cents chasseurs

Au moins trois cents chasseurs - tous des volontaires, précisent les organisateurs du Minuteman Project, ont répondu à l’appel. Ils sont concentrés entre les petites villes de Naco, Douglas et Tombstone, à quelques kilomètres de la frontière mexicaine. Ils seront mobilisés jusqu’à fin avril. Il s’agit, en réalité, d’un mouvement raciste paramilitaire, de "orgueilleux citoyens patriotiques" (comme ils aiment à se définir) armés jusqu’aux dents, avec des jumelles à infrarouge et des chiens dressés. Ils aident les patrouilles de la migra états-unienne à repérer, capturer et expulser des Mexicains, des Centre-américains et d’autres pauvres malheureux qui osent traverser les dangereuses terres désertiques pour chercher le mirage états-unien. Une grande partie d’eux trouvera l’arrestation, l’expulsion et les privations ; d’autres, moins fortunés, trouveront la mort. L’année dernière, le long de la frontière entre le Mexique et les Usa sont mortes officiellement 122 personnes : de froid ou d’insolation, noyées, massacrée par les balles officielles ou des contrebandiers.

Les chiffres sont éloquents. Selon les chiffres officiels, au mois de mars, dans le couloir de frontière entre Douglas et Naco, choisi par les Minutemen pour leur croisade, 22.162 illégaux ont été arrêtés : grâce à l’action des vigiles volontaires, rien que ces deux derniers jours 1.649, entre Mexicains, Guatémaltèques et Chinois, ont été pris. Il y a aussi la ligne téléphonique gratuite 1877, qui sert à signaler de possibles suspects et aussi pour dénoncer des citoyens coupables d’héberger ou d’aider, avec de l’eau et de la nourriture, les migrants illégaux.

L’initiative des vigiles a suscité de l’alarme aux Etats-Unis, au moins parmi ceux qui se battent pour les droits civils. La semaine passée sont arrivés à Douglas une trentaine d’activistes et d’étudiants états-uniens, pour tenter de défendre les droits des migrants. Entourés par un climat hostile et dangereux, ils essayent d’informer et de défendre par leur présence symbolique les droits fondamentaux de ces malheureux. Mais les vigiles continuent, imperturbables. Dimanche, la presse locale a relaté que le citoyen exemplaire Patrick Theodore, armé d’un fusil à canons sciés, a "arrêté" à Maricopa (Arizona) sept citoyens mexicains, des immigrés clandestins qui, en risquant leur vie, étaient arrivés à filtrer entre les mailles des contrôles. Dans la contée de Cochise, toujours en Arizona, les autorités et le shérif ont disculpé trois militants du Minuteman Project, qui avaient bloqué, les armes à la main, d’autres malheureux. "Ce n’était pas un crime et ces citoyens n’ont enfreint aucune loi", a décrété une cour locale.

Dissuasion

Du côté mexicain, aux alentours de la ville de frontière de Aguas Prieta (état de Sonora), les autorités sont en train de tout faire pour dissuader au moins leurs compatriotes mexicains de passer par cette zone. Huit nouveaux agents des groupes opérationnels spéciaux, le Groupe Beta, sont allés renforcer les patrouilles dans cette zone de conflit.

A nouveau des chiffres, pour esquisser l’immensité du problème. L’année dernière, 750.000 personnes ont tenté de passer ou passé la frontière illégalement : 65% d’entre eux ont été arrêtés, expulsés ou incarcérés. Les autres passent, attendent trois-quatre mois (dans le meilleur des cas) pour se procurer les faux documents qui leur permettent de travailler et commencent ensuite à rembourser la dette contractée avec des parents ou des amis pour pouvoir payer, d’avance, le contrebandier ou le trafiquant de personnes (pollero, ou coyote) ; le passage clandestin coûte entre 4.500 et 6.000 dollars. Mais tout le monde n’a pas des parents ou des relations qui les aident. La presse de la Californie a aidé à dénoncer des cas de familles entières enfermées illégalement par les polleros pendant plus de 6 mois et soumises à des abus sexuels parce qu’il ne pouvaient pas payer et se libérer des contrebandiers.

Un citoyen mexicain qui arrive à entrer illégalement dans l’American dream mettra en moyenne de 7 à 18 mois pour payer la dette auprès des contrebandiers qui l’ont fait passer del otro lado, et ce n’est qu’ à ce moment-là qu’il commencera à envoyer les premiers sous à ses parents au Mexique.

Selon le rapport Global Development Finance 2005 de la Banque Mondiale, le Mexique occupe la deuxième place, après l’Inde, parmi les pays qui reçoivent des versements que les émigrants, légaux ou pas, envoient aux familles dans leurs pays. En 2004, les immigrés ont envoyé au Mexique 17 milliards de dollars, le poste principal parmi les entrées du pays après les exportations de pétrole. On estime qu’un million et demi de familles mexicaines survivent grâce aux versements de leurs parents émigrés. Pour certaines de ces familles, les versements sont l’unique revenu, hormis un peu de cultures de maïs et de légumes.

Mais la nécessité économique n’est pas l’unique motivation qui pousse tant de personnes à risquer même la mort pour franchir la frontière du nord : on le comprend en se déplaçant du côté mexicain.

Du côté mexicain

Sonoyta (état de Sonora, Mexique, à la frontière avec l’Arizona), lundi.

Depuis quelques années, cette frontière est très fréquentée. Au moins depuis que l’ex-gouverneur républicain de la Californie, Pete Wilson, a concentré son attention sur le couloir de frontière Tijuana-San Diego, en alimentant un climat anti-immigrés dans ces régions, depuis bilingues et binationales. Le président de l’époque, Bill Clinton, pour éviter des morts inutiles et que les tensions entre les habitants locaux et les migrants illégaux s’aiguisent, créa le tristement célèbre Operative Guardian : un dispositif combiné de 2500 agents concentrés dans 40 kilomètres à peine, des senseurs infrarouges installés dans le sol et cachés entre les rochers et les cactus, vigilance constante jour-nuit, contrôles à tapis sur toutes les routes cantonales et locales, surveillance électronique par des avions sans pilote. Cela a provoqué une déplacement massif des passages vers des zones de plus en plus reculées et désertiques - et plus dangereuses : justement comme la frontière entre l’Arizona et Sonora à l’ouest de Douglas, qui fait la une des journaux ces jours-ci à cause de l’initiative des vigiles Minutemen. Ici, entre Sonoyta, San Luis Rio Colorado, Sasabe, Nogales, Yuma, Lukeville et Douglas, entre 360 et 400 personnes meurent chaque année.

E.P. est chauffeur de taxi et il y a quelques jours il était en train de transporter une vingtaine d’émigrants de la ville mexicaine de Altar à la zone où les polleros attendent la marchandise humaine. "Nous tous profitons ici des gens qui vont au nord. Depuis le début de l’année ils ont ouvert une trentaine de petites boutiques et de supermarchés qui vendent de la nourriture et des boissons, trois nouveaux hôtels comme l’Altar Inn", dit E.P. "Et nous, les chauffeurs de taxi, qui vivons en transportant les gens, nous avons acheté de nouvelles Mercedes et des camionnettes pour les transporter". Cela fait réfléchir de lire que les deux compagnies aériennes mexicaines ont institué depuis peu quatre vols quotidiens pour Hermosillo, la capitale de l’état de Sonora.

Mais pourquoi tant de gens, des familles entières, des femmes, des enfants, même des jeunes diplômés cherchent fortune en émigrant clandestinement aux Etats-Unis ? Nous en parlons avec six personnes, toutes mexicaines, en buvant une boisson à l’abri d’un arbre. Cette nuit, en profitant de la fraîcheur, ils tenteront de traverser la frontière. Une aventure qui peut durer entre 3 et 6 jours pour faire à peine 8-10 kilomètres, cachés de jour parmi les rochers et les cactus, écrasés au sol pour ne pas se faire voir par les hélicoptères ou les patrouilles de la Migra ou être chassés par les vigiles racistes. Il y aura ensuite le voyage jusqu’au but, entassés dans des camions, des trains, cachés comme des rats.

"Cela fait trois fois que je tente de passer", dit Luis : "Mon frère et une partie de ma famille sont dans le Missouri. Chez nous il n’y a pas de travail, ce que je gagne en trois jours dans un restaurant ou en récoltant des fruits aux Usa, je le gagne chez nous en un mois, pourvu qu’on m’embauche. La dernière fois, ils m’ont piqué, j’ai passé quatre jours en prison. On m’a fiché et renvoyé chez moi. Je suis rentré avec une grande honte et sans rien. J’ai dû travailler dans la ville de Zacatecas en vendant dans la rue pour restituer l’argent que j’avais emprunté pour le voyage.

"Un dîner inoubliable"

Soledad raconte : "Mon frère et mon mari vivent au Nord, cela fait deux ans que je ne les vois pas. J’ai décidé de passer avec mon fils parce que nous voulons vivre avec lui, gagner bien, avoir une maison et vivre comme des gavachos". Luis ajoute : "En février deux nortenos sont venus au pays : une voiture neuve, des habits élégants, des billets verts. Ils ont organisé le mariage de leur fille, un dîner inoubliable. Certes, cela fait des années qu’ils vivent au Michigan, se sont légalisés et maintenant ils me donneront un coup de main, si j’arrive à passer".

Ce n’est pas que la pauvreté qui pousse à émigrer. C’est le désir de certaines "commodités", ou d’un genre de vie qu’ils ne peuvent pas se permettre dans leurs villes ou villages. Paco, un paysan de la zone rurale de Guanajauato, dit qu’il passe parce qu’il n’a plus d’argent pour finir sa maison : il veut qu’elle soit "belle, avec du carrelage de céramique coloré et un grand garage où je mettrai la voiture neuve, certes quand je l’aurai". Le plus jeune du groupe, Francisco, a quatorze ans : il dit qu’il s’en fiche" de vivre où il était, il veut revenir aux Usa parce qu’il ne s’habitue pas à vivre dans la petite ville de Calvillo : "il n’y a pas de cinéma, de discothèque ni de bar où s’amuser. A Kansas city, où j’ai vécu enfant avec mon oncle, il y a tout cela. Pourquoi dois-je retourner dans le taudis ?".

Combien arriveront à passer cette fois ? Il serait beaucoup plus simple de permettre un accès libre et direct à tous les citoyens mexicains comme cela se passe avec les états-uniens quand ils viennent au Mexique, avec des passeports et des visa réguliers, économiques et accessibles pour tous. Mais tout cela est trop simple, commente Paco : "Nous n’intéressons pas les politiciens, nous ne sommes que de la main d’œuvre des gringos et nous entretenons ainsi leur économie. Mais qu’ils nous laissent au moins travailler en paix".

http://www.ilmanifesto.it/Quotidiano-archivio/23-Aprile-2005/art75.html

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