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Les camps de la honte

par Déserteuse

Publie le mardi 7 février 2017 par Déserteuse - Open-Publishing
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Je les ai aperçues dans l’ombre de ma ruelle mal éclairée- j’avais ouvert pour faire rentrer le chat.

Après les avoir fait rentrer, leur avoir offert une boisson chaude et de quoi calmer leur faim, je les ai écoutées. Un peu compliqué car elles parlaient mal le Français, mais dans ce genre de rencontre, regards et gestes servent très bien d’interprète.

L’une avait été liseuse, l’autre veilleuse. La liseuse ne pouvait plus lire, la veilleuse n’arrivait plus à veiller. Pas assez de lecture tue, disait l’une. Trop de veille nuit gravement à la santé, disait l’autre.

Rejetées puis chassées de leur pays en guerre, elles erraient par ici, après avoir franchi la rivière de nuit. Elles pensaient trouver refuge de l’autre côté du pont, chez La Recluse, une femme vivant cloîtrée dans sa maison après un malheur. Elles étaient déterminées à faire une étape chez cette femme que les habitants des quais laissaient en paix, chacun lui déposant à tour de rôle la nourriture nécessaire à sa survie.

Les deux femmes m’ont demandé où elles pouvaient la trouver.

Je n’ai pas osé leur dire que cela se passait à l’époque lointaine de la Batellerie.

Je les ai installées avec des couvertures et des coussins au garage, pour que le jour des passants mal intentionnés ne les voient pas. Mes fenêtres donnent sur la rue, et des lois scélérates dans mon pays refusent les Sans- Sommeil, préférant les parquer dans les camps de la honte.

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