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Optimisation fiscale : qui sont les entreprises qui délocalisent ?

par Julien Faure

Publie le mardi 9 avril 2019 par Julien Faure - Open-Publishing

Les entreprises cherchent naturellement à maximiser leurs profits, mais parfois au travers de moyens peu éthiques. L’optimisation fiscale en constitue l’un des outils privilégiés. Elle se pratique par des moyens éprouvés et pour des raisons essentiellement financières.

Siège Facebook à Dublin

Souvenons-nous de la médiatisation autour de délocalisations d’entreprises, d’Arcelor Mittal à Florange comme de Whirlpool à Amiens.Il y eut aussi le scandale des Paradise Papers,qui mirent en lumière que l’optimisation fiscale ne concernait pas que les multinationales, mais tout type d’entreprise. Pour Christian Chavagneux, auteur de Les Paradis fiscaux, « ce sont des pratiques qui tendent à se généraliser […] Il y a une forme de démocratisation de l’optimisation fiscale. » (1) Parfois en faisant moins de bruit, les entreprises décident de se relocaliser à l’étranger, supprimant au passage des emplois. La raison qui ressort communément est la « compétitivité ». Dit autrement, il s’agit de pratiquer, généralement à des fins économiques, l’optimisation fiscale, une évasion fiscale légale mais peu éthique.À l’heure du Made in France et d’un chômage endémique, cette pratique courante peut surprendre. Elle opère sous diverses formes et pour des raisons néanmoins variées, parfois plus compréhensibles que d’autres.

Des montages variés

La frontière est ténue entre la fraude fiscale et son optimisation. La première, illégale, consiste à se soustraire volontairement à un système d’imposition pour ne pas payer ses cotisations. La seconde profite quant à elle légalement de failles du système pour réduire son taux d’imposition sur les bénéfices. Il existe divers types de montages financiers effectifs pour l’optimisation fiscale. L’une des plus fréquentes consiste à transférer le siège social de son entreprise à l’étranger, dans des pays à la fiscalité plus légère. Les pratiques des GAFA en constituent l’exemple-type. Les Echos rapportent trois montages fiscaux fréquents. L’un, le « roque » (comme aux échecs) Luxembourg – Pays-Bas consiste par exemple à placer la propriété de la marque dans une fondation domiciliée dans un paradis fiscal. Au travers de divers jeux d’emprunt bancaire et de revente de droits d’exploitation à des filiales, l’argent transite par une holding néerlandaise avant d’arriver au Luxembourg, qui verse en retour des dividendes à la Fondation, exonérés d’impôt car provenant d’une filiale étrangère (2).

Un autre type de montage se nomme tantôt « double irlandais », tantôt « sandwich néerlandais » : deux sociétés sont irlandaises mais l’une s’immatricule dans un paradis fiscal. L’entreprise profite alors « de l’absence de taxes sur certains transferts – notamment par le biais d’une troisième filiale, néerlandaise ou luxembourgeoise – pour échapper en grande partie à l’impôt »(3). L’Irlande est en effet, depuis plusieurs années, la destination privilégiée des grandes entreprises – principalement du numérique. Au-delà du montage précité, les entreprises y installent leur siège européen ou leurs filiales. La pratique ne se limite toutefois pas aux GAFA. Les Français de l’agence marketing Cinquante Cinquante Ltd, créée en 2016, ont leur siège social dans la ville de Cork en dépit d’un site Internet administré en France (4).Dans la capitale, Presta Expert, agence Prestashop, se présente comme « une société française délocalisée à Dublin », propriété de la société Inoxidium Ltd (5). L’aspect « société écran » de la page unique du site Internet de cette dernière interroge (6). L’entreprise de taille intermédiaire (ETI) de coffrets-cadeaux Smartbox enfin, créée en 2007 et initialement française, s’y est également installéedepuis plusieurs années. Son activité dépend du seul Smartbox Group Limited, « société de droit irlandais » (7) fondée en 2008 et immatriculée à Dublin. Précisons quel’Irlande impose les sociétés avec l’un des plus faibles taux au monde, 12,5% (contre 33,3% en France) et permet aux entreprises de ne payer aucun impôt sur ses dividendes (8).

Des motifs variables

Le motif de ces pratiques est quantitatif et qualitatif : simplicité administrative, dépôts de brevets simplifiés, mais surtout réductions d’impôts qui permettent, en vendant le même service, d’accroître ses bénéfices de manière parfois conséquente.Les motifs peuvent paraître compréhensibles selon les entreprises, moins pour d’autres. Les TPE et PME paient par exemple des charges qui poussent bon nombre d’entre elles à mettre la clé sous la porte et les incitent donc à chercher des alternatives pour survivre.Quoiqu’il en soit, la domiciliation sous des cieux plus favorables facilite la croissance de l’entreprise. Cette forme de concurrence peut apparaître éthiquement déloyale mais elle est juridiquement légale. Les Pays-Bas, « le royaume de l’optimisation fiscale » (9), sont ainsi le pays européen qui revient le plus souvent depuis le scandale des Paradise Papers. Si les sièges sociaux d’entreprises y sont assez peu nombreux, le pays accueille des filiales opérationnelles de nombreuses entreprises françaises, grâce à une fiscalité généreuse. L’affaire Renault-Nissan a par exemple révélé que le duo franco-japonais disposait d’une quarantaine de structures, bénéficiant de plusieurs avantages : « impôts réduits sur les bénéfices, absence de taxation des flux financiers transitant sur le territoire, emprunts moins imposés, souplesse comptable » (10). D’autres groupes français sont concernés, comme Total. Mais si fin 2018 les Pays-Bas ont annoncé une politique plus drastique à l’égard des entreprises étrangères (11), ce n’est pas le cas d’autres destinations privilégiées. Ce n’est pas non plus l’exclusivité des grands groupes.

À une échelle inférieure, des TPE et PME pratiquent le même exil, notamment côté britannique. La Serrurerie Objatoise, en Corrèze, et la boulangerie Au Four et au Moulin, en Ille-et-Vilaine, ont leur siège social sis au 1 Palk Street à Torquay, au Royaume-Uni, à l’image d’autres petites structures commerciales. La raison en est simple : cette pratique de vingt ans, en réalité illégale selon l’URSSAF, permet à de nombreux petits commerçants et artisans de se soustraire au paiement de leurs cotisations sociales (12), le Royaume-Uni présentant par ailleurs de nombreuses simplicités fiscales et administratives (13). Le classement Doing Business 2018 de la Banque Mondiale, s’il ne justifie pas la pratique, la contextualise et analyse les réformes destinées à rendre l’économie « plus attractive et fluidifier les démarches pour les créateurs de PME » (14). Dans les domaines de la création d’entreprise et du paiement des impôts, le Royaume-Uni et l’Irlande sont respectivement 14e et 23e pour le premier, 8e et 4e pour la seconde. La France n’arrive que 25e et 54e.

La variété des pratiques et des raisons de l’optimisation fiscale soulignent en fin de compte une disparité entre les entreprises. Là où certaines sociétés françaises y cherchent des moyens de survie, d’autres entendent profiter des failles d’un système pour en retirer tous les avantages mais se soustraire à leurs obligations, qu’elles ne conçoivent que comme des inconvénients.

(1) https://www.challenges.fr/entreprise/paradise-papers-l-optimisation-fiscale-concerne-aussi-les-pme-et-les-independants_514751

(2) https://www.lesechos.fr/2017/11/optimisation-fiscale-zoom-sur-trois-montages-frequents-en-europe-188872

(3) http://www.bethelfinance.com/fr/optimisation-fiscale/

(4) http://agence-cinquante.fr/mentions-legales/

(5) https://www.codeur.com/-presta_expertet https://www.prestaexpert.com/infos/mentions-legales

(6) https://www.inoxidium.com/

(7) https://www.smartbox.com/fr/mentions-legales/

(8) https://societe-france-irlande.com/fiscalite-irlande/ et https://www.paradisfiscaux20.com/paradis-fiscaux-creation-societe-irlande.htm

(9) https://www.franceinter.fr/info/les-pays-bas-un-paradis-fiscal-au-coeur-de-l-europe

(10) https://www.lexpress.fr/actualite/societe/enquete/renault-nissan-la-nebuleuse-des-filiales-aux-pays-bas_2060283.html

(11) https://www.lesechos.fr/monde/europe/0600221786193-optimisation-fiscale-le-virage-des-pays-bas-2224852.php

(12) https://www.journaldunet.com/management/creation-entreprise/1165455-pays-pour-creer-son-entreprise/

(13) https://www.franceculture.fr/economie/quand-langleterre-permet-aux-petits-patrons-deviter-les-charges-socialesethttp://www.senat.fr/rap/r14-534/r14-534_mono.html

(14)https://www.journaldunet.com/management/creation-entreprise/1165455-pays-pour-creer-son-entreprise/

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