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Günter Grass : le miroir de l’oubli

Publie le jeudi 31 août 2006 par Open-Publishing
2 commentaires

de Bernard Lallement

Günter Grass fait partie de cette génération allemande maudite dont l’enfance fut engluée par le nazisme.

L’auteur du Tambour avait 6 ans lorsqu’Adolph Hitler devint chancelier du IIIe Reich.

Comme la plupart des contemporains de son âge il fut embrigadé dans les jeunesses hitlériennes. Il n’a jamais nié avoir épousé, dans son adolescence, l’idéologie nazie telle qu’elle lui apparaissait alors. D’autres esprits, bien plus brillants à l’époque, n’hésitèrent pas à prendre fait et cause pour le Führer à travers lequel ils voyaient la restauration d’une grande Allemagne et l’avènement d’une race germanique hors du commun. Carl Schmitt et Martin Heidegger en ont été les plus zélés soutiens.

Le prix Nobel de littérature n’a pas caché son passé de soldat dans la défense antiaérienne. Il a été prisonnier des Américains de 1944 à 1946 en compagnie d’un jeune catholique, l’actuel pape Benoît XVI.

Mais cette conscience morale de l’Allemagne contemporaine, compagnon du SPD et ami de Willy Brandt, a commis l’impardonnable outrage à sa postérité d’avoir dissimulé, durant 60 ans, qu’il servit dans les Waffen SS, dont le simple nom symbolise, aujourd’hui, le Mal absolu et, hier, un corps d’élite asservi à la grandeur du National-socialisme avant que l’on ne découvre l’horreur des camps d’exterminations érigés et administrés par ses troupes.

C’est oublier qu’en 1944, date de l’incorporation de l’intellectuel allemand à 17 ans, Goebbels avait ordonné l’enrôlement en masse (Volkssturm) de tout homme valide, quel qu’il soit, afin de résister à l’Armée rouge, sur le front Est, dont l’assaut sera fatal au Reich.

Cet élément, révélé la veille de la publication de son autobiographie Beim Häuten der Zwiebel (En pelant les ognons) dans une interview à la Frankfurter Allgemeine Zeitung, quotidien conservateur, fait scandale. Günter Grass est déchu de son piédestal. Pour un peu on en appellerait à l’autodafé. Des voix s’élèvent pour le voir destituer de son prix Nobel et, dans ce concert d’opprobres, nous trouvons même quelque raton laveur, que Prévert n’eut pas renié, pour l’accuser de lâcheté, comme le député européen Verts, Daniel Cohn-Bendit. D’aucun y voit même un simple « coup médiatique » pour faire vendre son livre.

Il est vrai que nous fantasmons nos idoles sans failles, tout à la fois sculptées dans l’héroïsme et la pureté. Ainsi, nous aurions aimé un Sartre courageux résistant, à l’image d’un René Char, un Céline qui ne fut pas antisémite, un Peter Handke sans sympathie serbe, voire un François Mitterrand sans compagnonnage avec Bousquet.

Aussi, évacuons-nous le jeune Günter Grass découvrant, au lendemain de la guerre, que son idéal était marqué du sceau de l’infamie, celle de l’holocauste juif. Nous pourrions, pourtant, concevoir la honte qu’il éprouve pour avoir été ce conformiste, adhérant sans réserve d’une idéologie dominante, comme nombre de ses compatriotes d’alors.

Et c’est bien la déconstruction de ce personnage que nous livre la trame de ses écrits. Sans cette insoutenable fêlure, sans cette souffrance, Le Tambour n’aurait jamais vu le jour. C’est curieux un écrivain. C’est une contradiction et aussi un non-sens. Ecrire c’est aussi ne pas parler. C’est se taire. C’est hurler sans bruit nous dit Marguerite Duras. Ecrire avec le désespoir, ajoutait-elle.

Le souvenir est comme les oignons : faite de couches successives dissimulées à notre regard l’une par l’autre. Un faux témoin nous dit Pierre Drachline. Une vérité qui se construit de nos mensonges, de nos illusions, de nos doutes.

Pas de morale sans échec

Non seulement cette béance n’exclut pas, mais imposait à Günter Grass sa stature de moraliste d’une Allemagne coupable de s’être engloutie dans l’abominable. Il n’y a pas de morale sans échec affirmait Simone de Beauvoir.

Il faut être naïf, ou de mauvaise foi, pour réduire le nazisme à un quarteron de monstres inhumains subornant la conscience de tout un peuple.

Au-delà de l’horreur qu’il nous inspire, Hitler était un homme, avec ses rires, ses peines, ses faiblesses. Il avait des amis, était gourmand, amoureux. Il n’était pas fait d’une armure hors du temps.

C’était un homme, comme nous le sommes nous-mêmes, que rien ne destinait, si ce n’est la rencontre d’une Histoire et d’un destin, à être le maître d’un fascisme contre lequel un autre homme, tout aussi ordinaire, Günter Grass ne cessera de nous mettre en garde.

Le reproche fait à l’auteur d’En pelant les oignons de sa tâche biographique se nourrit de la même intentionnalité que celle mise dans l’espérance d’un homme supérieur façonné, en son temps, par le nazisme. C’est-à-dire quelque chose qui ressortit de l’inhumain et de l’horrible.

On ne fait pas toujours ce que l’on veut et pourtant, rappelait Sartre, on est responsable de ce que l’on est.

Qu’aurions-nous fait à 17 ans dans l’Allemagne nazie et que serions-nous devenus ? Telle est le questionnement que nous renvoie ce grand écrivain auquel nous avons peine à répondre.

Günter Grass est un homme fait de tous les hommes et qui les vaut tous et que vaut n’importe qui, pour reprendre la conclusion des Mots. A l’aulne de son œuvre, c’est bien ce qui fait toute son humanité, sa grandeur et nous irrite tant.

 http://sartre.blogspirit.com

Messages

  • Bof, il faut bien que les journalistes écrivent, que les conversations soient meublées et que M Toulemonde glose sur sa nature, à lui, irréprochable. Tempête dans un verre d’eau : des Nazis d’hier on fait grand bruit... en pleine nazification rampante, mais actuelle, de toute l’Europe... et jusque dans cette France qui elle ne s’est jamais dénazifiée (au contraire, elle légiférait il y a peu sur son nazisme, à elle, qui aurait eu des aspects positifs)...
    Qu’on laisse donc tranquille M Grass... bien peu de personnes mériteraient de lacer ses chaussures.
    TEO

  • Il a ete conditionne mais il a reussi à s’en s’en echapper et sans vouloir plagier un resistant palestinien né il ya 2006 ans (d’apres le pape) que celui qui n’a jamais ete Nazi lui jette la premiere pierre -Parce que cela ne suffit pas d’etre enrole dans les jeunesses hitleriennes pour etre Nazi.Sinon cela voudrait dire que le nazisme n’est plus.

    GhalRed Lerouge