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Les négociateurs des brevets des logiciels disent Non

Publie le vendredi 27 mai 2005 par Open-Publishing

Pour édifier le texte du collectif bellaciao, et après le débat qui eut lieu dans un café de Paris, je tenais à envoyer la copie du message suivant, en provenance de la liste infozone sur samizdat. Il s’agit des limites de la participation critique des citoyens, comme des parlementaires qu’ils convoquent pour les secourir... ceci édifiera qui s’illusionnerait encore sur la possibilité de modifier la constitution selon les règles qu’elle propose...

Ici, il s’agit plus particulièrement des brevets sur les logiciels , et cela permet encore de voir l’effet des lobbies à l’oeuvre :

******************

Au NON de la Démocratie

Parce que nous défendons la libre circulation des idées et le libre
accès aux connaissances, nous sommes depuis quelques années les témoins
privilégiés de l’élaboration et de l’examen d’une directive de l’Union
européenne concernant les brevets logiciels [1].

Michel Rocard, rapporteur pour le Parlement européen sur cette
directive, qualifiait d’« inélégances » [2], le fonctionnement biaisé
des institutions européennes, qui a fortement perturbé l’élaboration de
la directive sur les brevets logiciels. Ceci, alors que les citoyens
européens attendent que l’adoption de ce texte ne leur ferme pas — on
peut le craindre, pour longtemps — les portes d’une société où
l’information et la connaissance deviennent omniprésentes.

Ainsi, avec les eurodéputés, nous avons pu ensemble constater comment la
Commission européenne — que les eurodéputés n’ont la possibilité de
renverser que pour des motifs de « gestion » - était perméable aux
influences des lobbies représentant les firmes dominantes au niveau
international. La proposition de directive sur les brevets logiciels,
dont la Commission a eu l’unique pouvoir d’initiative, porte ainsi la
signature de la BSA, la Business Software Alliance, conglomérat des
géants de l’informatique, dominé par Microsoft [3].

Ensemble, nous avons dû travailler d’arrache-pied pour convaincre une
majorité d’eurodéputés d’amender fortement en première lecture le texte
de la Commission afin qu’il réaffirme que le logiciel n’est pas
brevetable. [4].

Ensemble, nous avons vu comment la Commission et le Conseil des
ministres, conseillés par des « experts » siégeant aux Offices des
brevets, ont superbement ignoré tous ces amendements substantiels, sans
donner de raison motivée valable [5].

Ensemble, nous avons déploré l’inefficacité du contrôle que sont censés
exercer les citoyens et les parlements nationaux sur les décisions que
prennent les représentants ministériels au Conseil : le ministre
néerlandais votait à l’encontre du mandat reçu de la Tweede Kamer, en
excusant sa position par une « erreur de traitement de texte » (sic !)
 [6] ; le gouvernement allemand en qui nombre de pays de l’Est avaient
placé leur confiance, s’entendait avec la Commission pour proposer un
amendement de dernière minute, retirant toute substance de son
opposition revendiquée [7] ; le gouvernement français, n’arrivant pas à
déjuger une position préparée par l’INPI [8], reniait hypocritement les
engagements pris par son Président, en restant aveugle et sourd aux
démonstrations prouvant que le texte auquel elle donnait son accord
allait à l’encontre des louables intentions affichées par la France [9]
 ; l’Irlande, paradis fiscal pour la « propriété intellectuelle » [10] et
qui assurait alors la présidence de l’Union européenne avec le
parrainage de Microsoft, forçait la main à des États membres hésitants,
tel que le Danemark, pour obtenir leur assentiment [11] ; etc. La liste
des forfaitures commises au Conseil est encore longue [12], et ce texte,
reniant le point de vue du Parlement européen, n’a cessé [13] d’être
poussé pour finalement être adopté officiellement [14], après que la
mobilisation des citoyens et de plusieurs États [15] avait dénoncé les
tentatives de le glisser discrètement lors de réunions du Conseil sur
l’Agriculture et la Pêche [16].

Ensemble, nous avons essayé de sortir cette importante directive du
bourbier dans lequel elle s’enfonçait, en demandant officiellement à la
Commission européenne de prendre en compte les problèmes des brevets mis en évidence lors du débat public et de présenter un nouveau texte [17].
Alors que cette demande était soutenue par une écrasante majorité de la
commission parlementaire responsable [18], par la Conférence des
Présidents des Groupes politiques représentés au Parlement européen [19]
et par un vote unanime de ce Parlement en séance plénière [20], nous
attendons toujours que la Commission donne une explication valable de
son refus à cette requête de redémarrage. Mais le couple Commission et
Conseil n’a pu, pour justifier son entêtement, qu’invoquer des « raisons
institutionnelles pour ne pas créer de précédents dans les institutions
européennes » [21].

Comment peut-on interpréter cela autrement que comme la volonté de ne
pas remettre en cause leur omnipotence sur ces institutions ? Comment
peut-on croire qu’une invitation d’un million de citoyens, telle que le
prévoit l’actuel projet de Constitution pour l’Europe, à des conditions
plus strictes et plus floues que le droit de pétition dont ils
bénéficiaient d’ores et déjà, connaîtra un meilleur traitement ? Comment
peut-on imaginer qu’une extension de la procédure de codécision, qui
régit déjà cette législation sur les brevets logiciels, représente une
avancée démocratique ?

Nous travaillons en ce moment pour que le Parlement réaffirme en seconde
lecture son souci de l’intérêt commun [22], en dépit des lobbies du
microcosme juridique et des groupes industriels [23] désireux de
conforter leur position dominante. Alors qu’au cours de plus d’une
année, Conseil et Commission n’ont réussi qu’à accoucher de définitions
tautologiques et trompeuses, satisfaisant ces intérêts particuliers,
nous réalisons avec le Parlement européen le véritable travail
législatif, conjuguant la défense du patrimoine commun des européens et
celle de la majorité économique, qui dans le secteur informatique
européen est constituée des multiples PME du logiciel [ [http://www.economic-majority.com ]]. Mais même en
y parvenant lors de cette seconde lecture parlementaire, buterons-nous
toujours sur la conception très particulière qu’ont certains de la
démocratie ?

La question à laquelle on nous demande de répondre dimanche prochain est
très claire : « Approuvez-vous le projet de loi qui autorise la
ratification du traité établissant une Constitution pour l’Europe ? ».
Le sujet n’est pas de spéculer sur la facilité ou la difficulté de
corriger ses graves erreurs. Il s’agit de donner une caution des
citoyens à un texte qui reprend les dysfonctionnements dont nous sommes
témoins, sans en corriger les causes profondes.

Parce qu’il est toujours préférable de ne pas laisser des considérations
tactiques l’emporter sur les questions de fond, de ne pas oblitérer le
texte, en le soumettant à un contexte hypothétique ; parce que nous
avons confiance dans nos représentants élus directement, les eurodéputés
 ; parce que ce projet de Constitution ne donne, du fait de subtiles
définitions de majorités, qu’un rôle secondaire au Parlement européen
 [24] ; parce que cette constitution ne propose aucun moyen de s’assurer
que les instances les plus puissantes - Commission, Conseil, Banque
centrale européenne - puissent être contrôlées par les Européens et
parce qu’elle entérine au contraire le fait que ces instances échappent
au contrôle des citoyens ; parce qu’il y a là une régression
inacceptable des droits fondamentaux conquis par nos aïeux ; et enfin,
parce que nous ne pouvons, de manière responsable, confier un tel
héritage antidémocratique à nos enfants, nous affirmons un Non convaincu
et profondément européen.

Mercredi 25 mai 2005.

Signataires

* Frédéric Couchet
* Loïc Dachary
* Roberto Di Cosmo
* Ludovic Pénet
* Gérald Sédrati-Dinet

Se sont aussi associé(e)s à ce texte : Tony Bassette, Jean-François
Bossard, Michel Bouissou, Laurent Chemla, Yves Combe, Bruno Coudoin,
Alain Coulais, Jérôme Dominguez, Virginie Do Monte, Jean-Paul Ducasse, Jérôme Gleizes, Laurent Guerby, Romain Herault, Mathieu Ignacio, Alexis Kauffmann, Jacques-Louis Kreiss, Gildas Le Nadan, René Mages, Cédric Musso, Aris Papathéodorou, Jean Peyratout.

Les opinions exprimées dans cet article sont celles des auteurs et
n’engagent nullement les structures auxquelles ils appartiennent.

Source : http://infos.samizdat.net/article33...


[1Les brevets logiciels en Europe : une courte introduction
http://www.ffii.fr/article.php3?id_...

[2Discours de Michel Rocard à la réunion de la commission parlementaire JURI avec le Commissaire McCreevy
http://www.ffii.fr/article.php3?id_...

[3Proposition de la Commission et Business Software Alliance (Mingorance)
http://www.ffii.fr/article.php3?id_...

[4Le Parlement européen vote de réelles limites à la brevetabilité
http://swpat.ffii.org/journal/03/pl...

[5Conseil de l’UE 2004 : Proposition sur les brevets logiciels
http://www.ffii.fr/article.php3?id_...

[6Le parlement néerlandais oblige le ministre Brinkhorst à retirer son soutien à la directive sur les brevets logiciels
http://www.ffii.fr/article.php3?id_...

[7À l’unanimité le Bundestag dit : Non aux brevets logiciels !
http://gibuskro.lautre.net/news/bre...

[8Les cabinets en propriété industrielle des grandes entreprises et l’INPI dictent-ils la politique du gouvernement français sur les brevets logiciels ?
http://www.ffii.fr/article.php3?id_...

[9Réponse à la position adoptée par la France au Conseil « Compétitivité » du 18 mai 2004
http://www.ffii.fr/article.php3?id_...

[10Un terme que nous trouvons idéologiquement chargé et dangereusement inconscient des différences significatives existant entre les différents domaines juridiques qu’il tente d’agréger.

[11Dialogue Irlande-Danemark
http://www.elis.ugent.be/ jmaebe/no...

[12Une courte majorité de ministres, influencés par un compromis bogué, approuve les brevets logiciels
http://www.ffii.fr/article.php3?id_...

[13La présidence du Conseil de l’UE programme l’adoption de la directive sur les brevets logiciels lors d’une réunion sur la pêche
http://www.ffii.fr/article.php3?id_...

[14La présidence du Conseil adopte l’accord sur les brevets logiciels en dépit du règlement intérieur du Conseil
http://www.ffii.fr/article.php3?id_...

[15La décision concernant la directive sur les brevets logiciels
est retirée de l’ordre du jour du Conseil sur l’agriculture à
la demande de la Pologne
http://www.ffii.fr/article.php3?id_...

[16Les brevets logiciels une fois de plus retirés de l’agenda de
la Pêche à la demande de la Pologne
http://www.ffii.fr/article.php3?id_...

[17Soixante et un députés du Parlement européen poussent à un
retour en 1re lecture
http://www.ffii.fr/article.php3?id_...

[18La commission parlementaire JURI vote pour un redémarrage avec
une majorité écrasante
http://www.ffii.fr/article.php3?id_...

[19Le Parlement européen demande un redémarrage et la Conférence
des Présidents adopte la motion de JURI
http://www.ffii.fr/article.php3?id_...

[20La Commission sous la pression du Parlement européen et du
Danemark
http://www.ffii.fr/article.php3?id_...

[21La Commission ne redémarrera pas la directive sur les brevets
logiciels, la DG MARKT redoute une approche équilibrée
http://www.ffii.fr/article.php3?id_...

[22Travail parlementaire européen sur les brevets logiciels en 2005
http://www.ffii.fr/article.php3?id_...

[23L’EICTA envoie Microsoft au Parlement européen pour représenter les PME
http://www.ffii.fr/article.php3?id_...

[24Le Parlement européen est grandement désavantagé par la procédure de codécision en seconde lecture
http://www.ffii.fr/article.php3?id_...