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Une croisade nous enterrera

Publie le vendredi 13 mai 2005 par Open-Publishing

de Alessandro Robecchi traduit de l’italien par karl&rosa

Nous ne descendons pas du singe. Le singe, je veux dire, descend à son compte. Nous avons été créés etc. etc. par un dessein supérieur : les grands œuvres durèrent six jours et le septième, vacance. A Topeka (Kansas) une commission de républicains bushistes, élue par les citoyens, est en train de décider si on doit continuer à raconter les vieux bobards de Darwin ou faire plutôt confiance à la Bible.

Dans la même Amérique, on nomme Dieu dans tous les discours tandis qu’on fait la guerre, la vielle variante habituelle du "Dieu est avec nous" que toute guerre tend à agiter. C’est bien, l’usage de la force et des canons (même D’Alema), mais s’il y a aussi Dieu c’est mieux, c’est un peu comme avoir l’arbitre de ton côté. Le nouveau pape invective contre la dictature du relativisme, la chose n’étonne pas et lui, il fait son métier. Ce qui étonne un peu plus c’est que certains intellectuels italiens qui ont été communistes, craxiens, berlusconiens et maintenant théo-cons invectivent contre le relativisme, des gens qui sans le relativisme n’aurait même pas ouvert une pizzeria.

Le Manifesto titre sur le "berger allemand" et voila qu’arrive une dénonciation à la magistrature. Le Diario fait une couverture avec la Madone qui dit oui à la fécondation hétérologue et les éléments se déchaînent, Monsieur Volonté de l’Udc appelle les gardes et demande l’intervention des juges. Je m’attends d’un moment à l’autre à des coups de filet chez ceux qui s’obstinent à manger de la viande le vendredi et des ratissages pour amener les gens à la messe.

Au cinéma cartonnent Les Croisades et la propagande nous montre les marines qui lisent la Bible, probablement avant de tirer sur un blessé désarmé dans une mosquée et d’être acquittés parce qu’ils ont respecté les règles qui ont présidé à leur recrutement. Les cours de justice et des manifestations de rue se renvoient comme une balle, pendant des semaines, une pauvrette qui n’est plus qu’un légume, sa vie (et sa mort) étant réduites à un numéro de variété par des supporters de la "vie", les mêmes pourtant qui tiraient sur les médecins pratiquant des IVG (démontrant ainsi être favorables à l’avortement bien au delà des quarante ans du fœtus, désormais médecin diplômé).

Ici, dans l’imminence du référendum (sur la fécondation assistée, NdT), on parle d’embryons comme s’ils étaient déjà majeurs, avec le permis de conduire et le téléphone portable. En somme, aussi pour ne pas continuer avec la liste, qui serait longue, la sensation est que nous avons fini dans la machine du temps et que nous sommes en train de retourner en arrière de quelques dizaines, voire quelques centaines d’années. Maintenant, tout en gardant l’amour pour la discussion théorique, je ne voudrais pas qu’on perde trop de temps.

S’il faut revenir en arrière, il convient de le faire sans hésitation, cela n’est pas sérieux de mettre cinquante ans à revenir en arrière de cinq cents. Nous pourrions, que sais-je, décider dés maintenant que le soleil tourne autour de la terre, et même mettre le feu, au cours d’une touchante cérémonie, aux astronautes en mission, dès qu’ils reviennent. Ou décider (par référendum ?) que les filles n’ont pas d’âme, ce qui expliquerait beaucoup de choses, bien au-delà des infos à la télé.

Et puis, abandonner la dictature du relativisme n’est pas si difficile : il suffit de devenir idiot d’un seul coup et vous verrez que l’on résout tout. Une fois restauré le sens de l’absolu et dépoussiéré l’esthétique du dogme, tellement à la page aujourd’hui, on résoudra un tas de problèmes. Par exemple, celui de la recherche qui coûte de l’argent et est un emmerdement : pourquoi diable se poser des questions scientifiques quand il y a des réponses déjà confectionnées sur les étagères des néo théo cons ? Par exemple, la question de la guerre : pourquoi se scandaliser d’aller tuer des gens qui prient un autre dieu et même qui, au nom d’un autre dieu, s’écrasent avec un avion contre des gratte-ciel ?

Croyez-moi, cherchez le côté positif de la chose : pensez à combien de problèmes en moins il y aurait si nous étions soudain tous libérés de notre obtus relativisme ? Si nous étions tous convaincus qu’il y a une intelligence supérieure qui décide et dirige tout - de l’évolution de l’humanité aux résultats des matchs de foot -, nous nous fatiguerions et nous nous disputerions beaucoup moins. Même les grandes questions du présent nous sembleraient moins urgentes et honteuses, et si le pire nous arrive, par exemple la peste ou la guerre ou Storace à la santé, nous pourrions toujours nous asseoir là et dire que cela a été une punition divine tout en attendant, cependant, la providence et la justice dans l’au-delà étant donné que l’en deçà est plutôt dégueulasse.

Donc, dans l’optique bien connue qu’il vaut mieux ne rien foutre que de travailler, pourquoi nous donner tant de peine avec nos petites cervelles quand il y en a qui s’offrent à nous livrer à domicile, dans un paquet discret, les Grandes Vérités de la Vie ? Après tout, ils le font pour notre bien, pour nous soustraire à la dictature du relativisme. Cela ne serait pas mal, n’est-ce pas ? Qu’est-ce que cela nous coûte ? Ce serait au moins une bonne façon de ne plus voir à la télévision des prélats, des évêques et des théologiens de la dernière heure parler d’ovules et d’embryons. Lesquels - disons-le - hors du mariage sont toujours une grande cochonnerie.

http://www.ilmanifesto.it/Quotidiano-archivio/08-Maggio-2005/art17.html