Accueil > Droit d’auteur : intervention de Jack Ralite, sénateur de Seine-Saint-Denis

Droit d’auteur : intervention de Jack Ralite, sénateur de Seine-Saint-Denis

Publie le lundi 22 mai 2006 par Open-Publishing
2 commentaires

SÉNAT
jeudi 4 mai 2006
Projet de loi
Droit d’auteur
 - - - -

intervention de Jack Ralite, sénateur de Seine-Saint-Denis

 - - - -

Avant d’aborder l’examen du projet de loi « droit d’auteur », transposant la directive européenne de 2001, je ne peux pas taire un certain malaise face à cette loi si difficile à élaborer et si insuffisante et parfois dangereuse quant au résultat que l’on nous soumet alors qu’elle concerne la place de la pensée, de l’imagination, de la création artistique dans la société en ce début du 21ème siècle.

Tel est l’enjeu. On le cherchera vainement dans le texte tel qu’il est. Et pourtant il nous faut l’aborder sauf à rester en crise dans le travail, dans l’éducation, dans la recherche, dans les médias, dans la création. Il nous faut l’aborder en sachant qu’en France ce ne peut se faire qu’en avançant sur un terrain dont il n’est pas question d’oublier l’économie concernée et concernant de plus en plus la connaissance et les productions de l’esprit, mais surtout et avant tout de considérer les hommes, les femmes et leur vie dans toutes ses dimensions -ainsi de la création artistique-, et avec tous ses moyens -ainsi des nouvelles technologies- comme priorité dans la société.

C’est ce que ces derniers dix mois disent et souvent crient les expressions, les actions et les espérances du peuple -je ne dis pas la multitude- de notre pays, au milieu de l’Europe et à plein dans le Monde où tant de lieux et de territoires croient résoudre les mêmes problèmes en reculant.

En vérité, nous ne faisons plus, nous ne parvenons plus à faire société dans un monde de plus en plus régit -et nous législateurs sommes directement concernés- par le dogme d’un nouvel « esprit des lois » que l’on peut condenser ainsi : « Imposer à tous et pour tout la concurrence libre et non faussée ». Oui la société française avec ses contradictions n’arrive plus à être « une ». Les différences deviennent indifférentes aux autres différences. Notre société respire mal, elle est précarisée, elle est comme dans l’impasse. On a l’impression d’une société des « issues fermées », d’une société de la seule « vie immédiate » dirait Eluard.

A défaut de société, se développent alors dangereusement les communautarismes tendant à instituer des micro-sociétés fermées sur elles-mêmes, tournant le dos à l’en commun d’hier, et bloquant la construction de celui de demain. Et ce communautarisme gagne quantités de composantes de notre société, bousculant les anciennes identités et solidarités collectives au profit d’identités de groupes singuliers, voire de corporatismes éclatés.

A une question posée à Braque sur le sens d’une de ses natures mortes avec deux pommes, l’artiste répondit : « Ce qui est important dans cette toile, ce ne sont pas les pommes, c’est l’entre deux ». « L’entre deux », le lien. Je pense que cette expression peut nous aider dans l’examen du projet de loi gouvernemental à propos duquel apparemment s’affrontent auteurs et internautes derrière lesquels se cachent les vrais pilotes, les lobbies des industries culturelles par lesquelles, reprenant un mot prophétique de Gracq en 1950, nous est déjà venu et nous vient encore plus « du vilain ».

Et ce n’est pas un hasard que cela éclate si fort et si profond car il s’agit de la culture et que celle-ci concerne l’être, qui revendique comme auteur d’art, de science, de technologie, d’objet, de sa vie, un nouveau contrat social.

La directive européenne du 22 mai 2001 est confrontée à cette réalité contradictoire et en mouvement et le fait à l’unisson des grandes affaires qui veulent encore plus s’accaparer le droit d’auteur et verrouiller le développement d’internet.

Il suffit de la lire pour s’en convaincre. Le marché y est sans rivage et occupe la première place dans le texte. Le considérant 7 dit : « Le cadre législatif communautaire relatif à la protection du droit d’auteur et des droits voisins doit (.....) être adapté et complété dans la mesure nécessaire au bon fonctionnement du marché intérieur (.....) ».

Seulement ensuite, vient la préoccupation culturelle et au point 19, on trouve cette phrase apparemment anodine : « Le droit moral reste en dehors du champ d’application de la présente directive ». Tu parles !

Et dans le débat à l’Assemblée Nationale, qui cherchait..........l’équilibre, j’ai relevé que sur 17 séances, le droit moral a été évoqué 12 fois et le marché 114. Dans la première séance, séance préface pourrait-on dire, c’est encore plus caricatural. Droit moral, zéro fois, marché, 29 fois. Qu’on ne nous dise pas que le droit d’auteur est au cœur de la directive ! Quant au droit moral, il n’y est qu’un hochet.

Cette directive ultra-libérale et administrée fait partie d’un bouquet de textes libéraux qui sont publiés actuellement et qui veulent la conforter. Je pense notamment à la recommandation du 18 octobre 2005 mettant en concurrence les sociétés d’auteur. Non qu’elles ne soient pas critiquables mais c’est à elles de réfléchir à leur évolution et non à la concurrence marchande de leur imposer. Tout se passe comme si le système de propriété intellectuelle était en train de basculer d’une logique qui visait à protéger l’invention et l’auteur vers une logique qui vise à encourager l’investissement et la commercialisation des produits et services d’information à l’échelle internationale. Akhenaton leader du groupe I.A.M a pu dire à ce propos que « le directeur artistique devient chef de produit ». La culture est décidément une marchandise et vient le moment où l’homme lui-même deviendra une marchandise.

C’est dire la gravité de nos débats, et cela exige du temps, de la longue durée. Or, le Premier Ministre a déclaré l’urgence. Quelle désinvolture après cinq ans de désintérêt. Le résultat est là, nous avons une loi puzzle, une sorte de bricolage opportuniste, un texte comme la directive, truffé de zones d’ombre, un texte dont tous les juristes que j’ai rencontrés disent leur questionnement quant à son applicabilité. D’ailleurs, la Commission Européenne ne vient-elle pas de décider une étude d’impact approfondie, car le terrain n’est pas stabilisé, donc le « présentisme » n’est pas la réponse. Qui plus est, cette étude a été confiée au professeur de droit Bernt Hugenholtz qui dès l’an 2000 disait sa position critique sur la directive 2001. Je le cite : « La pression importante des industries du « copyright » pour que le travail soit achevé le plus rapidement possible, et en particulier des industries américaines, principaux détenteurs de droits dans le monde, n’a pas permis aux états membres et à leurs parlements, ni même au Parlement Européen, de réfléchir, de façon adéquate aux questions qui se posaient à eux (.....), la seule sécurité juridique que produit l’élaboration de la loi dans ces conditions est un nouveau round de lobbying et de pression au niveau national (.....) ».

Ainsi, la Commission n’est pas sûre, la Commission s’interroge, la Commission lance une étude et elle exige en la menaçant que la France tranche.

La loi dont nous discutons aujourd’hui et son environnement ne font pas société, parce que le Sénat et l’Assemblée Nationale n’ont pas su pratiquer une souveraineté à plusieurs mais se sont laissés aller avec le gouvernement et d’autres à ce que l’on peut appeler une violence d’institutions. N’est-ce pas de cela qu’il s’agit quand le 28 février 2005 la Cour de Cassation, étrangement rapide, se mêle de notre ordre du jour et tranche avant nous du devenir de la copie privée ?

Vous comprendrez, Monsieur le Ministre, que notre groupe parlementaire ait décidé dans ces conditions de poser la question préalable que mon collègue Ivan Renar va proposer tout à l’heure.

Je voudrais maintenant aborder trois questions, celle du droit d’auteur, celle des internautes, c’est-à-dire d’Internet, c’est-à-dire des nouvelles technologies, celle enfin de l’intérêt général de la responsabilité publique et de l’avenir en n’oubliant pas qu’est en train de se définir, de se constituer comme un grand ensemble stratégique et d’affaires, un complexe international concernant l’éducation, les médias et la culture dont les actionnaires sont plus des prédateurs que des investisseurs. En n’oubliant pas non plus que la « société de l’information », par quoi l’on définit actuellement notre société, est source de dérives, par exemple Microsoft brevetant le corps humain comme transmetteur et récepteur d’informations ; mais aussi de perturbations conceptuelles, les œuvres tendant à devenir des informations...comme les autres, des informations numériques.

Le droit d’auteur a pour source la Révolution Française à travers deux lois, l’une de 1791 sur les représentations théâtrales d’œuvres dramatiques, l’autre de 1793 sur le droit d’édition et de reproduction. C’est un droit de civilisation qui concerne autant l’auteur que le public.

Le droit d’auteur est un droit qui protège l’œuvre dès sa création à partir d’un critère, son originalité, c’est-à-dire son reflet d’une certaine expression de la personnalité de l’auteur. L’auteur est celui ou celle qui est à l’origine de quelque chose, celui ou celle qui créé, qui accroît, qui augmente, qui fonde et qui offre à la collectivité ce don de soi. Le droit d’auteur a deux branches, celle des droits « patrimoniaux », celle des droits « moraux ». Les premiers investissent l’auteur du droit de contrôler l’exploitation de son œuvre par le droit de reproduction et le droit de communication, qui lui valent une rémunération proportionnelle, les seconds traduisent le lien indéfectible de l’œuvre à son auteur qui dispose du droit de divulgation, du droit d’attribution, du droit d’intégrité ce qu’on appelle le droit exclusif.

Arrêtons-nous un instant sur le droit moral, création historique de ce pays. C’est un des droits « fondamentaux » constitutif de l’homme au sens où il définit son humanité, c’est-à-dire sa capacité créatrice que je ne sépare pas de la mémoire au sens où Aragon dit « se souvenir de l’avenir » et Heiner Muller « l’herbe même il faut la faucher afin qu’elle reste verte ». Pierre Boulez a beaucoup travaillé cette question notamment dans un de ses cours au Collège de France, « La mémoire, l’écriture et la forme ». J’y ai lu ceci à propos d’« entrer en mémoire » :

« La mémoire du créateur ne doit pas le rassurer dans l’immobilité illusoire du passé, mais le projeter vers le futur avec peut-être l’amertume de l’inconfort mais plus encore avec l’assurance de l’inconnu. « Comment vivre sans inconnu devant soi » écrit René Char (...). Avoir le sens de l’aventure ne veut pas dire pour autant brouiller les traces, ignorer l’antécédent. Curieusement la création s’appuie constamment sur deux forces antinomiques, la mémoire et l’oubli ».

Je n’ai pas trouvé de plus forte métaphore de la mémoire que, je le répète, je ne découpe pas du droit moral, que dans le « Soulier de Satin » où Claudel fait dire à Rodrigue : « la création est un jeu de racines qui font éclater la pierre, l’organique détruisant le minéral ».

C’est dire si ces droits doivent être défendus avec intransigeance, le droit d’auteur devenant comme un mode de résistance à la mercantilisation de l’humain. Il me souvient que Le Chapelier intervenant à la Convention ayant déclaré que le droit d’auteur est « la plus inattaquable des propriétés » poursuivit « cependant c’est une propriété d’un genre tout à fait différent des autres propriétés. Quand un auteur a livré son ouvrage au public, quand cet ouvrage est entre les mains de tout le monde, que tous les hommes instruits le connaissent, qu’ils en ont confié à leur mémoire les traits les plus heureux, il semble que dès ce moment l’écrivain ait associé le public à la propriété ou plutôt la lui ait transmise toute entière ». C’est une question toujours aussi fraîche et qui récuse toute instrumentalisation comme l’ancien représentant des majors américaines du cinéma Jack Valenti nous y a habitué. Contre le « peer to peer » à peine inventé, il déclara : « C’est notre guerre à nous contre le terrorisme ».

Déjà en 1980 il jurait contre le magnétoscope qu’il comparait à l’étrangleur de Boston s’attaquant aux femmes seules à la maison. Je me rappelle une des si riches rencontres organisées par l’ARP à Beaune. Jack Valenti y fait l’éloge du droit d’auteur à la française. J’applaudis et l’interroge : « pourquoi ce ralliement ? ». Sa réponse est sans bavure : « j’ai besoin de tout le monde contre les pirates ».

Mais les pirates ne sont-ce pas ceux qui transforment le droit d’auteur en droit financier, en droit de fournisseur de contenus, en droit protecteur des investissements culturels, c’est-à-dire qui dépossèdent les auteurs en absorbant la substance de leurs droits, allant jusqu’à ce que le juriste Bernard Edelman nomme « le droit d’auteur sans auteur ». Les vrais pirates rabattent le droit moral sur le droit à la concurrence et le droit des marques, inventant l’auteur sans droit moral, c’est-à-dire la société sans mémoire. On s’explique alors que la propriété intellectuelle soit attaquée et nourrisse des antipathies. Les sirènes financières notamment des fonds de pension spéculatifs et la raison du plus fort ont trop la parole.

Dans ce débat, je traquerai tous les virus possibles du droit d’auteur y compris celui de sa dilution consécutif à certaines de ses extensions qui lui sont préjudiciables. Je serai en ramage avec le droit d’auteur et ce qu’on pourrait appeler sa spiritualité qui est son humanité. Le droit moral, c’est à la fois le droit d’un homme, d’une femme qui le créé et de l’humanité qui le reçoit. Je ne me déchargerai pas sur les juges pour trouver des solutions de pérennité au droit d’auteur avec ses bougés qui sourdent et apparaissent dans le mouvement des mutations. Comme Hugo, je pense que « comme livre le livre appartient à l’auteur, mais comme pensée il appartient -le mot n’est pas trop vaste- au genre humain ».

Considérons maintenant les nouvelles technologies et Internet, leur figure emblématique. Elles sont porteuses de deux potentialités, celle des promesses et celle des dangers.

Les promesses : c’est l’accès aux biens immatériels, c’est l’étonnant moyen d’information, d’échange, à travers les réseaux électroniques, c’est l’excellence à proximité, ce sont des outils nouveaux à la disposition des créateurs et des artistes qui comme disait prophétiquement dans les années 20 Paul Valery peuvent conduire jusqu’à « faire bouger la notion même de l’art », « ce nouvel art (portant) l’accent sur le processus davantage que sur l’œuvre achevée » disait Franck Popper. Il n’est plus possible de parler culture et art en ignorant cette dimension nouvelle où la science et l’imaginaire se mêlent, mais le temps est encore aux hésitations, aux tâtonnements, aux emballements, voire aux illusions. Marc Bloch écrivait : « L’invention n’est pas tout, encore faut-il que la collectivité l’accepte et la propage. Ici plus que jamais la technique cesse d’être la seule maîtresse de son propre destin ». Il reste que l’utopie technologique qui est belle et dont Jules Vernes fut un des grands inventeurs est aujourd’hui proposée comme un simple substitut à l’utopie sociale. Internet, objet de culte, qui fait rêver a été présenté comme solution à tout, notamment comme la fin de toutes les inégalités sociales, culturelles, économiques, territoriales. Faut-il chanter : « l’Internet-national sera le genre humain ? ». C’est l’Internet évangéliste. C’est ne retenir de « l’Internationale », ce chant qui m’est toujours très cher, la seule phrase scorie qu’il contient « du passé faisons table rase » et là songez au droit moral et à la mémoire qu’un Pierre Lévy écarte allègrement : « Grâce à la fin de la censure et des monopoles culturels, ce que la conscience peut explorer est rendue visible à tous ». C’est singulièrement sauter à pieds joints sur les monopoles, oligopoles et autres conglomérats des grandes affaires qui avec un savoir-faire hypocrite censurent, comme dans le passé les rois et les évêques à travers le mécénat, ou comme hier l’Union des Ecrivains au service de l’Etat soviétique. C’est singulièrement masquer et non rendre visible les Microsoft, Apple, Sony, etc. Certes, je sais, il y a les moteurs de recherche, mais le super d’entre eux Goggle, Jean-Noël Jeanneney a pu le caractériser par la formule : « De la matière en veux-tu !? de la matière en voilà ! ». Pascal Lardellier dans son livre « Le pouce et la souris » note que « la pêche en ligne » a ses limites ne serait-ce que celle que favorise la consommation instantanée que Monsieur Madelin caractérisait récemment : « Ce ne sont plus des gros qui triomphent des petits, ce sont les rapides contre les lents ». Il n’est pas question de nier l’extraordinaire outil qu’est Google, mais le « savoir » Google, qu’est-ce que c’est ? La diversité de tous les fruits ou la diversité des raisins de la même grappe ? Il mêle comme ajoute Pascal Lardellier omniscience et amnésie. Le moteur de recherche sélectionne les sites en fonction de leur fréquentation renforçant ainsi les plus forts à commencer par les sites nord-américains. C’est « une multinationale jeune parlant aux jeunes, à toutes fins utiles ». Mais il ne faut pas oublier et Pascal Lardellier a raison de le noter, « le thème des mondes doubles et des univers parallèles a toujours constitué une source d’inspiration très féconde pour..........la jeunesse. Alice et son pays des merveilles, Peter Pan, l’éternel enfant qui virevolte dans les airs et se joue des contingences adultes (.....) La Toile constitue en fait cet univers souterrain et aérien à la fois dans lequel ces jeunes s’attribuent des qualités magiques : tout savoir, voyager tout en restant chez soi, être « seuls ensemble », se délier du corps, du temps, de l’espace ». Et que dire du téléchargement. C’est par lui qu’a été connu le slameur Grand Corps Malade. Il vient d’éditer un disque « Midi 20 » qui lui vaut 5000 connections journalières dont 20 % disent à ce jour vouloir acheter le disque et ne pas télécharger.

Un temps l’idée d’accès gratuit sur Internet a été présentée comme le sésame ouvre-toi. Je l’abandonnerai moins vite que ses supporters il y a quelque temps enthousiastes. Je ne dirai pas non plus comme notre ministre « j’ai en face de moi un ennemi redoutable la gratuité ». Je dirais qu’à certaines périodes de l’histoire elle a eu d’éclatantes fonctions. Rappelons la décision de la bourgeoisie républicaine à la fin du 19ème siècle : la gratuité de l’école publique, laïque et obligatoire. Rappelons à la fin de la dernière guerre dans une France très détruite et sans beaucoup d’argent, les forces démocratiques et nationales décidant la gratuité de la santé par des cotisations mutualisées. Dans ces deux cas il s’agissait d’une gratuité construite, conquise pour conquérir de nouveaux droits, et non pas trouvée au bord..........de la Toile avec comme financement compensatoire la remise en cause du droit d’auteur. J’imagine mal tous ceux qui se battent pour obtenir précisément de nouveaux droits, par exemple les jeunes qui se sont battus contre le CPE, c’est-à-dire pour un droit au travail digne, rémunéré et non précarisé, foulant le droit d’auteur qui garantit le droit au travail des auteurs, leur dignité, leur rémunération et leur non précarisation. Ce serait un rendez-vous sauvage.

Matisse disait « ordonner un chaos voilà la création et si le but de la création est de créer, il faut un ordre dont l’instinct serait la mesure ». Cela me fait penser à Vilar parlant d’Avignon, « une foire culturelle ordonnée », à Jouvet parlant du théâtre, « un désordre ordonné ». Et bien « l’entre deux » par quoi j’ai commencé ce propos se retrouve là et je n’accepterai pas une espèce de politique à la thermidorienne.

Quelle politique alors ?

Au gré des amendements, mes collègues et moi-même en esquisserons le contenu face à ce qu’il faut bien appeler une sorte d’anarcho-capitalisme, pro-copyright et anti-copie privée, issue de la tradition américaine vieille de deux siècles. Cela s’appelle aussi le libéralisme libertaire.

En fait, comment cela nous est venu ?

Une anecdote le fera comprendre. J’étais à l’UNESCO il y a quelques années où l’auditoire avait invité Alain Minc et in extremis un contradicteur, votre serviteur. Alain Minc commença son exposé par cette phrase : « Mesdames et Messieurs, chers amis. Si vous voulez comprendre le monde aujourd’hui et la pensée que je me suis faite à son propos, je voudrais vous convaincre de faire votre cette phrase : le marché est naturel comme la marée ». J’étais un peu inquiet de l’affronter mais là vraiment c’était facile. Le marché a été inventé par les hommes et les femmes pour s’en servir. Et lui le naturalisait et ce faisant réduisait les hommes et les femmes à des êtres subsidiaires, des invités de raccrocs dont le marché se servait. C’était le monde à l’envers. Curieusement, quelques jours auparavant dans un colloque au Sénat, un des nombreux colloques sur les nouvelles technologies qui doivent tant à nos deux collègues, Pierre Lafitte et René Tregouët, j’ai entendu Alain Madelin dire : « Les nouvelles technologies sont naturelles comme la gravitation universelle ». Encore une fois, le vol aux inventeurs, les êtres humains, de leur œuvre pour la retourner contre eux.

Non seulement marché et technologies étaient déclarés naturels, mais depuis la « grande œuvre » a été leur dérégulation, leur livraison au soleil libéral habillée d’une liturgie citoyenne de façade et d’une histoire réduite à la commémoration, tout cela dans un marché politique et son discours du management, l’Etat intervenant comme une prothèse soutenant des additions d’intérêt. C’est la politique-expert et sa langue si technicienne qu’elle en devient étrangère et nous, comme nos concitoyens, ses orphelins.

Nous par contre, sommes pour l’exploration des territoires de l’inédit sachant se nourrir des éclats du passé.

Nous sommes pour travailler dans l’espace du doute actif.

Nous sommes, inspirés par le poète palestinien Mahmoud Darwich quand il dit « je ne reviens pas, je viens », nous sommes non pour retrouver mais pour trouver l’intérêt public, noyau dur d’une société de justice et d’égalité que deux auteurs intronisent si bien. Georges Balandier : « Nous sommes dans l’obligation de civiliser les nouveaux nouveaux mondes issus de l’œuvre civilisatrices ». Michaux : « La pensée avant d’être œuvre est trajet ». Là je veux évoquer quelques idées, certaines étant dans le projet de loi, d’autres étant souhaitées lui être adjointes et une perspective.

Nous rejetons tous les aménagements confettis au droit d’auteur, qui le grignotent.

Nous sommes pour que les auteurs salariés soient respectés dans leurs deux dimensions, auteurs et salariés et donc que le juge des prud’hommes ne soit pas compétent pour trancher des droits d’auteur.

Nous sommes pour rechercher des modalités de rémunération des auteurs en dehors du destin de leurs œuvres sur le marché.

Nous sommes pour que la loi continue à garantir les auteurs face aux contrats et que la règle du contrat écrit et de la rémunération proportionnelle continuent à protéger les auteurs dont il faudra bien revoir pour la hausser la part qui leur revient du droit d’auteur.

Nous sommes par contre pour une exception, enseignement, recherche, bibliothèque rejoignant ainsi les autres Etats européens. C’est un devoir social et culturel que la jurisprudence a commencé à faire prévaloir en s’appuyant sur l’article 10 de la Convention Européenne des droits de l’homme. Il s’inscrit aussi dans la tradition des « Lumières » mais demande à être bien défini et compensé.

Nous sommes pour que les exceptions ne piétinent pas le droit moral.

Nous sommes pour travailler dans le sens d’un investissement public en faveur de la création. Moins on peut maîtriser en aval, plus il faut investir en amont.

Nous sommes pour une plate-forme publique de téléchargement pour la diffusion des nouvelles créations que les majors laissent sur le bas côté, votée à l’unanimité à l’Assemblée Nationale sur proposition de notre collègue Dutoit.

Nous sommes pour le droit à la copie privée selon lequel le nombre de copies ne peut être inférieur à un.

Nous sommes pour l’interopérabilité n’en déplaise à Apple et ses consorts. Il est inadmissible que se développent en effet des chasse-gardées de programmes.

Nous sommes pour que les producteurs acceptent un accord avec les artistes-interprètes pour leur rémunération liée à la diffusion des œuvres sur Internet.

Nous sommes pour la possibilité de développer librement des logiciels, les logiciels libres.

Nous sommes pour préciser le rôle des MTP : ce qu’elles doivent faire par exemple mentionner tous les ayant droits de l’œuvre et ne peuvent pas faire en particulier contrôler à distance certaines fonctionnalités des ordinateurs personnels. Elles ne doivent pas en tout cas être pilotées par les grandes affaires.

Nous sommes pour que le régime des peines soit revu notamment que soit exclu le recours à des peines de prison.

Nous sommes pour que le Collège des Médiateurs soit renforcé quant à ses membres notamment des juristes et sous la responsabilité d’un magistrat.

Nous sommes pour ne pas écarter dans notre réflexion le postulat de l’incontrolabilité de ce domaine nouveau qu’est la diffusion massive des œuvres sur Internet.

Nous sommes pour la mise en débat et la mise en place d’une responsabilité publique et sociale visant à répondre aux préoccupations de chacun à la fois passerelle et pratique entre un passé vécu comme luisant et un avenir appréhendé comme incertain. Il n’y a pas d’avenir sans les incessantes trouvailles de la création artistique, sans la liberté de leur confrontation, sans la volonté d’en faire le bien commun des artistes et du peuple, ce qui suppose d’émanciper l’imaginaire du pécuniaire. Cette responsabilité pourrait être assumée par un nouveau fond de soutien lié au numérique bâti autour d’une économie des compteurs, d’un apport légitime des fournisseurs d’accès et des distributeurs d’œuvres sur Internet et d’une contribution publique.

L’économie des compteurs permettrait de facturer à chaque internaute sans que sa vie privée soit atteinte son utilisation d’Internet avec comme conséquence la rémunération normale et proportionnelle des auteurs concernés. L’économie des compteurs permettrait de redistribuer le montant de cette facture entre divers contributeurs, l’internaute, les entreprises notamment les F.A.I. (fournisseurs d’accès à Internet), les collectivités publiques, de façon à garantir la juste rémunération des auteurs, des créateurs de service et des développeurs de logiciels. A l’intention des internautes serait mise au point une « carte Internet » que l’on peut comparer à « la carte orange » dans les transports franciliens permettant de réduire très sensiblement leur contribution, la compensation étant assurée par une partie de l’apport des F.A.I., l’autre partie cumulant avec la participation des pouvoirs publics pour une politique de la nouvelle création et de compensation des pertes occasionnées aux auteurs et aux « indépendants » de toutes les disciplines artistiques consécutives à l’exception enseignement-recherche-bibliothèque. Les sociétés d’auteurs gèreraient les droits et négocieraient le droit exclusif. Les M.T.P. ne joueraient plus un rôle répressif. Rebaptisées « mesures numériques de gestion des droits » elles assureraient l’information et les comptages en conformité avec les recommandations de la C.N.I.L.

Nous sommes pour que cette loi soit transitoire, un transitoire amélioré et qu’un conseil appelé « Beaumarchais-Internet-Responsabilité publique » comprenant des auteurs, des artistes, des écrivains, des juristes, des bibliothécaires, des parlementaires, des universitaires, des chercheurs, des architectes, des informaticiens, des internautes, des fournisseurs d’accès, des industriels, se réunisse et travaille pour nous proposer d’ici deux ans une alternative négociée à la loi d’aujourd’hui. Ce serait comme une « cité créatrice », comme un outil de travail et un espace public à la fois.

Nous sommes pour qu’une politique européenne, fédérant et/ou croisant celles des Nations qui la composent, soit développée en faveur de la création et de l’innovation.

Nous sommes pour qu’avant deux ans la France prenne l’initiative d’une Rencontre Européenne sur « droit d’auteur, droit du public, responsabilité publique et nouvelles technologies », laquelle comprendrait une journée internationale sur les mêmes questions.

Il ne s’agit pas de clore ces démarches dans un assemblement, mais de travailler, vivre ensemble, conflictuellement sans doute, avec des contradictions évolutives pour fabriquer des processus qui mèneront progressivement en arrachant le chiendent de l’ignorance de l’autre vers des bornes que l’on voudrait infranchissables pour protéger « l’irréductible humain ».

Le mot désespoir n’est pas politique le mot respect n’a pas à connaître la pénurie. Il faut oser sortir dans la rue, la rue d’ici, la rue d’Europe, la rue du Monde, et charger sur ses épaules pour la vérité, les dissonances de la société. Il y a là la charge d’une socialité nouvelle. Nous devons, nous pouvons faire société, une société où le mot égalité ne serait plus un gros mot, une société où les « rejetés » et les « maintenus » se retrouveraient comme individus de l’histoire du monde, conscients d’une « communauté qui vient », qui aurait une citoyenneté sociale permettant à chacune, à chacun de sortir de la délégation passive, de voir le bout de ses actes, de ne plus se dévaloriser, de prendre la parole, de promouvoir de nouveaux droits et une nouvelle logique sociale dans une nouvelle vie publique.

Tout ceci est capital pour les auteurs dont tant gagnent si peu et pour les artistes notamment les intermittents dont le Medef persiste à vouloir précariser la précarisation.

Ainsi, nous refusons de nous laisser embarquer sur une galère lancée à travers « les eaux glacées du calcul égoïste ».

Ainsi, nous résistons contre le malmenage et le démembrement qui assaillent les arts, tous les arts.

Ainsi, nous voulons la liberté d’échapper au pur empire de la soi-disant nécessité et créer du sens.

C’est notre ordre du jour d’aujourd’hui et des deux prochaines années. Ce sont les nouvelles lettres à l’alphabet des créations, de leurs auteurs et de leurs publics que nous vous proposons d’écrire sans cesse et notamment par une deuxième lecture.

J’emprunte à Debureau, personnage des Enfants du Paradis, mes mots conclusifs, « pourquoi impossibles ces choses, puisque je les rêve ? »

Messages

    • Pour un peu mieux connaître le bonhomme, ce qu’en dit Wikipédia :

      Jack Ralite
      Un article de Wikipédia, l’encyclopédie libre.

      Né le 14 mai 1928, Jack Ralite est un homme politique de Seine-Saint-Denis. Il a été député communiste (1973-1981) avant de devenir ministre de 1981 à 1983.

      Il est élu sénateur le 24 septembre 1995 puis réélu le 26 septembre 2004.

      Ancien maire d’Aubervilliers, dont il reste conseiller municipal. Il est également conseiller communautaire de Plaine Commune depuis 2000. Il a démissionné de la mairie en 2003 au profit de Pascal Beaudet.

      Homme de culture, il s’engage pour l’exception culturelle et contre les accords de libéralisation du commerce projet d’Accord Multilatéral sur les Investissements (AMI) à l’OCDE et AGCS de l’Organisation Mondiale du Commerce