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Henri Leclerc : "La violente attaque de Fillon contre la justice est inacceptable"

par Mathieu Delahousse

Publie le vendredi 10 mars 2017 par Mathieu Delahousse - Open-Publishing

L’avocat pénaliste Henri Leclerc, ancien président d’honneur de la Ligue des Droits de l’Homme, dénonce la fronde du clan Fillon contre la justice. Selon lui, les fondements de la République sont menacés.

Henri Leclerc, 82 ans, avocat depuis 1956, demeure l’une de ces grandes voix qui ne laisse personne indifférent, admirée à gauche, respectée à droite. Il a plaidé en faveur de DSK ou de Dominique de Villepin. Depuis un demi-siècle il est un farouche défenseur des droits de l’homme.

Quand on est candidat à la présidentielle, on postule de facto à devenir le garant de l’indépendance de l’autorité judiciaire. Est-on disqualifié en affichant une telle attitude de défi envers les juges ?

C’est un problème majeur. L’indépendance est un pilier de la justice. La contester est grave. Que faut-il souhaiter ? Des juges aux ordres ? La protestation que l’on entend aujourd’hui est un extraordinaire renversement des valeurs. Nous avons déjà eu dans l’histoire des juges inféodés au pouvoir. Auparavant, on protestait contre le pouvoir qui donnait des instructions aux juges. Ici, on proteste contre un pouvoir judiciaire qui agit dans un cadre ordinaire !

Hier, lorsque le pouvoir n’était pas content de ses juges, il créait des juridictions d’exception. Veut-on cela ? On peut critiquer les juges et je ne m’en prive pas, mais s’en prendre à l’institution tout entière avec une telle violence est inacceptable.

Comme avocat de Dominique Strauss-Kahn, vous-même avez pourtant critiqué les juges et poursuivi des journalistes pour leurs articles…

J’ai fait mon travail d’avocat. Cela passe par les recours, les cours d’appel, la Cour de Cassation… Dans le dossier du Carlton de Lille visant DSK, je disais que le juge se trompait mais je ne disais pas qu’il fallait le condamner ou qu’il n’avait pas à se mêler de cette affaire ! J’ai été entendu. Une relaxe a été prononcée par le tribunal correctionnel. Je ne conteste pas la critique des juges. Je conteste la critique globale et générale de la justice dans son rôle.

Un pas a été franchi par François Fillon. Son discours vis-à-vis de la justice est-il un signal grave ?

Oui, le fait que des gens n’acceptent pas l’autorité du pouvoir est préoccupant et grave. D’habitude, ce sont les révolutionnaires qui se soulèvent face à la justice. Ici, ils le font à l’appui d’un cas particulier. La défiance envers l’institution judiciaire me paraît mettre en cause les fondements de la République. Certes, ce n’est qu’une fraction et une minorité, celle de certains partisans de François Fillon et de Marine Le Pen. Mais c’est un pas vers l’extrême. C’est un signal grave.

En matière de justice, il faut revenir aux fondamentaux. Il faut rappeler que la mise en examen n’est qu’une étape judiciaire mais n’est en rien une marque de culpabilité. C’est François Fillon lui-même qui a posé le principe qu’une mise en examen devrait se traduire par une démission. Il a lancé cette idée formidable [en affirmant "qui imagine le général de Gaulle mis en examen ?", NDLR].

Or, même si l’opinion publique le pense, les hommes politiques ne doivent pas s’engouffrer dans cette brèche. Il faut rappeler que beaucoup de mises en examen peuvent se solder par un non-lieu, une relaxe ou un acquittement. Il faut accepter le jeu judiciaire.

Le magistrat Antoine Garapon estime que ce ne sont pas les juges qui sont devenus de nouveaux acteurs politiques mais les politiques qui sont devenus des justiciables comme les autres. Est-ce un progrès ?

C’en est un sauf si l’ensemble de la classe politique était déstabilisée du fait des juges, mais ici ce sont les personnalités politiques qui se déstabilisent elles-mêmes ! Si des faits de corruption ou d’abus sont établis, il faut bien que la justice passe. Sans trêve. Imagine-t-on qu’il en soit autrement ? L’exemple de Jérôme Cahuzac est édifiant. Le fait qu’il soit ministre ou qu’il ait la confiance du président de la République aurait justifié qu’on suspende les poursuites ? Le peuple, quel qu’il soit, ne peut pas accepter une forme d’amnistie.

http://tempsreel.nouvelobs.com/presidentielle-2017/20170308.OBS6302/henri-leclerc-la-violente-attaque-de-fillon-contre-la-justice-est-inacceptable.html

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