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"Foutez le camp de cette putain d’autoroute" : l’état de Louisiane naufragé pille ses propres survivants

Publie le lundi 26 septembre 2005 par Open-Publishing
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Traduction : emcee

Traduction du témoignage de deux secouristes-auxiliaires médicaux qui se sont retrouvés dans la tourmente après le passage du cyclone Katrina.

Deux sinistrés à la N.O. après le passage de l’ouragan Katrina racontent leur gestion personnelle de la crise et l’abandon dont ils ont été l’objet dans la zone sinistrée.

Deux jours après le passage de l’ouragan à la N.O., le rideau de la pharmacie Walgreen au coin des rues Royal et Iberville est resté baissé. On pouvait voir à travers la vitrine le rayon des produits frais. Cela faisait maintenant 48h qu’il n’y avait plus ni électricité, ni eau, ni sanitaires. Le lait, les yaourts et les fromages commençaient à se décomposer avec la chaleur. Les propriétaires et les responsables du magasin avaient mis sous clé l’alimentation, l’eau, les couches pour bébé et les médicaments et avaient fui la ville.

Ceux qui passaient devant Walgreen, habitants et touristes souffraient de plus en plus de la faim et de la soif. Les aides fédérales, celles de l’état de la Louisiane et de la ville tant promises ne se sont jamais arrivées et les vitrines de Walgreen ont été brisées par les pillards. Les flics auraient pu casser une petite fenêtre pour organiser la distribution de fruits secs, de jus de fruits et de bouteilles d’eau. Mais cela ne s’est pas passé comme ça. Au lieu de cela ils ont passé des heures à jouer au chat et à la souris avec les pillards, les éloignant momentanément.

On a fini par venir nous chercher en hélicoptère, il y a deux jours, et nous sommes rentrés chez nous hier (samedi). Nous n’avons pas encore vu les reportages télé ou dans les journaux. Mais nous sommes prêts à parier qu’il n’y a pas eu de film ou de photo à la une des journaux pour montrer des touristes blancs riches ou Européens en train de dévaliser le Walgreen du Quartier français.

Nous supposons également que les médias auront débordé d’images de ces « héros » de la Garde Nationale, de l’Armée et de la Police qui luttaient pour secourir les « victimes » de K.

Ce que vous ne verrez pas, c’est ce que nous avons vu ici : les véritables héros et héroïnes de la solidarité avec les sinistrés : la classe ouvrière de la NO.

 Les agents d’entretien qui utilisaient des chariots élévateurs pour transporter les malades et les handicapés.
 Les techniciens qui bricolaient des générateurs et en prenaient soin pour les maintenir en état de marche.
 Les électriciens qui faisaient passer d’épaisses rallonges électriques d’un toit d’immeuble à l’autre pour répartir le peu d’électricité à disposition afin de dégager les voitures garées sur les parkings sur le toit des immeubles.
 Les infirmier(e)s qui, remplaçant les ventilateurs mécaniques, passaient des heures et des heures à gonfler manuellement des appareils pour alimenter en oxygène les poumons de personnes qui avaient perdu connaissance afin de les maintenir en vie.
 Les portiers qui allaient secourir les personnes coincées dans les ascenseurs.
 Les employés des raffineries qui pénétraient dans des hangars à bateaux pour y « voler » des bateaux et s’en servir pour aller délivrer leurs voisins cramponnés à leurs toits inondés.
 Les mécaniciens qui faisaient démarrer toutes les voitures disponibles en reliant les fils afin de transporter les gens jusqu’à l’extérieur de la ville.
 Et ceux qui travaillaient dans le secteur de la restauration qui décrassaient les cuisines des restaurants pour servir aux sinistrés des centaines de repas improvisés.

La plupart de ces travailleurs avaient perdu leur maison et ne savaient pas ce qu’était devenue leur famille mais ils restaient là, offrant la seule logistique disponible aux 20% de la N.O. qui n’étaient pas sous les eaux.
Le 2° jour, nous étions environ 500, oubliés dans les hôtels du quartier français. Il y avait parmi nous des touristes étrangers, des gens venus assister à une conférence comme nous-mêmes et des habitants de la N.O. qui s’étaient installés à l’hôtel pour se mettre à l’abri de l’ouragan.

Certains d’entre nous avions la possibilité de contacter par téléphone mobile de la famille ou des amis à l’extérieur de la ville. On nous disait toujours la même chose : toutes sortes de secours étaient organisés et des dizaines de cars arrivaient en ville. Les cars et les autres moyens à disposition étaient probablement transparents parce qu’aucun d’entre nous n’en a vu un seul.

Nous avons décidé qu’il fallait nous sortir de là par nos propres moyens.

Alors, nous avons mis en commun tout l’argent dont nous disposions et avons ainsi réuni la somme de 25000 dollars. Ceux qui avaient davantage d’argent payaient pour ceux qui n’avaient pas les 45 dollars nécessaires pour prendre le car. Nous avons attendu 48h que les cars arrivent, debout dehors pendant 12 heures, nous répartissant les maigres rations d’eau, de nourriture et de vêtements en notre possession.

Nous avions organisé un point de ralliement pour les personnes âgées, les malades et les nouveaux-nés afin qu’ils puissent monter dans les bus en priorité. Nous avons attendu jusqu’à tard dans la nuit l’arrivée « imminente » des bus. Mais ils ne sont pas venus.

Nous avons appris plus tard que dès qu’ils arrivaient à l’entrée de la ville, ils étaient réquisitionnés par l’Armée.

Au 4° jour, nos hôtels n’avaient plus ni fuel ni eau. Les sanitaires étaient dans des conditions d’hygiène épouvantables. Alors que le désespoir et le découragement nous gagnaient, nous devions maintenant faire face à la fois à une recrudescence de violence urbaine et à une nouvelle montée des eaux.

Les hôtels nous ont mis dehors et ont fermé leurs portes, en nous expliquant que les « autorités » nous demandaient d’aller nous présenter au Convention Center pour encore attendre d’autres bus.

En entrant au centre ville, nous avons enfin trouvé la Garde Nationale.

Les gardes nous ont dit qu’on ne nous accepterait pas au Superdome, le principal refuge de la ville étant devenu une abomination pour des raisons tant humanitaires que sanitaires. Ils ont ajouté que le seul autre refuge de la ville, le Convention Center, devenait lui aussi un lieu effroyable où régnait la plus grande confusion et que la police ne laissait plus entrer personne.

Tout naturellement , nous leur avons demandé : « si nous ne pouvons pas entrer dans les deux seuls refuges de la ville, que pouvons nous faire ? ». Les gardes nous ont répondu que ça, c’était notre problème et que non, ils n’avaient pas d’eau à nous donner.

C’était la première d’une longue série de rencontres avec des forces de « l’ordre » hostiles et insensibles.

Nous nous sommes rendus à pied jusqu’au QG de la police dans Canal Street et on nous a répondu la même chose, que nous devions nous débrouiller seuls et que non, ils n’avaient pas d’eau.

Notre groupe atteignait maintenant plusieurs centaines de personnes. Nous avons alors tenu une réunion pour décider d’une ligne de conduite. Nous sommes tombés d’accord pour dormir devant le QG de la police. Nous serions ainsi bien visibles des médias et constituerions un reproche vivant pour les autorités locales. Mais la police nous a dit que nous n’avions pas le droit de nous mettre là.

Sans tenir compte de l’interdiction, nous avons commencé à nous installer. Aussitôt, le commandant de police a traversé la rue pour venir nous parler. Il nous a dit qu’il avait une solution : aller à pied jusqu’à l’autoroute Pontchartrain, passer le pont et là, la police avait un certain nombre de bus à disposition pour nous emmener à l’extérieur de la ville.

Tout le monde a applaudi et a commencé à partir. Nous les avons rappelés et avons expliqué au chef de la police qu’on nous avait déjà donné des tas d’informations erronées : était-il sûr qu’il y aurait des bus là-bas pour nous faire sortir de la ville ? Le chef de la police s’est alors tourné vers la foule, puis a affirmé solennellement : « Je vous jure qu’il y a bien des bus là-bas ».

Nous avons tout rassemblé et les quelque 200 personnes de notre groupe sont parties pour le pont avec enthousiasme et espoir. En passant devant le centre municipal, beaucoup d’habitants nous ont vus si déterminés et optimistes qu’ils nous ont demandé où nous allions. Nous leur avons annoncé la bonne nouvelle. Des familles ont attrapé aussitôt le peu d’affaires qu’elles avaient et en peu de temps, notre groupe était multiplié par deux, puis encore par deux.

Il y avait des bébés dans les poussettes, des gens qui se déplaçaient avec une canne, des personnes âgées qui s’accrochaient aux valides, d’autres dans des fauteuils roulants. Nous avons parcouru à pied les 4-5 kms pour arriver à l’autoroute, puis nous avons gravi le chemin abrupt qui menait jusqu’au pont. Il commençait à pleuvoir maintenant, mais notre enthousiasme n’en était nullement affecté.

En arrivant près du pont, nous avons vu des policiers armés, au coude à coude, barrant l’entrée du pont. Avant que nous puissions prononcer un seul mot, ils ont commencé à tirer à balles réelles au-dessus de nos têtes. La foule s’est mise à courir dans toutes les directions. Tandis que la foule se dispersait et disparaissait, quelques-uns d’entre nous se sont avancés lentement et nous avons réussi à engager la conversation avec des policiers. _ Nous leur avons raconté notre discussion avec le chef de la police et parlé de ses promesses. Les policiers nous ont dit qu’il n’y avait pas de bus.

Le chef de la police nous avait menti pour nous faire partir.

Nous avons demandé pourquoi nous ne pouvions pas franchir le pont, surtout qu’il y avait peu de circulation sur cette route à 6 voies. Ils ont répondu que la rive ouest n’allait pas devenir comme la NO et qu’il était hors de question qu’il y ait un autre Superdome dans leur ville. C’est une façon déguisée de dire que si on est noir et pauvre, on n’a pas le droit de traverser le Mississippi pour sortir de la NO.

Notre petit groupe est revenu sur ses pas pour s’abriter de la pluie sous un pont. Nous avons réfléchi à ce que nous allions faire et avons finalement décidé de construire un campement de fortune au milieu de l’autoroute Ponchartrain. (...). Ainsi, en toute logique, nous serions bien en vue, nous serions en sécurité puisque nous serions installés sur une partie surélevée et nous pourrions attendre et repérer ces fameux bus que n’avions toujours pas vus.

Toute la journée, nous avons vu d’autres familles, des personnes isolées et des groupes grimper la côte pour tenter de franchir le pont, tout cela pour être refoulés de la même façon. Certains accueillis par des coups de feu, d’autres à qui on disait simplement non, d’autres encore qui devaient essuyer réprimandes et humiliations.

On barrait la route à des milliers d’habitants de la NO pour leur interdire d’évacuer la ville à pied.

Pendant ce temps-là, les deux abris mis à disposition par la ville sombraient de plus en plus dans l’horreur et la décadence. La seule façon de franchir le pont était en voiture. On a vu des employés voler des bus, des camions, des camions de déménagement, des semi-remorques et tous les véhicules qui pouvaient démarrer sans clé. Et dans tous ces moyens de transport s’entassaient tous ceux qui cherchaient à fuir la NO, complètement sinistrée maintenant.

Notre petit campement commençait à s’améliorer. Quelqu’un avait volé une camionnette qui livrait de l’eau et l’avait conduite jusqu’à nous. Ah, parlons-en du pillage ! A environ deux kms de là sur l’autoroute, un camion de l’armée avait perdu dans un tournant un peu sec une ou deux palettes de rations de repas de l’armée. Nous avons rapatrié ces vivres jusqu’à notre camp dans des caddies.

Maintenant que nous étions assurés d’avoir l’essentiel, à savoir de l’eau et des vivres, nous pouvions nous occuper d’entraide, de solidarité et de créativité. Nous avons organisé le nettoyage du camp puis accroché des sacs poubelles à des poteaux. Nous avons confectionné des lits avec les palettes en bois et du carton. Nous avons décidé qu’un certain égout servirait pour les toilettes et les enfants se sont construit un abri élaboré pour se cacher des regards avec des morceaux de plastique, des parapluies cassés et d’autres trucs trouvés sur place. Nous avons même organisé une sorte de banque alimentaire où chacun pouvait troquer des éléments constituant son repas (par exemple, de la sauce à la pomme pour les bébés ou des bonbons pour les enfants).

C’est quelque chose que nous avons souvent pu constater après la catastrophe. Quand il s’agissait de se procurer de l’eau et des vivres, c’était chacun pour soi. Il fallait faire tout ce qui était en son pouvoir pour trouver de l’eau pour ses enfants et de quoi manger pour ses parents. Mais quand on n’avait plus ce souci, on commençait à se préoccuper des autres, à s’entraider et à former un groupe solidaire.

Si les équipes de secours avaient procuré à la population des tonnes de vivres et d’eau dès les trois premiers jours, il n’y aurait pas eu autant de désespoir, de frustration et d’horreur par la suite.

Avec suffisamment de provisions, nous étions à même de proposer à manger et à boire aux familles et aux personnes seules qui passaient par là. Et le groupe dans notre campement a fini par atteindre les 80 à 90 personnes.
Une femme qui avait un poste de radio qui fonctionnait avec des piles nous a dit qu’on parlait de nous dans les médias. Là, en pleine vue sur la route, tous les services de secours et les réseaux d’information nous voyaient en passant pour entrer en ville. Les autorités interviewées devaient expliquer ce qu’elles comptaient faire de ces familles installées sur la route. Les autorités répondaient qu’elles allaient « s’occuper de nous ». Nous avons eu, pour certains, un étrange pressentiment. « S’occuper de nous », l’expression prenait une connotation menaçante.

Hélas, notre pressentiment s’est révélé exact. Au moment où tombait le crépuscule, un policier de Gretna est arrivé. Sortant d’un bond de son véhicule de patrouille, il s’est mis à hurler, en pointant son arme sur nous : « tirez-vous de cette putain d’autoroute ! ». En même temps,un hélicoptère survolait le site, la violence du vent produit par les hélices faisant s’envoler notre campement de fortune.

Alors que nous étions en train de plier bagage, le policier enfermait dans le coffre de son véhicule nos vivres et notre eau. Puis, une fois encore, sous la menace de son arme, il nous a forcés à quitter l’autoroute.

Toutes les structures chargées de maintenir l’ordre se sentent menacées, semble t-il, quand elles voient un rassemblement de 20 personnes ou plus. Pour elles, concentration de « victimes » signifie « foule hostile » ou « émeute ». Nous, nous nous sentions plus en sécurité quand nous étions nombreux. Notre volonté de « rester groupés » était rendue impossible par les autorités qui nous forçaient systématiquement à nous séparer en petits groupes éclatés.

Les jours suivants, nous avons marché presque toute la journée, ensuite nous avons pu entrer en contact avec la Brigade des Pompiers de la NO et pour finir, nous avons été transportés en dehors de la ville dans un hélicoptère par une équipe de secours de la ville. Nous avons été déposés près d’un aéroport et de là, nous avons réussi à monter dans un véhicule de la Garde Nationale.

Les deux jeunes gardes nous ont dit qu’ils étaient désolés du manque de compétence de la garde en Louisiane. Ils nous ont expliqué qu’une partie importante de leur unité se trouvait actuellement en Irak, ce qui impliquait qu’ils manquaient de personnel et ne pouvaient pas accomplir les tâches qui leur étaient assignées.

Nous sommes arrivés à l’aéroport le jour où on mettait en place un pont aérien de grande envergure. L’aéroport ressemblait au Superdome. Notre groupe de 8 personnes s’est retrouvé dans une énorme cohue, les vols ayant été retardés pendant plusieurs heures quand G Bush a atterri sur l’aéroport pour une visite-éclair et une séance photos pour la presse.

Après avoir été évacués par un avion-cargo des Garde-Côtes, nous avons rejoint San Antonio, au Texas.

Et là encore, nous devions subir l’humiliation et la déshumanisation qui caractérisaient les responsables des opérations de secours d’urgence. On nous a fait monter dans des bus, dont certains n’étaient pas climatisés, puis on nous a déposés dans un immense champ où nous sommes restés pendant des heures et des heures, avec l’ordre de rester assis.

Sans lumière, nous étions des centaines à être forcés d’utiliser deux immondes WC qui débordaient. Ceux qui avaient pu rassembler quelques affaires avant de partir (à peine quelques biens jetés dans des sacs plastiques déchirés), ont vu leurs sacs contrôlés par deux fois par des chiens policiers.

La plupart d’entre nous n’avions pas mangé de la journée parce que nos rations de l’armée nous avaient été confisquées à l’aéroport : les boîtes de conserve déclenchaient les alarmes des détecteurs de métaux. Malgré cela, aucun repas n’avait été prévu pour les hommes, les femmes, les enfants, les personnes âgées et les handicapés forcés d’attendre pendant des heures la visite médicale qui permettrait de vérifier que nous n’étions pas porteurs de quelque maladie contagieuse.

Ce traitement des autorités contrastait vivement avec l’accueil chaleureux et sincère que nous réservait la population au Texas. On a vu une employée d’une compagnie d’aviation offrir ses chaussures à quelqu’un qui n’en avait pas. Des inconnus dans la rue venaient nous donner spontanément de l’argent et des affaires de toilette en nous souhaitant la bienvenue.

Du début à la fin nous avons eu affaire à des équipes de secours inhumaines, ineptes et racistes. Il y a eu bien plus de souffrances que nécessaire. Et bien trop de vies perdues inutilement.

Wednesday, Sep. 07, 2005

Larry Bradshaw and Lorrie Beth Slonsky

Original article “’Get Off The Fucking Freeway’ : The Sinking State Loots its Own Survivors”.

CounterPunch.http://www.counterpunch.org/

Traduction : emcee, dimanche 25 septembre 2005

http://emceebeulogue.tooblog.fr/?20...

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