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C’est ainsi que le Che critiquait l’URSS : elle n’a pas compris Marx

Publie le mardi 11 octobre 2005 par Open-Publishing
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Voyage dans les inédits de Guevara. Deuxième épisode

de Antonio Moscato traduit de l’italien par Karl&Rosa

Chaque année, à l’approche du 9 octobre, jour anniversaire de la mort d’Ernesto Che Guevara, on le commémore aussi sur la presse la plus éloignée de ses idées, qui en parle éventuellement pour se plaindre des "mythisations de la gauche". Il est mort il y a trente huit ans, mais son souvenir est beaucoup plus vivant que celui de tant de personnages politiques disparus depuis peu d’années, y compris de ces détracteurs qui le liquidaient comme un "stratège de pharmacie".

Comme ce fut le cas de Mario Monje, secrétaire du parti communiste bolivien dans ces années-là, qui abandonna le Che sans contacts dans une zone inadaptée à une guérilla où il l’avait envoyé.

Aujourd’hui Monje vit à Moscou, où il fait des affaires avec Poutine. Et, justement, on ne se souvient de lui que pour son rôle dans l’isolement et dans la défaite de Guevara et des autres guérilleros (y compris des guérilleros boliviens, qu’il avait expulsé du parti parce qu’ils restaient avec le Che).

Mais si sur la mort et sur les derniers, terribles jours d’Ernesto Che Guevara nous savons désormais tout, en premier lieu grâce au travail infatigable de deux historiens cubains, Adys Cupull et Froilàn Gonzàlez et aussi grâce à la publication des journaux de guerre des autres combattants (Inti et d’autres, en Bolivie avec le Che. Gli altri diari, aux soins de A. Moscato, Massari, Bolsena, 1998), on ne peut pas en dire autant de sa pensée, oubliée, déformée et occultée de différentes façons.

En effet, Guevara n’a pas été seulement le "guérilléro héroïque" (c’est ainsi qu’on l’a célébré pendant deux décennies dans un Cuba qui ne le republiait pas), mais "quelqu’un qui a redécouvert" le marxisme, capable de prévoir et de comprendre intuitivement les raisons d’un possible effondrement du système "socialiste" qui pourtant apparaissait, en son temps, au sommet de sa puissance. Pourquoi ne le connaît-on qu’en partie ? Depuis Cuba, Le Canto intimo de Celia Hart, dont nous publions d’amples extraits, se le demande.

Comme on le voit, Celia Hart aussi (fille de deux dirigeants historiques de la révolution, Armando Hart, longtemps secrétaire du Pcc et ensuite ministre de la Culture et Haydée Santamaria, qui participa en 1953 à l’assaut au Cuartel Moncada puis dirigea la Casa de las Américas), se pose le problème de la raison de l’existence des inédits. Les deux plus grands historiens du Che, Adys Cupull et Froilàn Gonzàlez, se sont déclarés solidaires avec elle. Mais il y a un autre problème : il y a aussi des textes désormais publiés mais ignorés de facto par ceux qui, même à gauche, préfèrent les mythes à la réalité.

A Alger par exemple, en février 1965, dans le dernier discours qu’il a tenu en tant que dirigeant cubain, Guevara disait, à propos du rapport entre les "pays socialistes" et les pays dépendants, qu’on ne devait plus "parler du développement d’un commerce réciproquement avantageux" parce qu’il était "basé sur les prix que la loi de la valeur et les rapports internationaux, fondés sur l’échange inégal (...) imposent aux pays arriérés". Acheter "aux prix du marché mondial les matières premières qui coûtent de la sueur et des sacrifices sans limites aux pays arriérés et vendre aux prix du marché mondial les machines produites dans les grandes usines automatisées" signifie de facto "que les pays socialistes sont, dans un certain sens, complices de l’exploitation impérialiste".

C’est dans cette direction qu’allait la réflexion du Guevara plus mûr, entre 1962 et 1966, une réflexion restée en grande partie inédite, mais pas complètement inconnue, parce que différents extraits en ont été graduellement publiés dans les essais de Tablada et de moi-même, et dans les Œuvres choisies, aux soins de Massari, et ensuite à Cuba dans le très beau livre d’Orlando Borrego aussi, Che. El camino del fuego (La Havane, 2001).

Pourquoi cette réflexion est-elle restée inédite ? Il suffit de citer ici un seul passage des Notes sur le Manuel d’économie pour commencer à comprendre : "Les dernières résolutions économiques de l’Urss ressemblent à celles qu’adopta la Yougoslavie quand elle choisit le chemin qui l’aurait amenée à un retour graduel au capitalisme. Le temps dira s’il s’agit d’un accident de parcours ou s’il implique une tendance marquée au recul. Tout commence avec la conception erronée qui cherche à construire le socialisme avec des éléments de capitalisme, sans en changer effectivement le sens. Par conséquent, on parvient à un système hybride qui finit dans une impasse" (Note : pour des raisons d’espace, on n’indique pas les pages du Manuel et les numéros des notes du Che, mais il est possible de les recevoir en langue originale en envoyant un mail à : antonio.moscato@unile.it).

Dans une autre note, Guevara écrit que "dans ce livre, on confond régulièrement le concept de socialisme avec ce qui se passe en pratique en Urss". A propos des "catégories économiques" qui selon le Manuel seraient générées par le régime socialiste, le Che notait que "on présume connaître des lois économiques dont l’existence réelle est discutable" (...) en se cognant partout "contre les lois économiques du capitalisme qui survivent dans l’organisation économique soviétique" (...). "On continue à tromper soi-même". Jusqu’à quand ? On ne le sait pas, et on ne sait non plus comment la contradiction sera résolue".

Comme on peut le voir, c’étaient des critiques dures, que les soviétiques n’auraient pas pu accepter. Mais pourquoi les censurer encore après l’effondrement de l’Urss ? Probablement à cause des difficultés à expliquer aux étudiants cubains pourquoi pendant vingt après la mort du Che, quand Brejnev était exalté à La Havane comme un grand "marxiste léniniste", ils ont continué à "étudier le marxisme" sur ce Manuel dont Guevara déclarait qu’il était très mauvais.

à suivre...

http://www.liberazione.it/giornale/050930/LB12D6E8.asp

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