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Réforme du statut des intermittents

Publie le lundi 23 juin 2003 par Open-Publishing

Le débat qui fait rage sur la modification du régime des intermittents du spectacle procède d’une bizarrerie typiquement française. Depuis 1969, c’est en effet l’Unedic qui finance un large pan de la culture, celui du spectacle vivant.

Les annexes 8 et 10 du régime général de l’allocation-chômage prévoient d’indemniser, quand ils ne travaillent pas, les comédiens, les professionnels de la mise en scène, de la réalisation, de la production de spectacles, les professionnels de l’image, du montage, les décorateurs, accessoiristes, professionnels du son, de l’éclairage, de la coiffure, du maquillage, du costume. Auxquels il faut ajouter les danseurs, chorégraphes, artistes de la musique et du chant, artistes de cirque et de music- hall.

Tous ces professionnels sont généralement payés au cachet pour les répétitions de spectacles et les représentations. Certains enchaînent sans arrêt les contrats, mais pour la grande majorité d’entre eux, ce n’est pas le cas. Leurs employeurs sont multiples et leur travail souvent précaire. Il est également important de souligner que seules certaines catégories d’artistes bénéficient de ce régime très avantageux d’allocations-chômage (qui représentait en 2000-2001 40 % du revenu moyen annuel des intermittents) : par exemple, les photographes, les auteurs, les peintres, les plasticiens, ou les vidéastes, beaucoup plus indépendants et moins syndiqués, n’y ont pas droit. Ce régime spécifique des intermittents, qui instaure un système de solidarité de toute la société envers les professionnels du spectacle vivant, participe directement au financement de la politique culturelle. Le budget limité du ministère de la Culture ne lui permettrait pas de prendre en charge ces subventions. C’est la raison pour laquelle cet état de fait atypique s’est installé au fil des années. Très déficitaire, ce régime des intermittents est aujourd’hui plus que jamais très attaqué par le Medef, qui souhaiterait le faire voler en éclat.

Les intermittents du spectacle touchent huit fois plus d’argent qu’ils n’en donnent par le biais des cotisations-chômage. Selon l’Unedic, le déficit s’est considérablement creusé avec les années, passant de 217 millions d’euros en 1991 à 751 millions en 2001 et 828 millions d’euros en 2002. Il existe, au sein de l’Unedic, d’autres branches extrêmement déficitaires, auxquelles personne ne songe vraiment à s’attaquer, comme celle du travail temporaire par exemple, qui profite à tous les secteurs de l’économie (ce régime défini par l’annexe 4 a perdu 727 millions d’euros en 2001, mais indemnise 500 000 allocataires, soit près de cinq fois plus que les intermittents).

Après trois réunions, les 3, 6 et 11 juin, entre syndicats et organisations patronales, aucun accord n’a pu être signé pour réformer le statut des intermittents du spectacle. Après avoir fait passer en force l’an dernier une première réforme (le doublement des cotisations sociales pour les intermittents et pour les employeurs), le Medef propose de réduire la durée d’indemnisation à six mois au lieu de douze aujourd’hui.

De plus, les 507 heures de travail qui doivent être effectuées aujourd’hui pour ouvrir le droit à une indemnité devront l’être non plus sur douze mais sur neuf mois. Ces propositions qui, selon la CGT, devraient aboutir à écarter de 50 % à 70 % des professionnels du système, risquent de mettre en péril des pans entiers de la création artistique. Ce qui explique l’intense mobilisation des intermittents qui ont, depuis le début du mois de juin, multiplié les manifestations et les occupations de lieux culturels, tant à Paris qu’en province.

Une telle réforme risque d’entraver sérieusement la création contemporaine et mettre à mal la production de spectacles de théâtre, de danse, d’expositions. De très nombreux festivals d’été arrivent à vivre, d’ailleurs souvent chichement, uniquement grâce au système des intermittents. Si ce dernier est profondément remanié, toute l’économie des spectacles vivants devra être repensée, d’autant que les organisateurs de ces festivals n’auront pas les moyens d’assumer seuls la totalité de ces manifestations. Les collectivités locales et territoriales n’ont apparemment pas non plus l’intention de remplacer financièrement l’Unedic.

Pourtant, l’un des moyens les plus sûrs pour réduire le déficit du système des intermittents serait de s’attaquer franchement au problème majeur, celui de la fraude, massive, qui s’est installée au fil des années. Le nombre d’allocataires a, selon l’Unedic, plus que doublé en dix ans, en passant de 41 000 à 96 500 en 2001 et 102 600 en 2002 (en considérant ceux qui ont perçu au moins une allocation dans l’année). Le syndicat national des techniciens et travailleurs de la production cinématographique et de télévision déplore que "des codes d’activité d’entreprises - qui n’ont aucune activité ni de près ni de loin dans la production cinématographique et audiovisuelle" aient été ajoutés à l’annexe 8. Ce qui, selon ce syndicat, permet à des centaines d’entreprises d’embaucher des milliers de salariés en échappant aux contraintes des contrats à durée déterminée.

Tous les professionnels s’accordent à penser qu’il faut en urgence faire un grand ménage dans la liste des allocataires et des employeurs pour ne garder que ceux qui y ont raisonnablement droit. D’ailleurs, Jean-Jacques Aillagon, le ministre de la culture et de la communication ne s’y est pas trompé puisqu’il a lui-même rédigé une lettre à tous les présidents des entreprises de l’audiovisuel public (France Télévisions et Radio France) en leur demandant de veiller à ne pas abuser au recours aux intermittents. Une initiative certes louable mais qui souligne simplement une fois de plus les contradictions de son ministère. Une forte hausse de la redevance télévisée semble politiquement exclue et M. Aillagon n’a pas un budget suffisant pour permettre à France Télévisions et Radio France de ne plus faire appel aux intermittents.

Depuis des années, certains comédiens réclament la création d’une carte professionnelle d’intermittent, pour éviter par exemple que des journalistes reporters d’images ou des décorateurs - qui réalisent l’essentiel de leur chiffre d’affaires en dehors des spectacles ou des expositions - ne contribuent à alourdir le déficit des annexes 8 et 10. Le gouvernement a promis de tout mettre en œuvre pour renforcer le contrôle du système.

Personne jusqu’à présent n’a eu le courage d’interdire aux employeurs de l’audiovisuel le recours aux intermittents pour laisser ce système profiter uniquement aux professions artistiques.

La délicate gestion du dossier des intermittents se complexifie également par une lutte syndicale à peine voilée, entre la CGT, très fortement majoritaire dans le monde du spectacle et totalement hostile aux propositions du Medef, et la CFDT, qui épouse plutôt la philosophie des organisations patronales. Le 26 juin, il suffit qu’une seule organisation syndicale et qu’une seule organisation patronale paraphe un accord pour modifier l’actuel statut. Ce qui pourrait surtout mettre à mal la création contemporaine sans pour autant engager une réelle réforme en profondeur visant à assainir le système.

Nicole Vulser

 http://www.lemonde.fr/article/0,5987,3232—324963-,00.html