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La liberté assignée à résidence par l’état d’urgence

par Boris

Publie le vendredi 5 février 2016 par Boris - Open-Publishing

Du blog de Boris Rannou

Qu’est ce que l’état d’urgence ?

C’est une mesure exceptionnelle qui permet en cas d’attaque terroriste, ou encore d’une situation de guerre imminente, de favoriser certaines mesures coercitives à l’endroit de ceux qui sont censés enfreindre la loi.

Cette mesure d’exception a été peu utilisée : d’abord lors des guerres mondiales, même si elle ne portait pas le même nom ; puis lors de « l’opération de maintien de la paix » en Algérie, et enfin après les attentats de Paris en 1995, mais limité à la capitale.

Elle permet concrètement d’accélérer les procédures judiciaires, et donne d’avantage de pouvoir exécutif aux représentants de l’Etat dans le corps judiciaire, comme le procureur de la République par exemple. Ce dernier peut ordonner une perquisition sans demander de commission rogatoire, c’est à dire vérifiée par un ensemble de procédures qui permettent de constater son caractère non-arbitraire.

Cette loi donne des armes concrètes et variées aux forces de police pour effectuer des opérations préventives : il s’agit d’empêcher tout passage à l’acte et donc de contraindre par la force les citoyens suspects soit à aller en prison après un jugement expéditif, ou encore à demeurer chez eux
(la fameuse assignation à résidence).

Pourquoi l’état d’urgence ?

On l’a dit, c’est pour prévenir les actes terroristes. Mais ce qui pose problème, c’est bien le caractère immédiat des mesures. On assiste à une mise en coupe réglée de la société, selon les choix les plus répressifs de ses composantes. Il ne s’agit pas de comprendre, il s’agit de désigner des coupables. On comprend très vite que ce genre de dynamique ne peut produire que des dérives.

On a eu un consensus de droite et de gauche lors de la mise en place de ce régime, avec de nombreux moments de communion politique à l’assemblée nationale, à Versailles,ou encore au Sénat. Mais ce que redoutait les associations de défense des droits de l’homme se réalise :
l’ inscription dans la constitution de mesures issues de son application, et la récurrence de son emploi.

L’argument principal consiste à démontrer qu’avec ces mesures, la France est plus sûre, et que cela dissuade également les terroristes. L’adage : « mieux vaut prévenir que guérir » est l’essence même de cette loi. Mais que prévient elle au juste ? C’est bien cela qu’il faut discuter. Si l’attaque armée semble être la cible principale de ces réformes, est-ce efficace pour autant ?

Vraisemblablement, nombre de tentatives ont été déjouées, nombre d’individus interpellés, et finalement nombre de vies épargnées. Mais est-ce que ces statistiques d’efficacité justifient elles toutes ces violences ? Intervenir à n’importe quelle heure du jour ou de la nuit en appliquant le principe de précaution, ne subir aucune poursuite en cas d’abus et ou d’erreurs...

Quels risques ?

C’est bien ici que se constitue une crainte, avérée, du passage d’un Etat de droit, à un Etat policier.
Un Etat de droit est fondé sur un contrat social : les individus qui le compose renoncent à leur liberté pour assurer leur sécurité. Concrètement, nous acceptons de restreindre nos libertés individuelles afin de vivre en cohérence dans une société plus sûre, et censément plus juste puisque le plus fort ne triomphe plus du plus faible.

Néanmoins, quelques principes fondamentaux s’appliquent au respect de certaines règles : chacun doit pouvoir s’exprimer librement, et communiquer le fruit de ses réflexions sur tout support médiatique, sans que cela n’entraîne de censure dans le cadre défini par la loi. A partir de l’instant ou cette loi restreint cette capacité de critique sociale, politique, intellectuelle du monde dans lequel nous cohabitons, on passe alors à un Etat policier.

Le principe d’une société ou chacun devient suspect, n’est pas neuf : la prise systématique des empreintes digitales lors de la constitution de la carte d’identité, ne se justifie déjà pas lui même puisque que tout citoyen est par essence innocent lors de l’établissement de son identité civile. Seul les criminels avaient le droit à ce genre de « faveurs » avant l’instauration de ce système.

Les craintes de surveillance à outrance, via les enquêtes de sûreté diligentées par les fameuses fiches S, comprennent le risque de s’étendre aux dissidents politiques : n’est il pas vrai que des écologistes libertaires ont été assignés à résidence par exemple ? N’est-il pas réel non plus que des violences policières ont été opérées de nuit contre des individus vierge de toute infraction, sur la base de renseignement douteux ?

Que faire ?

Il en va ainsi nécessairement de notre devoir de dénoncer d’abord ces abus. Mais le contexte dans lequel ces atteintes aux personnes sont effectuées, témoignent d’une vive tension sociale actuellement :

Comment ne pas penser aux manifestations paysannes, qui sont une colère sourde d’un monde agricole dérégulé par la violence d’une économie capitaliste ?

Comment ne pas penser aux chauffeurs de taxis, qui font face à la numérisation de notre monde, un monde qui est lentement remplacé par un nouveau, connecté et différent ?

Comment aussi ne pas se rappeler les appels du corps enseignant, à de meilleures rémunération et contre des réformes iniques ?

Tous ces signaux, associés à ces absurdes guerres malienne et syrienne, renvoi au gouvernement l’image de leur inefficacité : prendre la mesure de ces réactions doit demeurer la priorité du politique. Hors, nous avons le sentiment, depuis les grandes manifestations contre la réforme des retraites par répartition, (doit-t-on le rappeler) que le pouvoir en place a compris où était l’enjeu des rapports de forces.

Le sentiment étrange que rien ne changera vraiment à la tête de l’Etat, sans insurrection civique, populaire, citoyenne. Notre pays a une échéance électorale majeure en 2017, mais après avoir été floué par la droite sarkozyste et abusé par la gauche hollandiste, il m’est avis que les électeurs hésiteront dorénavant à renoncer à leur souveraineté contre un petit bout de papier imprimé.

En prendre la mesure avant que le vent de la haine et de la xénophobie, ne souffle sur les braises de la misère sociale et de la désespérance est vitale.

Messieurs les politiques,

nous comptons sur vous.

Révolutionnairement vôtre,

Boris Rannou.

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