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[Récit] L’absurde cruauté de la frontière sous le régime de Schengen

par samuel

Publie le mardi 7 novembre 2017 par samuel - Open-Publishing

Publié sur le site de La Canarde sauvage par notre correspondant dans le 05

Depuis 1996, les accords de Schengen régissent pour toute l’Europe les conditions d’entrée, de circulation et de séjour des personnes. Le but affiché est de limiter l’immigration venant des pays au sud de l’Europe. Et plus on interdit quelque chose, plus il y a de clandestins. Pour ces migrants clandestins, le principe fixé par Schengen et les règlements de Dublin (I, II et III) est que le cas d’un clandestin est réglé par le pays d’entrée (même si ce migrant entre par la Finlande pour aller au Portugal, ce n’est pas le Portugal qui décide de l’accueillir ou non, c’est la Finlande qui décide s’il a le droit d’entrer en Europe). Le pays d’entrée signifie souvent le pays où cette personne a eu pour la première fois affaire aux schmidts. Histoire d’une personne qui a été confrontée aux conséquences kafkaïennes de ces accords, règlements, lois et décrets.

Ali* [1] a 25 ans. Il est né en Casamance, dans une famille où il ne manquait de rien, grâce à leur troupeau de 300 vaches. Il adorait faire de la moto. Et il avait envie de voir du pays, de faire la vie, d’aller en France. À 18 ans, il prend la route : après trois mois de route, dont deux mois dans les horribles prisons lybiennes, il arrive en Italie. Même si l’accueil en Italie n’est pas encore le Ritz, Il demande et finit par obtenir l’asile politique, avec la carte de séjour qui va avec. Cela ne lui donne pas le droit de circuler en Europe librement : pour le tourisme, il doit obtenir des autorisations de voyage ; et il n’a pas le droit de s’installer dans un autre pays. Il s’installe pourtant en France, car c’est ce qu’il voulait.

Cinq ans après, Ali a fait son trou. Il enchaîne régulièrement les emplois dans le bâtiment : il monte des échafaudages, pose du papier peint, fait de la peinture. Il vit dans le 9-3, dans des cités où il ne croise aucun blanc. Et il a une petite amie. Régulièrement, il retourne en Italie faire renouveler passeport, carte d’identité et titre de séjour : d’abord au bout d’un an, en 2013 ; puis en 2015. Le dernier renouvellement est valable jusqu’en septembre 2017. Il doit donc faire le voyage à Turin. Il arrête le travail plus tôt le mardi 31 octobre et prend le TGV (billet à 108 €). Il dort à l’hôtel (deux nuits, 140 €) et dépose sa demande au guichet. Il repart sans passeport, sa demande est en cours, avec un rendez-vous pour la suite de ses démarches. Pour reprendre le travail lundi, il achète son billet de TGV (162 €) et part jeudi. Son train franchit les Alpes par le tunnel de Fréjus. Au premier arrêt en France, en gare de Modane, une escouade de schtards monte, contrôle les papiers des noirs et des personnes un peu trop basanées (mais surtout des renois). Là, la sanction est immédiate et sans appel : « Tu n’as pas le droit d’entrer en France ». Ni d’y vivre, d’ailleurs : pourtant, toute sa vie est de l’autre côté de cette ligne en pointillé. Il est illico reconduit en Italie, en voiture, et abandonné en gare de Bardonnèche.

Il y reste la journée. Le soir, il voit arriver des migrants par petits groupes, sans-papiers, pas comme lui. Noirs, comme lui. Et interdits d’entrée en France, comme lui. Et effrayés par tous les blancs, même ceux qui leur apportent des vivres et vêtements chauds. Il parle aux arrivants en poular : deux groupes ne se laissent pas convaincre de faire confiance à la maraude et partent sans accepter d’aide. L’un des deux groupes arrive à Briançon le lendemain, l’autre est arrêté par la police et renvoyé en Italie dans leur sinistre jeu de ping-pong. Ali, lui, franchit la frontière à pied, avec un troisième groupe qui a accepté l’aide de la maraude. Comme tous les clandestins qui franchissent la frontière près de Briançon, il est hébergé au refuge de la CRS.

Samedi, Ali peut prendre le train pour Paris, sous la bienveillante attention des Briançonnais. Le billet lui coûte 114 € de plus. Après trois jours d’errance pour échapper à la frontière, il va pouvoir reprendre sa vie, après un week-end à 524 €, sans compter les faux frais. En attendant que ses papiers soient renouvelés... Mais avec quels sentiments ?

Roger des Prés

http://lacanardesauvage.free.fr/spip.php?article352


[1J’ai vu ton œil torve scintiller, immonde flic des RT : abandonne tout espoir, ce prénom ne peut en aucune manière te conduire à cette personne.