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Hollande l’aura démontré, le PS c’est aussi la droite !

par Hugo Melchior

Publie le samedi 6 février 2016 par Hugo Melchior - Open-Publishing
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Un François Hollande fidèle à lui-même…

Pour beaucoup à gauche, le PS aura assumé au cours de ces cinq dernières années avec méthode et constance son rôle de « gardien intérimaire de l’ordre établi » pour rependre l’expression du philosophe Alain Badiou.

Il aura fait, pourrait-on dire, le « sale boulot », ce pourquoi les « décideurs » persistent à lui reconnaître une vocation gouvernementale. Pour eux, la « gauche » au pouvoir, c’est et cela demeure « la droite, la paix sociale en plus ». Le Parti socialiste au pouvoir aura continué à procéder aux réformes structurelles présentées par ces défenseurs comme autant de nécessités impérieuses pour que « l’entreprise France » maintienne son rang dans l’économie-monde : modération salariale imposée par l’Etat aux fonctionnaires et aux smicards au nom de la lutte contre les déficits et le « coût du travail », accélération du processus de réorganisation néolibérale du travail avec l’Accord National Interprofessionnel, diminution de la part du salaire socialisé au nom de la compétitivité des entreprises françaises, affermissement de la « gangue européenne » qui bride la souveraineté populaire avec le vote du Traité Européen de stabilité budgétaire (TSCG), la réforme programmée du code du travail… le PS au pouvoir aura été fidèle pendant ses quatre dernières années à sa son histoire, longue litanie de ralliements, de renoncements, de démissions en tous genres.

Contrairement à nombre de ses camarades socialistes, qui ont eu l’occasion de militer dans le champ politique radical au cours de leur jeunesse, avant d’abjurer définitivement leur foi révolutionnaire et de se rallier au consensus capitalo-présidentialiste, François Hollande, n’ayant jamais épousé une quelconque espérance révolutionnaire, n’aura jamais, lui, été accusé d’être un apostat. Devenu Président de la République, il a donc entrepris la politique à laquelle il a toujours cru et cela depuis les années 1980. En effet, alors qu’il n’était qu’un jeune trentenaire, conseilleur au service du cabinet des porte-paroles de la présidence, il ne manqua pas de célébrer avec enthousiasme, dans des entretiens ou dans le cadre d’un ouvrage collectif intitulé « La gauche qui bouge » sorti la même année, le cours néolibéral à l’œuvre depuis juin 1982. Dans ce livre coécrit avec trois de ses amis, François Hollande demandait, au nom du réalisme politique le plus glacé, que le PS rompit définitivement avec les vieilles lunes de l’union des gauches en profitant du déclin accéléré et irrémédiable du PCF. Il souhaitait que le PS élabore en réaction une nouvelle stratégie d’alliances en s’ouvrant au centre et surtout assume et théorise son engagement plein et entier en faveur de la nouvelle raison du monde, le néolibéralisme, en continuant à accomplir les réformes structurelles que la droite, elle-même, intégrée au consensus social-démocrate issu de la Libération, n’avait jamais osé entreprendre jusqu’à présent : « En réhabilitant non sans opportunité, l’entreprise et la réussite, la gauche, avec l’ardeur du néophyte, retrouve des accents que la droite n’osait plus prononcer, depuis des lustres, de peur d’être ridicule ». L’enjeu était, ici, bien de concurrencer la droite sur son propre terrain, celui de la gestion sérieuse et loyale des intérêts « des décideurs » et de montrer que la gauche était tout autant légitime que la droite à gouverner dans la durée.

A ce moment-là, le deuxième gouvernement de Pierre Mauroy, auquel participait quatre ministres communistes, imposa le plan Delors en décidant du blocage des prix et des salaires pour quatre mois, et cela après avoir assumé une première dévaluation et quelques mesures rigoureuses, dès l’automne 1981, devant préparer les esprits au retournement de tendance qui consacrerait la fin du pari de la relance de type keynésienne. L’heure fut alors à la subordination de la politique gouvernementale au respect des grands équilibres économiques, à la modération salariale imposée au nom de la lutte contre le péril inflationniste, à la modernisation au forceps de l’appareil productif français au prix d’importantes saignées pour la classe ouvrière industrielle, au dégraissement de « l’Etat », à la restauration des profits des entreprises qu’on disait vouloir réhabilitées, à l’héroïsation des entrepreneurs présentés comme les nouveaux héros des temps modernes prêts à prendre tous les risques pour avoir un destin de gagnant. Trente ans ont passé depuis ces « années cauchemars » et François Hollande devint le chef d’orchestre de cette politique à laquelle il a toujours cru sincèrement. Avec lui pas de faux suspense, pas de coming-out à redouter. Il a été en tant que président, ce qu’il n’a au fond jamais cessé d’être. Aussi, il paraît pathétique de s’émouvoir aujourd’hui de ce cours politique néolibéral, de faire sa vierge effarouchée devant une telle politique scélérate.
Non, il n’y a vraiment rien d’étrange dans ce qui a été fait ces quatre dernières années, contrairement à ce qu’a pu écrire un Laurent Mauduit dans un ouvrage publié début 2013 dans lequel il laissa éclater sa colère devant ce qu’il assimila à un véritable « capitulation ». En réalité, et cela en dépit de sa mémorable sortie opportune sur la finance un certain 28 janvier au Bourget qui récusa quelques jours après en vantant la gauche au pouvoir qui avait su libéraliser, privatiser, il y avait bien peu à espérer de lui, mais de manière générale de son parti rallié officiellement au consensus capitalo-présidentialiste depuis au moins décembre 1991 et le congrès de l’Arche de la Défense qui se déroula au lendemain de la disparition de l’URSS, et au cours duquel il fut écrit dans le principal texte d’orientation approuvé par 84% des congressistes que : « Le capitalisme borne désormais notre horizon historique ».

Une droite revancharde attendant impatiemment son heure…

Il ne reste qu’un an avant un probable retour de la droite qui compte bien réoccuper la maison du pouvoir pour au moins les dix prochaines années. Ils comptent mettre à profit ce retour aux affaires pour conduire la fameuse « rupture » que Nicolas Sarkozy avait tant promise pendant sa campagne de 2007 et que nombre de ses anciens fidèles lui reprochent aujourd’hui d’avoir largement dévaluée une fois arrivé aux affaires. Sarkozy aurait été, comme aime le qualifier François Fillon, « un faux dur », un monarque effrayé par ce peuple qu’il qualifiait lui-même en privé de « régicide » pour justifier sa prudence dans l’application des réformes pour lesquelles il avait été élu. Il aurait été un conciliateur qui a sacrifié l’audace réformatrice dont il aimait tant se gargariser pendant sa campagne sur l’autel de la paix sociale.

Voulant conjurer le sentiment de gâchis éprouvé par une partie de son électorat à la sortie du quinquennat de Sarkozy, la droite a toutes les chances de s’enfermer dans une surenchère néolibérale, comme cela avait été le cas lors des élections législatives de 1986 qui avait débouché sur la première période de cohabitation sous la Ve République avec Jacques Chirac comme premier ministre de François Mitterrand, Edouard Balladur en ministre de l’économie et Alain Madelin en ministre de l’industrie. Une fois la droite au pouvoir, une fois l’offensive néolibérale d’envergure engagée, critiquer ouvertement le Parti Socialiste deviendra presque impossible, au risque de subir de terribles procès en division. En effet, face aux mesures scélérates que le nouveau gouvernement cherchera à imposer (suppression de toute durée légale de travail qui sera décidée dorénavant au niveau des entreprises ou des branches, retour aux 39 heures hebdomadaire pour les fonctionnaires pour compenser le non-remplacement des départs à la retraite, nouvelle suppression de l’ISF, épuration du code du travail, flexibilisation à outrance du marché du travail, gel du Smic et des traitements...), l’heure sera comme à chaque fois « au grand rassemblement de toutes les forces progressistes contre le pouvoir réactionnaire ». Sans doute le PS viendra-t-il opportunément prendre part à ces résistances sociales, retrouvera le chemin de la rue et n’aura pas de mots assez durs pour fustiger « l’ultralibéralisme » du gouvernement. Comme le mouvement social ne voudra pas se priver de forces susceptibles de le renforcer numériquement, d’autant plus que les socialistes seront à n’en pas douter le principal groupe d’opposition à l’Assemblée nationale, seront acceptés, bon gré mal gré, dans les cortèges syndicaux. De même, les dirigeants socialistes seront sans doute invités à venir prendre la parole dans les meetings unitaires et si des critiques osent venir troubler la bonne harmonie, ceux-ci répéteront que l’enjeu n’est pas de faire le procès des mandatures socialistes, mais bien de militer pour « l’unité de toute la gauche sociale et politique pour défendre les acquis sociaux aujourd’hui en péril ».

Les organisations aujourd’hui critiques à l’égard du PS céderont-elle, une fois de plus, à la désastreuse politique « de la main tendue » ? Politique qui amena quelqu’un comme Olivier Besancenot à tendre la main à Manuel Valls lors d’un débat organisé en décembre 2007 par le Nouvel Observateur, après s’être vivement plaint de l’absence jugée envahissante du PS dans les luttes aux côtés du reste de la gauche. Le PS réapprendra opportunément à « parler gauche » pour se différencier clairement du gouvernement de droite et retrouver, ainsi, un peu de popularité et de crédibilité à gauche….

Le PS n’est plus à gauche…

Pour qu’un tel scénario ne se produise pas, nous devons avoir le courage politique de continuer à dire à voix haute la vérité sur ce qu’est devenu le PS à nos yeux au fil de ces dernières décennies. Non le PS n’a pas changé depuis 2012. François Hollande n’a fait que renouer avec le fil des expériences gouvernementales passées et cela était bien sur attendu. En effet, cette orientation subordonnant la politique au seul respect des grands équilibres économiques, le « fameux carré magique » de Kaldor, était un futur largement prévisible. Laurent Mauduit espérait sans doute que François Hollande, à l’instar de François Mitterrand à la suite de son élection le 10 mai 1981, en vienne à créer à son tour l’illusion, même un temps. Autrement dit, qu’il ait au moins la décence de récompenser franchement son électorat qui lui avait permis de triompher de son adversaire en mettant en œuvre, au nom du « changement sans effort », un certain nombre de réformes réellement progressistes, comme cela avait été le cas avec François Mitterrand jusqu’en juin 1982. En réalité, contrairement à François Mitterrand, rien dans le programme de François Hollande ne pouvait laisser présager sérieusement un tel scénario et ce n’est sûrement pas son fameux slogan « Le changement, c’est maintenant », énoncé dans l’espoir à la fois de donner des gages à son électorat, aux milliers de « petites mains » qui s’apprêtaient à entrer en campagne pour faire gagner leur champion et de se démarquer de son adversaire assimilé depuis longtemps déjà au « président des riches », qui aurait pu nous abuser.

Certains au sein de la gauche radicale n’ont eu de cesse de se complaire dans les jérémiades, se lamentant du cours politique actuel comme s’il aurait pu en être autrement avec François Hollande président de la République. En réalité ce qui aurait été particulièrement surprenant, c’est si François Hollande avait renoncé, en dernière analyse, à faire dès le départ le choix de la politique à laquelle il a toujours cru viscéralement et cela depuis les années 1980. Encore une fois, il a toujours été pro capitaliste, néolibéral, il ne s’en est jamais caché et n’a pas attendu sa fameuse conférence de presse du 14 janvier 2014 pour faire son « comin-gout social-démocrate », comme les médias et les commentateurs ont pu le qualifier sans rire.
Ainsi, trente ans après la victoire de François Mitterrand qui mit fin à 23 années d’exercice du pouvoir sans discontinuer des droites, le Parti socialiste occupa à nouveau la « maison du pouvoir ». Et comme il y a trente ans, ce fut pour y conduire une politique favorable aux intérêts de classe des décideurs, une politique radicalement pro-business.
En réalité, la réelle mutation a eu lieu lors du premier septennat de François Mitterrand lorsque le PS a décidé en toute conscience de renoncer définitivement dans les faits, mais aussi dans les mots à tout projet de transcendance sociale, à l’idée même qu’une autre organisation de la société que le capitalisme était envisageable, préférant désormais subordonner ses programmes et sa politique à une seule, saine et sérieuse gestion du mode de production capitaliste avec lequel le PS appelait encore à rompre en cent jours dans les résolutions votées majoritairement au congrès de Metz en 1979, lorsque François Mitterrand triompha de son rival Michel Rocard, incarnation de la « gauche américaine » pour le CERES de Jean-Pierre Chevènement.

L’accession au pouvoir des socialistes, cette première alternance dans l’histoire de la Ve République, constitua une épreuve de vérité pour le Parti socialiste. En effet, avec l’accession au pouvoir, la question « des choix » se posa, comme celui emblématique de mars 1983 : sortir le franc du SME ou sacrifier la justice sociale sur l’autel de la construction européenne ? Le dilemme fut tranché dans le sens que l’on sait. Décidant de prendre une part active au processus de remise en cause du compromis social-démocrate, qui régula le rapport salarial au cours de cette anomalie historique qu’on a nommée les « Trente Glorieuses », le PS ne sera plus jamais considéré, à partir de ce moment-là, comme un parti ouvrier.

Bien sûr les forfaitures socialistes étaient déjà innombrables avant le retour des socialistes aux affaires en 1981 (le « socialisme de guerre » entre 1914-1918, le refus obstiné de s’engager dans un processus de rupture en 1936 au nom de l’opposition de Léon Blum entre exercice du pouvoir et conquête révolutionnaire du pouvoir, le vote des pleins pouvoirs de la majorité des députés socialistes au Maréchal Pétain en juillet 1940, les guerres pro-coloniales à Madagascar, en Indochine, en Algérie, la répression des mineurs en 1947 par Jules Moch…), bien sûr aux yeux des marxistes révolutionnaires l’ensemble des partis sociaux-démocrates avaient fait la preuve de leur faillite complète depuis au moins août 1914 et leur capitulation sans combat devant la guerre inter-impérialistes. Cependant, en dépit de ce lourd passif, cette expérience Mitterrandienne, perçue par nombre de travailleurs comme une véritable démission historique, constitua un des principaux tournants dans l’histoire du mouvement ouvrier en France. Ainsi, avec plusieurs décennies de retard, le Parti socialiste décida de rejoindre sans retour en arrière ses homologues européens à l’intérieur du consensus pro capitaliste. L’abjuration idéologique fut totale. Trente ans après, François Hollande a décidé de s’inscrire dans cette continuité. Il n’innove absolument pas. Il faut prendre la peine de relire les discours, les déclarations prononcées par les dirigeants socialistes après juin 1982.

On retrouve déjà à l’époque les mêmes obsessions que celles de nos dirigeants actuels : la Compétitivité-prix, libéraliser les secteurs protégés, aider les entreprises à rétablir leurs taux de profits en faisant en sorte que le partage de la valeur ajoutée soit plus favorable au capital qu’au travail et ce dans l’espoir que les entreprises aient les moyens d’investir, l’équilibre de la balance commerciale, celui des déficits publics, la lutte contre les rigidités du marché du travail, la fiscalité prédatrice, le bienêtre des décideurs français et étrangers. Il n’y a que la question de l’inflation galopante, jugulée par le gouvernement de Pierre Mauroy et Laurent Fabius, qui n’est plus vraiment d’actualité, même si demeure le principe monétariste de la nécessité d’une inflation extrêmement faible, au risque de subir, à l’excès inverse, une désinflation. La coupe est donc pleine depuis longtemps. CICE, ANI, Pacte de responsabilité, retraites… les réformes se sont succédées depuis quatre ans. Il nous faut partir simplement du passif accompli pour pouvoir justifier l’excommunication du PS de la gauche.

Léon Trotski n’avait de cesse de répéter que la politique avait besoin de clarté, de netteté, de délimitation claire pour être compréhensible par le plus grand nombre des travailleurs. Nous ne pouvons plus nous en tenir à un entredeux mortifère que Marine le Pen n’a de cesse d’exploiter politiquement en considérant la gauche radicale comme « la voiture balaie du PS », elle qui assume une posture redoutable, celle du « ni gauche, ni droite » en expliquant que le véritable clivage dans le champ politique ne se situe plus entre gauche et droite, mais entre les mondialistes/ultralibéraux/européistes/immigrationnistes et les patriotes/souverainistes/ identitaires. Contrairement à son père dans les années 1980, Marine Le Pen ne cherche pas, jusqu’à présent, à incarner une « droite nationale, social et populaire » qui aurait pour ambition d’être une « vraie droite » à l’inverse des partis de la droite traditionnelle que Jean-Marie le Pen aimait stigmatiser en les assimilant à la « droiche ». Marine Le Pen souhaite apparaître comme une alternative crédible aux partis à vocation gouvernementale parce qu’elle assume le fait de se maintenir, au risque de ne jamais triompher de la règle majoritaire, à équidistance d’eux, parce qu’elle assume pleinement son indépendance à l’égard de ceux dont elle critique sans cesse les propositions. Nombre de Français sont sensibles au fait que les stratégies d’alliances du FN apparaissent comme le vrai reflet de ses énonciations, de ses critiques acerbes à l’encontre du système et ceux qui en sont partie intégrante. Ils le perçoivent comme la démonstration éclatante d’une cohérence politique véritable. Le succès électoral de Marine Le Pen, c’est aussi la conséquence de cette position d’extériorité à l’égard d’un système politique qu’elle prétend honnir pour les afflictions, les humiliations qu’il ferait subir en permanence au peuple français.

« Être de gauche, c’est être anticapitaliste », voilà le mot d’ordre !

Nous devons tirer toutes les conséquences de nos critiques incessantes à l’encontre du PS. Il convient de donner une définition suffisamment précise de la notion de « gauche » qui puisse rendre possible une délimitation claire entre ceux qui peuvent y faire légitimement référence au regard des énoncés politiques qu’ils défendent aujourd’hui et ceux dont il faut en dénier absolument le droit. Il nous faut affirmer que « celui qui ne consent pas à la rupture, violente ou pacifique, avec la société capitaliste, renonce à porter un projet de transcendance sociale, à considérer ni possible ni souhaitable un horizon post bourgeois, celui-ci ne peut pas prétendre appartenir à la « gauche ». Pour le dire plus simplement, il faut assumer l’idée simple et compréhensible par tous, selon laquelle « être de gauche, c’est être anticapitaliste, c’est être révolutionnaire » dans ses intentions, quelles que soient les divergences qui peuvent exister au sujet des modalités d’accession au pouvoir central, soit par la règle majoritaire dans le cadre des institutions établies ou bien par la voie extraparlementaire, extralégale par le biais d’une grève généralisée avec la construction d’une situation d’exception politique de dualité des pouvoirs. En décidant à partir des années 1980 d’inscrire définitivement, à l’instar des grands partis sociaux-démocrates européens, son « dire » et son « faire » à l’intérieur du consensus pro capitaliste, le Parti Socialiste a rompu sciemment avec le réformisme au sens historique du mot et par voie de conséquence s’est mis de lui-même en dehors du champ de la gauche.

Ce ne sont pas les organisations révolutionnaires qui ont exclu le PS de la gauche, ce sont bien les dirigeants socialistes, et personne d’autre, par leurs choix iniques, qui se sont mis « hors normes » pour reprendre une expression du regretté Daniel Bensaïd. Pour être encore plus clair, nous pourrions recourir au syllogisme suivant : « Être de gauche, c’est être anticapitaliste. Le PS est pro capitaliste. Le PS n’est plus à gauche ».

D’aucuns ne souscriront pas à de tels énoncés qu’ils assimileront à un « gauchisme vulgaire ». Si nous ne sommes pas comparés aux partis staliniens de la dite « troisième période » et à leur cours politique ultra sectaire, nous aurons de la chance. Ces mêmes ne veulent même pas entendre parler de la théorie « des gauches irréconciliables » qui, même demeurant insuffisante, a néanmoins le mérite de mettre fin à la perspective d’une quelconque politique de « front unique » entre les organisations révolutionnaires et un PS. Il est ainsi inutile d’essayer de persuader la dite « aile gauche » du PS qui dépense son énergie à vouloir redresser, régénérer le PS, « à l’ancrer résolument à gauche », ou pour les moins ambitieux à faire en sorte que son centre de gravité politique ne se déporte pas trop vers la droite. Et ce alors que celui-ci peut, d’ici quelques années à peine, avoir achevé sa « mutation démocrate » sous l’impulsion notamment d’un Manuel Valls risquant d’exercer un rôle de leadership pendant de nombreuses années, même en cas de retour du PS dans l’opposition. Ces militants de « l’aile gauche » prétendent évidemment jouer le rôle de garde fou, expliquant inlassablement que, sans leur présence salutaire et leur combat acharné, le PS serait encore plus à droite qui ne l’est à présent. Or, en quoi leur présence et leur action au sein du PS depuis plusieurs décennies a été utile pour empêcher, même retarder la contamination du PS par les idées de la révolution conservatrice ?

Comment le soutenir honnêtement, alors que tout dans le développement historique démontre le contraire et ce jusqu’à la nomination de Manuel Valls au poste de premier ministre au lendemain de la défaite aux élections municipales ? Il faut le dire et le répéter autant de fois qu’il le faudra : le redressement du PS est une chimère, et donc continuer à s’y consacrer constitue une perte incroyable de temps et d’énergie.

Dans le cadre de cette offensive contre le PS, il nous semble urgent de publier une tribune ou un manifeste qui pourrait être signé par nombre d’intellectuels reconnus pour leur engagement à gauche et qui pourrait s’intituler, par exemple, « Le PS, c’est aussi la droite ! ». Déjà sous Lionel Jospin, une tribune intitulée "Pour une "Gauche de Gauche" avait été rédigée par Pierre Bourdieu, Christophe Charle, Bernard Lacroix, Frédéric Lebaron et Gérard Mauger et publiée dans Le Monde du 08/04/1998.

Cela pourrait nous permettre de reprendre l’initiative. Ainsi, nous pourrions, au travers cette tribune, réaffirmer à la fois l’incompatibilité idéologique fondamentale qui existe entre la gauche révolutionnaire et le PS et le fait que ce dernier ne peut plus être considéré comme appartenant à la gauche au regard de son programme et de la politique qu’il met en œuvre une fois aux responsabilités. Pour qu’une telle position soit tenable, cela implique évidemment de renoncer immédiatement à toute politique de désistements sans condition, sans réserve en sa faveur comme cela avait été encore ordonné aux électeurs du Front de gauche par Jean-Luc Mélenchon le soir du premier tour de l’élection présidentielle au nom du mortifère « Tout Sauf Sarkozy ». Seul le cas, hautement improbable, où il serait avéré que le FN eut été en mesure de l’emporter face à un candidat socialiste dans le cadre d’un second tour d’une présidentielle pourrait nous amener à nous reporter collectivement sur le candidat socialiste pour empêcher le FN d’accéder à la présidence de la République.

Nous ne pouvons plus être en permanence en train de soutenir le soi-disant « moins pire » pour éliminer ce qui apparaît à nos yeux comme le « pire », au risque de nous enfermer, comme nous le faisons depuis des décennies déjà, dans une logique infernale qui n’est que la conséquence et l’expression paroxystique de la faiblesse structurelle de notre camp. C’est à cause de cette attitude inconséquente que Marine Le Pen a pu, avec une grande sérénité, traiter publiquement Jean-Luc Mélenchon, et ce devant des millions de téléspectateurs, de « voiture balais du PS », sous entendant qu’il n’avait pas d’autres fonctions que celle, piteuse, de « rabatteur de voix », afin de contribuer de manière décisive à la victoire du seul candidat de « la gauche » en mesure de l’emporter. Pour ne plus avoir à subir ce genre procès par celle qui assume, elle, depuis le départ, à l’instar de son père depuis le milieu des années 90, un rejet commun et constant des deux partis majoritaires, il nous faut défendre une stratégie de choc à l’égard du PS, sans pour autant tomber dans la caricature, sans être dans le mensonge. Nous n’en avons nullement besoin au regard de la réalité implacable. L’enjeu, ici, n’est évidemment pas de nous draper d’une quelconque pureté révolutionnaire, mais de dire et redire encore et encore notre vérité aux travailleurs au sujet du PS, de systématiser toutes les critiques que nous formulons à son égard depuis des décennies, et d’en assumer par là même, toutes les conséquences sur le plan politique.

L’objectif dans la période actuelle ne peut évidemment se résumer à taper toujours plus fort sur le PS. Les dernières échéances électorales ont apporté, une fois de plus, la preuve qu’il ne suffit plus pour la « gauche de gauche » ni de parler "cru et dru", ni de se définir simplement en tant « qu’opposition de gauche » au gouvernement, ni d’expulser le PS du champ de la gauche pour que les travailleurs, les précaires, les opprimés, reconnaissent les leurs et accoure dans leur direction le poing levé, le drapeau déployé. C’est pour cela qu’il faut, parallèlement à cette dénonciation implacable du PS, reprendre l’initiative dans la bataille pour la conquête de l’hégémonie culturelle. Donc, efforçons-nous à rendre désirable et crédible nos énoncés politiques, pour faire en sorte que l’horizon post-capitaliste que nous défendons s’éclaircisse, enfin, aux yeux des nôtres et devienne à nouveau une utopie mobilisatrice pour ceux qui celles qui sont censés toujours former, collectivement, le sujet social de l’émancipation.

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