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Sur le mouvement Syrien

par dzeff

Publie le samedi 23 mai 2015 par dzeff - Open-Publishing
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Article de « Saint-Jacques » parut dans le Bulletin communiste de Décembre 1925.

L’Orient, et la Syrie en particulier, ont été les berceaux de nombreuses religions. Certaines d’en­tre elles se sont propagées à travers le monde. D’autres, au contraire, pratiquées exclusivement par les Syriens, les Druzes et les Alahouïtes, sont demeurées circonscrites à leur pays d’origine.

Les grands mouvements sociaux qui ont passé sur ces pays y ont fait des apports de races différentes ; on y rencontre le Grec, le Sémite, le Caucasien, le Tartare, etc. … Il en résulte que la population syrienne est une véritable mosaïque dont les éléments n’ont pu se mélanger à cause des rites qui les séparaient, l’esprit de secte suscité par les différentes confessions religieuses interdisant tout éveil de l’esprit national.

Par ailleurs, les diverses civilisations qui ont brillé sur ces pays ont fortement impressionné ces peuples ; et malgré l’état d’apathie dans lequel ils se trouvent aujourd’hui, ils possèdent une certaine culture intellectuelle, et exploitent le plus rationnellement possible les maigres ressources de leur pays.

La Syrie est en effet un pays pauvre, au point de vue agraire comme au point de vue minier. Il y existe, il est vrai, des jardins d’orangers, de figuiers, et les Druzes, notamment, sont parvenus par un travail opiniâtre à rendre productives leurs montagnes. On y élève aussi le ver à soie. Mais en dehors de la plaine de la Beka, où des essais de culture en grand ont été commencés par des religieux du pays, il n’y a aucune possibilité d’y créer des exploitations agricoles importantes.

La Syrie est donc par excellence le pays de la petite propriété ; la main-d’œuvre, en raison même de son niveau d’éducation, y est peu malléable et coûteuse.

Que peut donc tirer d’un tel pays une nation impérialiste à l’affût de richesses à voler ou d’hommes à exploiter ? Évidemment très peu de choses. Mais dès lors, on se pose la question : pourquoi la France y est-elle allée, qu’y a-t-elle fait, qu’y fera-t-elle ? C’est tout le problème syrien actuel à évoquer, et ce problème, comme toutes les affaires d’Orient, est extrêmement complexe. Il nous faudra donc ne suivre que les grandes lignes de la question.

Après 1918, la France avait des visées sur la Palestine, pays riche en pétrole et en phosphate. Clemenceau céda la Palestine à l’Angleterre, non par ignorance, comme on le dit volontiers, mais au cours de marchandages impérialistes et notamment au moment où il demandait à l’Angleterre de le suivre dans l’offensive contre la Russie. La France se rabattit ensuite sur la Syrie et sur la Cilicie, pays riche où la culture du coton peut être faite sur une grande échelle et dans des conditions très lucratives. Elle s’y rabattit avec cette folie furieuse qui posséda les États vainqueurs après 1918. Il lui fallait aussi se placer en Orient, il fallait donner à l’opinion publique la promesse de larges profits coloniaux, il fallait enfin satisfaire les soudards qui avaient bien mérité de la Patrie.

A ce moment les Syriens se libéraient du joug tyrannique des sultans turcs et de leurs mandataires ; et la France, bénéficiant d’un antique prestige, fut accueillie avec enthousiasme, par les Arabes mêmes qui s’étaient plusieurs fois insurgés contre leurs précédents maitres.

Mais changer de maitre ce n’est pas acquérir la liberté ; les Syriens s’en rendirent vite compte. Ne pouvant exploiter ni le sol ni le sous-sol, l’impérialisme accabla le peuple syrien d’impôts.

Ce furent ensuite des exactions de toutes sortes, Gouraud faisant brûler des villages et massacrer leurs habitants, faisant déporter en Corse des membres chrétiens francophiles du Parlement libanais, instaurant la terreur dans tout le pays.

En 1922, Mustapha Kemal, après avoir battu les armées françaises, reprenait la Cilicie, dont la population est presque entièrement turque ; le plus beau morceau de la conquête française échappait aux impérialistes, et, en même temps, le peuple syrien, déçu dans ses espérances et indigné, menaçait de s’insurger.

En 1923, le grand leader tunisien en exil, Taalbi, parlait devant 50.000 pèlerins à La Mecque, et dénonçait l’impérialisme français. C’est alors qu’après Weygand, le bloc des gauches, fidèle à une politique qu’il renouvellera plus tard en Indochine et au Maroc, envoie aux Syriens un général franc-maçon, croyant qu’il canaliserait, dans le labyrinthe des promesses et dans les mirages d’un républicanisme généreux, les aspirations d’un peuple peu disposé à « s’en laisser conter ». Loin de berner les Syriens, en effet, cette politique les a mis en état de rébellion et c’est là pour nous un résultat.

La question qui se pose maintenant, c’est la raison pour laquelle la France ne peut pas quitter la Syrie. Nous l’avons vu ; elle n’a là aucun intérêt économique important. Les affirmations péremptoires du pseudo-léniniste Doriot sur cette question, selon lesquelles la France occupe la Syrie pour contrôler le vert à soie, ou pour avoir l’œil sur Mossoul (dont les participations françaises ont été délibérément vendues aux Anglais il y a 2 ans), sont des âneries ne ridiculisant que leur auteur. Les intentions qu’aurait la France d’avoir, par la Syrie, une route des Indes ou un contact de plus avec son ennemie l’Angleterre, sont d’autres âneries encore.

La vérité est que tous les impérialismes veulent empêcher la formation d’un nouvel État ottoman puissant, susceptible, avec sa nouvelle constitution, de servir de point d’appui à un vaste mouvement d’émancipation islamique, qui chasserait les États impérialistes de l’Afrique du Nord et de l’Asie.

L’Angleterre, dans l’affaire syrienne, est aux côtés de la France, comme d’ailleurs elle y est au Maroc. (Il est bon de noter, au sujet du Maroc, que les néo-léninistes voyaient là un danger de guerre européenne !) Les impérialistes font, en Syrie et partout, un front unique contre les peuples coloniaux, et les convoitises coloniales ne sont pas actuellement pour eux des sujets de friction.

La preuve en est que les navires de guerre envoyés par l’Angleterre et l’Amérique à Beyrouth devaient seconder l’armée française en cas de défaite complète. Cet acte de présence fut interprété par les « léninistes hors concours » comme hostile à la France, ce qui est une énormité ; car on ne pourrait expliquer une telle attitude sans représentations et tension diplomatiques. Le précédent d’Agadir est assez éloquent.

La France a déjà eu d’ailleurs des velléités d’abandonner la Syrie ; le concert des nations impérialistes lui a signifié d’y rester, au moment où la Société des Nations lui renouvelait son mandat en 1924.

Il y a division dans le camp ennemi à propos de l’affaire syrienne : certains éléments de la bourgeoisie désirent ardemment l’abandon de la Syrie. Il y a peu de temps, le Journal plaidait encore cette cause. Alors que le Maroc a toujours eu des crédits à satiété, la Syrie n’en a reçu que chichement. Poincaré lui-même dut insister auprès du Bloc national pour obtenir les derniers crédits réclamés par Gouraud.

Le gouvernement actuel ne cédera pas en Syrie. Sous le ministère Herriot, Briand disait déjà, au cours des débats sur la reconnaissance du Vatican, que la France devait être partout et qu’il fallait qu’elle surveille le mouvement islamique. Il est probable que la France cantonnera son action en Syrie et qu’elle y restera aux aguets, jusqu’au jour où elle en sera chassée, comme de la Cilicie.

Quant au mouvement national syrien, il traîne lourdement ses différends religieux et sociaux. Jusqu’à ce jour, seuls les Druzes et les Musulmans se sont insurgés ; les turbulents Ala­houites eux-mêmes, que la Turquie n’osait pas approcher, sont encore calmes. On dit que la France aurait armé les Arméniens, chassés de Cilicie par Mustapha Kemal et réfugiés en Syrie, afin qu’ils massacrent les Arabes. Cependant, les possibilités d’extension de la révolte sont très limitées.

Les mouvements d’émancipation des peuples coloniaux devant pour une très large part contribuer à vaincre le capitalisme, le prolétariat d’Europe se doit de les suivre et de les aider. Mais il faut, pour les comprendre, les étudier soigneusement. Les « énervés » – c’est un euphémisme – de la Direction du Parti ne savent, sur la question coloniale comme sur toutes les autres questions, que bluffer et crier à tort et à travers … Ils ont plusieurs fois, d’ailleurs, affiché leur mépris des peuples coloniaux, et les grands mots qu’ils servent à ce sujet ne sont que démagogie et mensonge. Une telle attitude ne peut que nuire à une large collaboration entre le Parti communiste et les travailleurs coloniaux.

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