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Xavier Kemlin, star déchue de la complosphère d’extrême-droite

par Blanqui75

Publie le jeudi 28 novembre 2019 par Blanqui75 - Open-Publishing
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Didier Tauzin, Renaud Camus, Eric Zemmour… En quête d’incarnation, l’extrême-droite française s’enthousiasme par intermittence pour des candidatures fantasques, rarement menées jusqu’à leur terme. Parmi elles, celle de certain Xavier Kemlin, millionnaire franco-suisse, chasseur et militant anti-mariage pour tous promettait en 2014 de destituer François Hollande avant le terme de son mandat.

L’héritier du groupe Guichard Xavier Kemlin, est-il un homme « qui gagnerait à être connu » ? Pour Medias Presse Info, la réponse ne faisait pas de doute, du moins en février 2014. Le site de « réinformation » à la ligne éditoriale ultra-droitière, qui a multiplié ces dernières années les articles anti-vaccins, homophobes, anti-ivg et antisémites, lui avait alors consacré un portrait élogieux. Louant sa vie familiale « tout à fait traditionnelle et classique », son indépendance et son « originalité attractive », l’auteur de l’article prévenait : « Xavier Kemlin risque de bien faire parler de lui dans les prochains mois ». Le « millionnaire exilé fiscal établi en Suisse depuis 1998 », qui avait annoncé quelques mois plus tôt se présenter à l’élection présidentielle de 2017, était en effet paré de toutes les vertus : il est, selon son avocat, « quelqu’un de très fin et d’intègre qui veut contrecarrer la malhonnêteté du système ». Xavier Kemlin est aussi, selon le site d’extrême-droite cette fois, « ouvertement contre le mariage pour tous ». « Seul bémol », précise ce dernier, son soutien au droit de vote des immigrés. Pas de quoi cependant priver cet « homme révolté » des encouragements de la rédaction du blog d’ultra-droite. « Ses chances sont peut-être plus grandes qu’on ne le croit » avertissait-elle.

Quelques mois plus tôt, même son de cloche chez Prorussia.tv. En septembre 2013, la chaîne de télévision privée en langue française, à la fois porte-voix du FN et relais de la propagande du Kremlin, avait rhabillé Xavier Kemlin en Cincinnatus de circonstance. « Etonnante société civile française qui, lasse de voir les politiciens la ruiner, lui mentir, la compromettre, la trahir, trouve en son sein des candidats prêts à remettre un peu d’ordre dans un foutoir bien gaulois, alors qu’ils pourraient vivre tranquillement sur les pentes ensoleillées des bords du lac Léman » s’était enthousiasmée la webtélé poutinolâtre. Si l’héritier du groupe Guichard établi dans le canton de Genève fréquente « tout le beau linge de la Ve République », expliquait-elle, celui-ci n’a pourtant pas perdu le contact avec la réalité. « Xavier Kemlin n’en manque pas un quand ils franchissent la ligne jaune ou quand il s’agit de défendre les plus petits, les salariés », affirmait, admiratif, le fanzine du Kremlin. « Nous ne manquerons pas de suivre la campagne de Xavier Kemlin » concluait-il sobrement cet éloge dithyrambique, repris in extenso par plusieurs sites de la complosphère d’extrême-droite, dont Egalité et Réconciliation, animé par Alain Soral.

Xavier Kemlin, « l’homme qui va abréger le mandat de François Hollande »

Cette petite notoriété auprès du web d’extrême-droite, Xavier Kemlin la doit d’abord à une plainte déposée en mars 2013 contre Valérie Trierweiler pour recel de détournement de fonds publics. Pour cet opposant convaincu au mariage homosexuel, la compagne d’un président de la République ne peut en effet pas bénéficier des mêmes avantages qu’une épouse. Une plainte jugée d’abord « étrange » par la grande presse avant d’être jugée irrecevable par les magistrats. Ceci n’avait pas découragé l’entrepreneur franco-suisse de réitérer sa tentative en janvier 2014 à l’encontre de Julie Gayet et de François Hollande pour faux en écriture publique, détournement de fonds publics et fraude fiscale. Dans une interview donnée à Valeurs Actuelles, Xavier Kemlin précisait l’objectif poursuivi derrière ses plaintes : pousser le chef de l’Etat, « incapable et dogmatique », à la démission en l’aidant à « se rendre compte que les femmes l’intéressent plus que la lutte contre le chômage ! ».

Ces actions en justice grand-guignolesques ont fait de Xavier Kemlin l’une des coqueluches de la droite de la droite en plein débat sur le mariage pour tous. Outre Média Presse Info et Prorussia.tv, plusieurs autres sites de la « réinfosphère » lui ont alors tendu leur micro, convaincus d’avoir trouvé leur nouveau champion. Le site catholique traditionnaliste anti-avortement Le Salon Beige, dont il commente les articles à l’occasion, rapporte avec gourmandise ses entreprises judiciaires. Les Observateurs.ch, site d’extrême-droite xénophobe suisse abonné aux fausses informations, le présente en avril 2013 comme « le cauchemar de François Hollande », avant de l’interviewer longuement en février 2014. Avec lui, la « droite nationale » se prend à rêver d’un coup d’éclat retentissant qui la débarrasserait d’un président qu’elle exècre autant que lui. « Xavier Kemlin est peut-être l’homme qui va abréger le mandat de François Hollande et venger les 78% de Français qui ne se reconnaissent pas en lui » écrit ainsi Prorussia.tv.

D’autres médias, à peine moins droitiers, ne sont pas en reste. En novembre 2013, le site ultra-libéral Contrepoints interroge complaisamment Xavier Kemlin qui affirme « viser la destitution de François Hollande » à travers sa plainte déposée contre Valérie Trierweiler. Valeurs Actuelles et Le Point se penchent eux aussi sur ce singulier personnage dont les groupuscules les plus sulfureux de l’extrême-droite française se sont amourachés. La carrière de trublion de l’homme d’affaires franco-suisse paraît alors bien lancée à la droite de la droite.

De la lutte contre le « capitalisme dévoyé » à la défense de l’exil fiscal

Rien pourtant ne semblait prédisposer l’arrière-petit-fils de Geoffroy Guichard, fondateur du groupe Casino, à devenir une véritable « star » de la fachosphère. Xavier Kemlin poursuivait jusqu’alors une carrière d’entrepreneur et de héraut des petits actionnaires. Amoureux des procédures judiciaires à outrance, Xavier Kemlin enfile à l’époque régulièrement son masque de justicier et multiplie les coups d’éclats judiciaires sans suite contre les sociétés du SBF 120 et du CAC 40. Une grève de la faim menée en 2011 devant le siège de Carrefour contre Bernard Arnault et le fonds d’investissement Colony Capital lui avait attiré la sympathie du Nouvel Observateur qui le dépeignait à l’époque en « actionnaire révolté », en lutte contre le « capitalisme dévoyé ».

Xavier Kemlin se dit alors « de gauche », proche de Claude Bartolone et d’un Manuel Valls qui n’avait pas encore emprunté son virage droitier. Dans une interview au Point, l’homme d’affaires résident depuis 15 ans en Suisse (mais pas seulement pour des raisons fiscales se défend-t-il), se présente même comme « un pauvre chez les riches ». L’héritier du groupe Guichard n’en est pas moins amoureux des belles voitures – il roule en Audi A8 – et des belles pierres – il vit dans une villa du XVIIIe siècle à Troinex dans le canton de Genève et possède une maison de famille à Cleppé dans la Loire, l’Orangerie de Chatel, sise au cœur d’un parc de 60 hectares. Xavier Kemlin est aussi un collectionneur d’art contemporain, amoureux des meubles design et aime partir chasser avec ses amis, riches, selon ses dires, de « plusieurs centaines de millions d’euros ». Sa fortune – estimée selon certains à 2,5 millions d’euros – et son train de vie ne l’empêchent pas de se reconnaître dans le mouvement des « indignés » en 2011 et d’appeler à réguler davantage le monde de la finance – tout en se félicitant au même moment de « payer moins d’impôts » de l’autre côté de la frontière helvétique.
Les critiques qui s’abattent sur les exilés fiscaux lors de la campagne présidentielle de 2012 et lors des premiers pas du nouveau gouvernement socialiste sont loin d’être à son goût. Xavier Kemlin dénonce la « chasse aux sorcière vis-à-vis des Français en Suisse » et critique la taxe à 75% qu’envisage alors de mettre en place François Hollande. Nul ministre du gouvernement Ayrault ne trouve à l’époque grâce à ses yeux, si ce n’est… Jérôme Cahuzac.

Xavier Kemlin, des feux de la rampe à l’anonymat

Qu’est devenu depuis Xavier Kemlin ? Classées sans suite, ses deux plaintes n’auront pas empêché François Hollande de finir son mandat jusqu’au bout. Retombé dans l’oubli, l’ancien chef d’entreprise avait bien tenté de refaire parler de lui en portant plainte tous azimuts contre Ségolène Royal, Manuel Valls, Emmanuel Macron, Benoît Hamon ou encore Roland Dumas. De guerre lasse et peut-être échaudés par son originalité ou par les incohérences du personnage, peu de médias s’en étaient alors fait l’écho. De même, sa non-candidature en 2017 n’a suscité que de l’indifférence, y compris chez ses anciens supporters.

Retiré à la campagne dans sa maison de famille dans la Loire, Xavier Kemlin s’est reconverti dans un tout autre domaine d’activité. Désormais retraité, âgé de près de 61 ans, l’ancien trublion s’occupe désormais d’une maison d’hôte dans sa propriété familiale, l’Orangerie de Chatel. Une vie de rêve pour celui qui, revenu de ses ambitions politiques, espérait « se poser » depuis si longtemps.

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