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Michelle Bachelet : une femme ne fait pas le printemps

Publie le mercredi 18 janvier 2006 par Open-Publishing
12 commentaires

de Gennaro Carotenuto traduit de l’italien par karl&rosa

Michelle est la première présidente du Chili, la troisième femme du continent américain (la première formellement de gauche) après Violeta Chamorro au Nicaragua et Mireya Moscoso au Panama. Mais il ne s’agira pas d’une présidence de rupture pour une coalition qui gouverne dans la continuité depuis 1989.

C’est Michelle le meilleur des mondes possibles ? Les envoyés débraillés de la presse italienne décrivent une campagne électorale aux tons enthousiastes qui n’existe pas. La campagne (lire Ivonne Trias) est, au contraire, ennuyeuse et basée sur la continuité. Non seulement il n’y a pas d’utopies, mais encore il n’y a pas d’espoirs. Les vieux militants, ceux qui ont survécu à l’heure des fours, t’expliquent qu’ils votent pour Michelle Bachelet parce qu’elle est ce qu’il y a de moins pire ou te montrent la réalité du désastre social chilien pour justifier avec pudeur le choix de l’abstention.

Certains intellectuels très publiés et lus en Europe, Skarmeta, Sepulveda, font reluire un peu la réalité pour le public européen. C’est beau de penser qu’une femme atteignant la présidence de la République représente un changement pour toute la société, qu’elle photographie une croissance qui plus elle est économique moins elle représente un progrès social.

Il ne faut pas en vouloir à Michelle Bachelet mais il ne faut pas la sanctifier non plus commec’est le cas de la folla Bachelet-manie qui est ponctuellement en train de gagner les rassemblements européens de centre-gauche et leur presse. S’il ne faut pas en vouloir à Michelle, il faut en vouloir à la grande mystification que représente la Concertation qui s’apprête à gouverner le Chili pour le quatrième mandat consécutif dans une continuité totale.

Les chroniques distraites des envoyés nous parlent de femmes mobilisées pour élire Michelle, mais elles oublient complètement de rappeler que trois jeunes sur quatre (des femmes et des hommes) de moins de 40 ans ne sont pas inscrits sur les listes électorales. Et alors, qui sont les femmes entraînées ? Et dans quel processus social ?

Les femmes chiliennes doivent être fières que Michelle Bachelet arrive à la Moneda. Mais quelles femmes chiliennes ? Celles qui sont nées du bon côté, celles qui ont reçu une éducation privée et se sont affranchies même socialement jusqu’à obtenir la folie (pour la société chilienne) du divorce durant le mandat de Don Ricardo Lagos ?

Ou celles qui travaillent comme domestiques dans les maisons bourgeoises du matin au soir pour quatre sous ? Nulle part comme au Chili je n’ai eu la sensation aussi forte d’être face à deux races distinctes et inconciliables. Non seulement il y a au Chili des différences et des injustices, mais ce n’est qu’au Chili que tu as la sensation précise qu’aucune ascension sociale n’est possible, que la société a été scientifiquement divisée en deux. Il en est ainsi depuis les temps de Pedro de Valdivia et seul Don Salvador représenta un espoir de changement.

Le Chili continue à être le pays le plus injuste du monde, ou un des plus injustes, comme le soulignent les statistiques de la Banque Mondiale elle-même. Seule la Concertation (bêtement relayée par l’Internationale Socialiste) peut faire croire à la fable d’un pays plus solidaire. Seules de médiocres plumes peuvent faire passer le modèle de la Concertation comme un modèle "de gauche" plus efficace et alternatif au modèle atlantique, qui ose critiquer le Fond Monétaire International. Don Ricardo Lagos (voir mon bilan sur son mandat dans le N. 93 de Latinoamerica en cours de publication) magnifie le Chili "plateforme exportatrice", mais il oublie de dire que seulement 2% de la main d’œuvre est concernée par l’export.

Non seulement les revenus sont mal distribués comme nulle part dans le monde, mais au milieu il y a un trou noir impossible à combler. Personne ne gagne 1000 € par mois au Chili. Ou bien tu gagnes plus ou bien tu gagnes infiniment moins.

Je ne suis pas à Santiago pour ce ballottage, mais je parle chaque jour avec Santiago. Et je connais Santiago et pendant une période importante de ma vie j’ai risqué d’y rester pour toujours. Je ne le regrette pas, personnellement et socialement. J’aime mon Santiago, mais j’aime pas ce Santiago de façade qui dans son skyline semble Seattle et dans son cœur est le Pretoria de l’apartheid.

Dans ce chaud été austral il me semble voir chaque arrêt de bus. Des centaines de bus jaunes crachotant (cinq à dix fois plus qu’il n’en faudrait s’ils n’avaient pas été privatisés et soumis à un régime néfaste et polluant de concurrence) sont pris d’assaut à chaque arrêt par une armée de vendeurs de sorbets. Ils sont plus nombreux que les voyageurs, dix, vingt vendeurs de sorbets à chaque arrêt au centre, un peu moins à la périphérie et un sorbet ne coûte rien, 10 à 20 centimes d’euro. Combien de sorbets doivent-ils vendre pour vivre ? Combien de mes sous leur restent-ils ? Combien de sorbets par jour devrait consommer un voyageur de bus ?

Le vieux dément ne gouverne plus depuis trois lustres. Mais la Concertation n’a pas déplacé d’un millimètre l’échafaudage socio-économique de Pinochet. Aujourd’hui Michelle Bachelet aurait devant elle une occasion historique, mais elle n’a aucune possibilité de concrétiser le changement nécessaire. A cause de la croissance énorme de la demande chinoise, le prix du cuivre, qui jusqu’à il y a deux avait chuté à la suite de la scélératesse des gouvernements de la Concertation (voir : G. Carotenuto, "Cile - El cobre che fu nostro", Latinoamerica, Anno XXIV, n.85, octobre-décembre 2003) a augmenté aujourd’hui d’une façon incroyable. Pour des raisons semblables, on est en train de construire au Venezuela, à partir de zéro, un état social qui n’existait simplement pas. Il serait possible de déplacer une partie significative du PIB sur l’état social, en la soustrayant éventuellement à ce puits noir qui est représenté par les forces armées les plus coûteuses du continent.

Michelle est animée par beaucoup de bonne volonté mais n’a et n’aura pas le pouvoir de changer l’état des choses et de reconstruire ce qui existait jusqu’en 1973 et qui représentait un espoir concret d’inclusion sociale et qui n’existe plus maintenant, non seulement par la faute de Pinochet mais aussi par celle de son parti, le parti socialiste, qui gouverne depuis 1989 avec la DC. Le cuivre est complètement privatisé et l’état n’arrive même pas à se faire payer par les multinationales les impôts les plus généreux au monde.

17 ans de dictature et 15 de démocratie inspirée par le Fond Monétaire ont blindé le néolibéralisme, comme l’affirme mon ami Yuri Gahona, un des jeunes intellectuels les plus importants du pays : "ici il y a des gens qui pensent que le néolibéralisme a été inventé par le père éternel avec Adam et Eve. Il y a des gens qui ne savent plus qu’à un moment le cuivre a été nationalisé". Le néolibéralisme est dans les lois, dans la constitution, mais encore plus dans la tête des personnes.

Donc, ce qui est possible dans le reste du continent ne semble pas possible au Chili. Les données macroéconomiques cachent une réalité néfaste qui prépare un avenir gris pour un pays qui est en train de dilapider rapidement ses matières premières non renouvelables. Et Michelle - en tout cas tous mes vœux, présidente - ne peut rien y faire, même si elle le voulait.

Post-scriptum

Le quotidien berlusconien "Il Giornale", très content de la Bachelet, en manipule la biographie. Il n’est pas convenable de dire du bien de quelqu’un qui pendant la dictature s’est exilé dans la République démocratique allemande et alors l’exil de la Bachelet est déplacé à l’Ouest, dans l’Allemagne Fédérale. S’agira-t-il d’un lapsus ? Le quotidien La Repubblica, dans son feu de magnifier la voie chilienne au néolibéralisme et de la faire passer comme de gauche, écrit que Michelle Bachelet sera la première femme latino-américaine présidente de la République. J’ai cherché longtemps la raison d’une erreur aussi énorme de la part d’un journaliste expert tel qu’Omero Ciai. Pourquoi La Repubblica oublie-t-elle Violeta Chamorro et Mireya Moscoso ? Pourquoi n’a-t-elle pas écrit sud américaine ou encore mieux américaine, puisque même la patrie de la démocratie n’a jamais eu de présidente ? Mais on ne peut pas citer Mireya Moscoso sans citer un nom incommode comme celui du terroriste Luis Posada Carriles. Un nom sur lequel le quotidien La Repubblica est particulièrement prudent. Dans mes arrière-pensées il n’y a qu’Andreotti. Honni soit qui mal y pense...

http://bellaciao.org/it/article.php3?id_article=12097

Messages

  • Je retrouve dans cet article la description de la société chilienne que j’ai visité en 2000 et cette division du peuple qui frappe de plein fouet. Merci pour ce récit objectif.

    • Paes étonnant que SEGOLÈNE ROYAL sit allée la soutenir, quand je pense à S. ALLENDE, je me dis que là-bas aussi le contenu du PS chilien a dû se teinter en blanc, comme chez nous , pour se faire accepter de l’Armée. Attention le libéralisme (au sens proppre )sociétal ; "libération des femmes genre le magasine "ELLE" " peut occulter la lutte des classes.

    • OK..rien à faire de l’opération marketing de Ségolène..
      Par contre , pour ALLENDE , laisse le reposer en paix ! je n’ai pas oublié qu’en 72 /73 , certains , bien au chaud en France, lui donnaient des leçons , estimant qu’il n’allait pas assez vite et assez loin...on connait la suite et la fin de septembre 73.

    • Allende a laissé les putchistes s’organiser, accepter de laisser désarmer les travailleurs et des soldats qui, voyant le pire arrivé, ont essayé de réagir.
      C’était le choix de ce gouvernement de vouloir faire confiance à une armée qui a commencé à assassiner, à se roder au putch, bien avant de le déclancher.

      L’impasse devant la préparation du putch a été, à cette époque et dans ce cas, l’impasse d’une tactique de changement de la société, bien trop angélique face aux bouchers qui piaffaient d’impatience. Des gages leur ont été donnés.

      Les réformes avaient été assez loin pour suciter désir de violence contre la démocratie de la part des grands groupes financiers, de l’armée et de la bourgeoisie locale, désir d’une violence folle contre la démocratie chilienne.

      Mais les réformes n’avaient pas été assez loin pour que, justement, les violents, les militaires, soient désarmés, suffisemment affaiblis, pour ne pas mettre en péril le peuple chilien.

      Ce ne sont pas ceux bien au chaud en France qui le disaient, mais ceux sur place, d’une gauche révolutionnaire puissante et en ascencion , mais pas assez pour éviter le désastre qui s’en suivit.

      Tous furent broyés et surtout l’essence de ce qui fut la force populaire militante de la gauche, en l’occurence, ceux qui croyaient au réformisme (PC, PS) et ceux qui croyaient à la révolution (MIR).

      Un grand desastre commence souvent par une série de petits et grands renoncements. et tous le payent, qu’on soit d’accord ou pas.

      Et ce n’était pas faute d’avoir été trop loin contrairement à ce que dit notre ami , mais d’être restés au milieu du gué.

      (Petit rappel Allende n’était pas au PS chilien, pas dans la SFIO (son parti en était distinct))

      Un "Bien au chaud en France"

      Copas

    • L’analyse de COPAS est parfaitement fondée ! Cette analyse était déjà claire dés le coup d’état de Pinochet commandité par Kissinger et la CIA et je me rappelle très bien la mine outragée des militants PS PC et "progessistes" en 73 quand j’ai fait cette analyse en réunion publique dans la bonne ville où j’étais. Ils voulaient le silence du deuil pour n’avoir pas à tirer le bilan de leur terrible fisco politique. Nous ne leur avons pas accordé.

      Mieux vaut Bachelet et sa bonne volonté que PINERA, le Berlusconi chilien. Mais comme sa propre mère le lui a dit, elle aura le plus grand mal à faire bouger quoi que ce soit. Déjà elle est contrainte de dire qu’il y a des sujets de consensus, des sujets non politiques...

      Nous jugerons aux actes, en souhaitant des avancées sociales pour les travailleurs chiliens.

      Elias.

    • CHER COPAS

      je suis globalement d’accord avec ton analyse du coup d’etat militaire au chili , ALLENDE n’etait ni ROBESPIERRE ni LENINE , il voulait changer la societé dans le cadre des institutions chiliennes de l’epoque , en faisant confiance à une armée reputée legaliste en regard des armées sud americaines !
      On sait tous la fin de l’histoire pour ALLENDE et pour le peuple chilien .
      Nous ne sommes pas là pour donner des leçons aux chiliens , que la majorité des electeurs de gauche ne soient pas tentés par une plus grande radicalité peut se comprendre , qu’ils estiment que la democratie chilienne soit encore trop fragile pour aller plus loin aujourd’hui peut se comprendre aussi , et pour moi , que MICHELLE BACHELET AIT ETE ELUE PAR LE PEUPLE CHILIEN ,attire mon respect et pour la Presidente et pour le peuple chilien.Que ceux qui en france donnent des leçons de revolution aux peuple chilien balayent devant leur porte , ils n’ont pas connus eux l’effroyable saignée qu’a connu la gauche chilienne , MIR , PCC ,PS CHILIEN .
      Et que font ils en france , aujourd’hui , pour changer l’ordre des choses ,LO a désigné sa candidate - la LCR va sans doute en faire autant lors de son congrés , le PCF se bat en interne et en externe pour une candidature unique de la gauche anti libérale , les verts veulent leur candidat pour l’autonomie de leur courant , la gauche anti liberale du PS s’est noyée dans la synthése , j’en reste là , tout le reste de l’echiquier politique , ne voulant pas changer les choses .
      la derniere tentative de coup d’etat militaire que notre pays ait connu remonte à plus de quarante ans , sans les consequences effroyables qu’a connu le CHILI , et nous voudrions donner des lecons , non c’est trop facile , chers amis , commençons par réaliser ce qui ne presente pas de danger immediat , presentons un candidat unique de la gauche anti liberale et anticapitaliste , et ensuite , peut etre , pourrons nous parler de la gauche en amerique du sud.
      un peu d’humilité et de pudeur me semblent necessaire .
      claude de toulouse .

    • Bien parlé un peu de pudeur et d’humilité en 2007 votons pour la gauche synthétique,c’est moins dangereux ,au moins on risque pas un coup d’état !

    • Cher anonyme , en apparence , tu repons à mon intervention , pourrais tu preciser ta pensée , elle est trop synthetique pour moi , et je ne comprends pas ton avis , ou si je crois le comprendre , je crois que tu n’as pas lu mon texte , au plaisir de te lire
      claude de toulouse .

  • J’ai visité le Chili c’est exactement ça !Les socialistes chiliens sont comme les socialistes portugais ils portent en cocarde les uns la Révolution des Oeillets les autres Salvador Allende mais derriere il n’y a rien ! Le Chili est undes pays les plus inégalitaires du monde,le Portugal est un des pays les plus inégalitaires d’Europe.C’est dégoutant que Ségolène Royal y soit aller voler un peu de la mémoire d’Allende à des fins de marketing politique.

    • Ce que je voulais dire, c’est que Sègolène a effectué un voyage uniquement pour forger l’IMAGE d’une femme de "gauche" qu’elle veut rendre plus progressiste en portant également la revendication du paritarisme politique français et international,( pourquoi pas, "ça ne mange pas de pain", THATCHER, Eva PERON étaient des femmes et alors ?QU’EST-CE QUE CELA CHANGE sur le fond ? Quant à Allende, son engagement lui a coûté la vie, tout à comme Jaurès en FRANCE par exemple. Les idéaux socialistes se sont édulcorés, la tête du PS en l’absence de conscience de gauche, lutte pour des "honneurs" et pour des places, : oligarchie contre oligarchie, au service des vrais patrons : la Finance européenne et américaine pour le moment. Je n’oublie pas que Berlusconi, avec la 5, (chaine télé poubelle défunte) était présenté comme un homme de gauche, par nos camarades, et ce sont ces socialistes qui réclament à nouveau le Pouvoir d’abord à gauche puis dans le pays ? Le OUI du PS n’était pas une erreur L’image de mme ROYAL a de la gueule sur le même papier glacé que son camarade m. HOLLANDE serrant la main à SARKOZY. C’est vrai que ça fait extrémiste d’avoir de la morale quand on est de GAUCHE,parce qu’on a la rage du mal qu’ils ont fait pendant 25 ans, parce qu’ils ont l’art de récupérer et de recycler, détourner, de nous diviser... Quant à l’Amérique latine, on nous racontera bientôt que Che Guevara était une rock-star qui fut un ami personnel de JAK LANG, et qu’il était socialiste. Joël des P

    • J’ai oublié, en Espagne, ils ont fêté le centenaire de Pablo NERUDA : j’ai CD-DVD d’hommage à ce grand poète chilien communiste, fait par les artistes sirupeux de la rosenclature espagnole, qui ne fait bien entendu aucune référence à son engagement politique ; Jdes P

    • Je suis d’accord avec le fait qu’il est important de s’y prendre à soi, à son entourage direct, aux différents échelons pour progressivement rentrer dans le lard de ce qui nous bouffe la mouel ; mais je crois que ca passe surtout par une ouverture. sinon, on adresse rien et ca va pas mener loin. Biensure, allende c’est surement fait bouffer à cause de ca, faire trop confiance et appliquer ce qu’il tenait. Nous en tout cas, on en est pas là : y a plein de voies à tracer, à renforcer, à sortir de leurs gonds:radicales ou pas ; mais ca part de l’echelon ou on est ! au lieu de se faire cravacher la gueule de partout, on peut donner du poil de la bete ! le tout est de pas s’enfermer dans son regard : un fasciste convaincu a autant à nous apprendre qu’un révolutionnaire à fond dans son truc : pour essayer d’avoir un rien de recul, faut considerer les différents points de vu et gratter partout ou on peut, avec ses moyens, ses contradictions, sa cohérence ; et essayer de pas trop donner de lecon ! on est loin d’etre sur deux pieds ; sinon on serait pas en periode de dérive des continets comme maintenant ! on a tout à faire, tout à découvrir, tout a essayer de changer ; à son rythme, à sa sauce, à ses envies ; mais ensemble ! avec un rien de piquant, d’étincelle ; et ca change tout de s’y mettre.

      philemon

      ps:bizarre le titre de départ, non ? c’est pas discriminant ca ?tu veux pas nous expliquer ou on prend des pilules ?