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Sortir de la grotte. Revitaliser le mythe d’une victoire non par le nombre et la force mais par la ruse

Publie le mardi 9 janvier 2007 par Open-Publishing
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de Barbara Bouley, metteurE en scène et dramaturge UN EXCURSUS

On est fort quand on a le nombre ; invincible, quand on a la ruse. (1) Euripide

Plus le système est tortueux, plus il nous faut être rusé.

Comparons le système ultra-libéral contemporain à un monstre fourbe, un Léviathan roublard, un géant cynique, hurleur et vorace…

Franchement, nul besoin de déployer des myriades d’imaginaires : Il paraît enfantin pour des esprits "anti-libéraux" d’obtenir un consensus sur ces images métaphoriques. Non ?

Dans la grotte du monstre-Cyclope libéral, nous y sommes.

Pouvons-nous un jour collectivement en sortir ?

Avant de répondre à cette question, il semble nécessaire de répondre individuellement et sincèrement à celle-ci :

Sommes-nous individuellement disposés à nous détacher de ce qui constitue la perspective tranquille qu’offre le libéralisme à la majorité des humains qui vivent en cette partie occidentale du monde ?

Une perspective certes bien sombre pour la survie de la planète mais "confortable" dans l’immédiat pour nous consommateurs occidentaux.

Habitués à nous repaître d’abondance dans cette cavité aménagée pour quelques-uns par le monstre, sommes-nous disposés à y abandonner tous les bienfaits de son arme de séduction massive : la consommation ?

Sommes-nous prêts à nous alléger ? A sortir de l’antre presque nus ?

Peu semblent disposés à ouvrir pour lui-même et les siens le chemin de la décroissance. Ce chemin quoique nécessaire paraît abrupt.

Toutes les luttes de ce début de siècle nous le montrent : Nous ne sommes pas encore prêts à sortir collectivement de la grotte.

Certes nous repoussons les attaques du monstre dévoreur d’êtres et d’âmes, en affûtant machinalement l’arme du vote. Et nous avons appris à placer quelques barricades en papier entre le monstre et les cavités de la grotte où nous tentons de vivre non en harmonie mais en relative « sécurité ». Des barricades de papier que nous nommons « constitutions » et qui peuvent, temporairement, limiter le pouvoir du monstre (2).

Le 29 mai 2005, nous avons dit NON, collectivement, à l’édification d’une nouvelle barricade de papier élaborée par une caste de spécialistes et de privilégiés, alliés connus du libéralisme. Nous avons refusé le texte de la constitution européenne.

Peut-être avions-nous alors le désir secret de terrasser définitivement le monstre…

Bercés par cette belle victoire et ensuite par les chants des nouvelles croyances politiques à gauche, nous avons recommencé à nous rassembler et à réfléchir aux solutions afin de sortir de l’emprise du libéralisme. Nous avions les yeux tournés vers l’avenir d’avril 2007…L’échéance électorale était proche et qui sait…Nous nous sommes remis à croire à l’ultime sursaut citoyen et au terrassement du cyclope par la voie démocratique du vote.

Face au monstre machiavélique, de brillants héros (aux ambitions de chefs d’état) nous ont incités, ces derniers mois, à construire, au sein de comités locaux, un pieu capable de l’aveugler.

Sans réelle stratégie mais avec les tous les stigmates connus de l’ambition, tapis dans une des cavités nommée « comité national » où ils se retrouvaient pour parler de l’arrière petite fille d’Athéna (la toute jeune démocratie participative !), les chefs des anti-libéraux nous conviaient à les rejoindre…pour les écouter.

Et en coulisse, ces chefs ne tentaient pas de retrouver pour nous, bel équipage bercé d’utopies, une terre plus sereine : Ils se chamaillaient à coup de consensus (3). Occupés à ces querelles bien réelles, ils n’ont jamais pensé à nous réciter, au coin d’un feu convivial, le grand mythe de la victoire de l’intelligence sur la force brutale : Celui d’Ulysse terrassant le cyclope.

Les chefs de la coalition anti-libérale préféraient les jeux de lumières, l’écho de leurs voix dans les enceintes, l’espace de la tribune, les beaux discours, les costumes d’or, imprimé cerises pour les dames…Ils se gargarisaient d’espace scénique. Adolescents, ils auraient peut-être aimé être comédiens ! Les chefs novices des anti-libéraux savouraient les délices de faire spectacle et avaient oublié que nous devions sortir rapidement et collectivement de la grotte ;

Que le monstre vorace réclamait de plus en plus de sacrifices humains.

Aujourd’hui attristée par l’absence du sens du sacré chez mes contemporains qui prétendent faire œuvre de politique, je tente de revitaliser publiquement certains mythes.

Aussi, en ces premiers jours de janvier, déçue mais toujours proche des utopies de gauche, c’est la revitalisation du mythe symbole de la force de Métis(4) qui me vient. Revitaliser certains mythes, pour sortir d’une déploration constante de l’état du monde…Cela fait du bien simplement…

Revitaliser certains mythes, comme pour poser un acte « résistant », j’y crois toujours…

Voici donc, pour moi, pour toi, pour vous lecteurs-lectrices, un résumé d’un des épisodes du chant IX de l’Odyssée d’Homère :

Après un long temps passé chez les « lotophages » qui grâce à un fruit miraculeux et pervers leur imposait « Confort-Bien-être et Oubli », Ulysse et ses guerriers vainqueurs de Troie débarquent sur l’île des cyclopes.

Séquestrés dans une caverne par l’un d’eux, Polyphème, qui les dévore un par un, les derniers allaient pouvoir s’échapper grâce à deux ruses d’Ulysse.

 Une ruse d’action : profitant du va-et-vient des moutons que le cyclope abritait dans son antre la nuit et libérait le matin vers les prairies, Ulysse et ses compagnons se cachent sous l’épais pelage des bêtes. Ils parviennent à s’échapper, après avoir pris soin d’enivrer le monstre et crever son unique œil.

 Une ruse de prudence :Ulysse, afin de se prémunir d’une vengeance des autres cyclopes, avait eu la sagesse d’esprit de se présenter sous le nom de « Personne ». Aussi, lorsque le cyclope appela à l’aide ses pairs, leur annonçant que « Personne » lui avait crevé l’oeil, les cyclopes ne le comprirent pas et ne purent lui porter assistance.

Ulysse et les siens reprirent la mer et la quête du retour vers Ithaque.

Je ne prétends rien résoudre :

Passionnée des histoires mythologiques qui bercèrent mon enfance, je reste convaincue qu’aucun héros de cette gauche anti-libérale ne sera capable de nous faire sortir de la grotte du Cyclope s’il fait passer son patronyme avant son art de la ruse.

Toujours stupéfaite par la force des accessoires au théâtre, je sais que pour vaincre définitivement le monstre du libéralisme, pas besoin de beaux discours à la tribune, de comité nationaux ou même de miracles : Il faut nécessairement changer les formes, se transformer et avancer masqué.

Curieuse d’étymologie, j’ai appris que l’origine étrusque du mot « personne » désigne les masques que portaient les comédiens au théâtre.

User de la ruse, se masquer un temps pour passer à une autre fiction, ce ne fut pas possible en 2006.

Alors, pour moi qui reste du côté gauche de l’échiquier politique (par tradition probablement car je ne sais plus bien ce que ces orientations spatiales signifient !), la question fondamentale reste :

Pour qui irais-je voter un matin d’avril ?

Un bulletin pour le parti de « personne » serait le seul acte d’héroïsme, mais pas de l’heur, ce vote reste dans le contexte actuel, bien inutile, puisqu’en Démocratie, il n’existe toujours pas de reconnaissance du vote blanc

En avril, c’est certain : Par mon vote à gauche, je n’exprimerais pas un NON à cette politique-ego-spectaculaire-bipolaire que le monstre cloné USA veut nous faire avaler. En avril « fais quoi, fais quoi » nous ne pourrons pas terrasser le monstre.
Larges soupirs…

En attendant une nouvelle constitution plus proche des aspirations d’un peuple de plus en plus dégoûté (contestataire certes mais franchement impuissant), la question primordiale du vote prend des allures de peau de chagrin :

Qui des héros sans ruse en présence aujourd’hui sera le mieux disposé à la construction de nouvelles barricades en papiers ?

En ces premiers jours de l’an 2007, un seul constat valide fait consensus :
Le monstre est toujours là, plus vaillant que jamais, dedans la grotte et…hors de la grotte attendent ses frères.

Alors en ce début 2007, pour garder l’espoir actif de sortir un jour de la sombre caverne et voir enfin les verts pâturages de la poésie, de la liberté et de l’équité, je garde en mémoire l’essence de la ruse d’Ulysse…

Notes

1. Extrait d’Hécube
2. Référence à Cornélius Castoriadis
3. Cette arme inefficace d’entente cordiale, mise au point lors des derniers forums sociaux par certains d’entres nous, croyants de gauche qui avaient pris le nom « altermondialistes ».
4. Métis : Déesse grecque et principe d’intelligence pratique qui consiste à sauver sa peau.

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