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Inhumanité contemporaine : Plaidoyer pour une philosophie sociale critique globale
par Samuel Beaudoin Guzzo
Publie le dimanche 16 juillet 2017 par Samuel Beaudoin Guzzo - Open-PublishingL’auteur est diplômé en sociologie à l’Université du Québec à Montréal. On peut le suivre sur son blog g+ à l’adresse suivante : https://plus.google.com/+SamuelBeaudoinGuzzo
« Le besoin de faire s’exprimer la souffrance est condition de toute vérité. » (Theodor W. Adorno, Dialectique négative, 1966)
Comment rester insensible face à l’enjeu des migrants et autres déplacés partout sur la planète en raison de guerres et autres conflits divers ? Comment ne pas y voir le symptôme d’un dérèglement humain global voir d’un cul-de-sac socio-historiquement pathologique ? Mais comment lutter contre une telle réalité sociologique dont les ressorts sont aussi complexes que l’humanité elle-même ? À cet égard, j’ai tendance à opter pour les intuitions fondamentales du champ de la "philosophie sociale", c’est-à-dire en valorisant une approhe progressiste qui d’une part, vise à donner la parole directement à ceux et celles qui sont aux premières loges de la souffrance, de l’injustice et de la domination, et d’autre part, à favoriser la rencontre des différents savoirs humains dans l’optique universelle de l’émancipation humaine.
La démarche de la philosophie sociale vise ainsi à joindre un souci de description empirico-sociologique à une réflexion philosophico-critique plus large sur les normes de la "vie bonne" et les finalités humaines fondamentales précisément bafouer dans le malheur du temps présent ! Ce champ intellectuel est justement marqué par la volonté de mise en lumière des développements pathologiques du réel et des injustices vécues par les sujets et groupes humains dans le but de les conjurer. Par ailleurs, comme l’affirme Franck Fishbach dans son Manifeste pour une philosophie sociale (La Découverte, 2009) : « (...) la philosophie sociale n’est pas seulement une démarche philosophique qui emprunte elle-même aux sciences sociales ; elle est aussi, inversement, une démarche philosophique qui possède la capacité de féconder en retour les sciences sociales, et d’être pour elles une pourvoyeuses de concepts susceptibles de permettre leur renouvellement et leur relance. » (p.142)
Une des incarnations les plus célèbres du champ de la philosophie sociale est assurément la Théorie critique interdisciplinaire porté par les penseurs allemands de la première génération de l’École de Francfort dans les années 1930 (Horkheimer, Adorno,...). Si, du haut de l’histoire, l’échec de cette démarche est indéniable, entre autres en raison de son lent repli dans une philosophie de l’histoire théoriquement aride, sociologiquement lacunaire et par moment radicalement pessimiste, on ne peut toutefois que saluer les efforts déployés par ce groupe d’intellectuels et de savants tout au long de la seconde moitié du 20e siècle, et ce, dans le sens d’une remise en question de la domination et de l’exploitation humaine tant au niveau politique qu’économique !
Notons que le porte étendard contemporain du projet initial d’interdisciplinarité de École de Francfort est le sociologue et philosophe Axel Honneth qui a développé une riche théorie de la reconnaissance sociale lui servant de principe de légitimation dans sa critique de l’univers sociale actuel. Honneth affirme que le respect de la dignité humaine, dans l’optique du développement de rapports positifs à soi et aux autres, nécessite que l’individu soit reconnu non seulement par ses proches au niveau de l’amour générant la confiance en soi, mais également qu’il le soit comme sujet détenteur de droits générant le respect de soi comme sujets à part entière tout comme au niveau de son travail et/ou de son apport à la société qui, en étant reconnus génèrent de l’estime de soi à travers le sentiment de solidarité qu’elle implique. Chaque forme de reconnaissance est associée dans la théorie de Honneth à une forme de mépris comme « déni de reconnaissance » dans la vie des individus. Ces formes de mépris qui constituent, selon lui, les ressorts des "luttes pour la reconnaissance", sont respectivement la violence physique et psychologique, l’exclusion comme déni de droits et la mésestime vécue comme une atteinte à ce qui constitue la valeur sociale de l’individu. En effet, pour Honneth, c’est le mépris vécu par les individu et les collectifs qui constitue la clé normative pré-scientifique lui permettant de donner vie à son projet de philosophie sociale critique.
De façon générale, dans l’optique de la philosophie sociale, que ce soit des déplacés de guerres, des grévistes, des nations en quête de reconnaissance, des populations entière dominées en raison de motifs idéologico-politico-religieux ou des victimes du capitalisme néo-libéral sauvage actuel, tous ont un droit humain intrinsèque à exprimer leur souffrance et leurs revendications ainsi qu’à être épauler par l’humanité et de manière particulière par la communauté savante. À ce sujet, comme le note Fishbach : « (e)ntre le langage ordinaire et le langage technique et expert des sciences sociales, la philosophie sociale me semble occuper une position intermédiaire qui la rend capable de jouer un rôle de médiateur entre l’un et l’autre, de sorte que si elle peut bien servir caisse de résonance, ce n’est pas seulement en amplifiant la voix des sans-voix, mais aussi et inversement en traduisant dans le langage ordinaire les concepts savants issus des langages experts des sciences sociales. » (idem, pp.82-83)
En définitive, la philosophie sociale servirait ainsi de relais entre une nécessaire prise en compte de la souffrance vécue à la base sociale et une démarche théorico-réflexives plus large constituée non seulement de recherches, d’entrevues, de collectes de données, mais aussi de vulgarisation, de dialogues et de débats ouverts afin de préciser les conditions subjectives et intersubjectives permettant aux êtres humains de se réaliser et d’être reconnus à leur juste valeur. Il s’agit d’une tâche énorme, mais elle n’en est pas moins cruciale afin de sortir de l’impasse et d’insuffler espoir et changement.
Pour la paix, l’égalité, la fin de la violence inter-humaine et la protection de l’environnement ! Pour le dialogue entre les peuples, la reconnaissance de notre commune humanité et la fin de la souffrance ! Pour une philosophie sociale critique globale !
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