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Du SOCIAL au POLICIER ou LE "DESORDRE POLICIER" AGGRAVE

Publie le samedi 19 mai 2007 par Open-Publishing
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Du SOCIAL au POLICIER ou LE "DESORDRE POLICIER" AGGRAVE

Depuis que Jean-Jacques GLEIZAL a écrit son remarquable ouvrage sur « Le désordre policier » (PUF 1985), les dynamiques sociales, politiques et administratives sont allées dans le sens de la répression, notamment sous l’effet d’une nouvelle logique sécuritaire venue des USA. Avec l’arrivée de N. SARKOZY à la Présidence de la République il semble utile de diffuser des éléments d’analyses sur les évolutions en cours. Il ne s’agit que de quelques fiches « éduc.pop » sur le sujet.

Eléments d’analyse sur les mutations au sein de l’Etat et de la société.

La remise en application de la loi du 3 avril 1955 sur l’Etat d’urgence est symptômatique d’une évolution et même d’une longue mutation concernant le rôle de l’Etat. Les réformes de l’Etat se succèdent pour tansformer les services publics, les Administrations et les fonctions publiques. Parallèlement à cette casse de l’Etat social s’instaure un Etat policier connu sous le d’Etat sécuritaire qui donne un rôle nouveau et accentué de la fonction pénale et policière.

Voici une première explication, non sur sur la crise de l’Etat Providence ou sur la fin de l’Etat social mais sur la différenciation théorique Etat / régime politique (I) . Pour cela je reproduis tel quel un passage d’un livre de Nicolas Bénies . Ensuite, pour entrer plus dans le sujet, c’est chez Alain Bertho que je vais puiser un historique de l’évolution vers un régime d’exception (II) . L’article complet est paru dans Variations printemps 2005 . Une troisième partie, personnelle, fera le lien avec l’international (III). Il complétera un de mes textes sur les "trois mondes" (site yonne.lautre) (IV) .

I - DIFFERENCIATION ETAT / REGIME POLITIQUE.
Nicolas BENIES in L’ Après libéralisme (PEC La Brèche 1988 p 30 et 31)

Dans les faits la politique d’austérité est contradictoire avec la nécessité pour le régime politique d’apparaître légitime aux yeux de la grande masse des citoyens . Les nécessités de l’accumulation obligent l’Etat à remettre en cause les conquêtes de la classe ouvrière, et donc à ne plus apparaitre comme l’arbitre entre les classes . C’est pourtant l’intérêts des régimes politiques.

La différenciation Etat / régime politique est issue de l’analyse de Marx dans le Dix-huit Brumaire de Louis Bonaparte qui montre que le régime politique incarnant l’Etat à un moment donné peut se constituer contre la bourgeoisie et s’appuyer sur la classe moyenne. C’est la quintessence de cet adage : "La bourgeoisie règne mais ne gouverne pas "(1), du moins le plus souvent. La bourgeoisie délègue ses pouvoirs politiques pour conserver l’essentiel : les rapports de production capitalistes. Ainsi, et Marx en fait une brillante démonstration le régime politique apparait au-dessus des classes alors que la nature de l’Etat reste capitaliste.

Cette analyse eminamment dialectique a été souvent mal perçue, beaucoup d’auteurs ont cru discerner deux définitions de l’Etat (2), alors que Marx part de la définition abstraite de l’Etat, "capitaliste collectif en idée", pour appréhender le régime politique qui représente la forme de l’existence de l’Etat. Il s’agit donc de deux niveaux d’abstraction différents, mais qui ne se conçoivent pas l’un sans l’autre.

Ce qui permet de comprendre que la politique étatique qui correspond aux nécessités de l’accumuation du capital, de sa valorisation, prime sur les nécessités de la légitimation. Car pour apparaître légitime, un gouvernement doit pouvoir satisfaire quelques revendications des travailleurs ("le grain à moudre" pour parler comme les dirigeants syndicaux réformistes) et, plus généralement, être perçu comme le garant des acquis, par l’intermédiaire de lois et donc du développement du droit, en particulier du droit du travail. Toutes choses qui expliquent l’abandon des politiques de relance keynésiennes, adéquates à la longue période decroissance mais qui ne répondent plus aux nécessités de l’accumulation en période de crise. Et aussi ce que les politologues appellent "l’usure des équipes au pouvoir", qui provient directementde la mise en oeuvre de la politique d’austérité, conduisant aux attaques répétées cotre le niveau de vie et les conditions de travail de la majorité de la population. Ce n’est que pendant la période dite de prospérité (les "Trente Glorieuses", qui n’ont pas duré trente ans et n’ont pas été glorieuses, sinon pour l’accumulation capitaliste) que les impératifs de l’ccumulation et de la légitimation ont pu coïncider.

II - LA BANLIEUE DANS LA GUERRE GLOBALE
d’Alain BERTHO in Barbaries, résurgences, résistances - Revue "Variations" printemps 2005

Voici longtemps que le processus qui conduit à faire du nom de "banlieue" le nom d’une vraie guerre sociale est engagé . Il y a bientôt vingt ans maintenant que la problématique du désordre a envahi l’espace du discours social . Alain Bertho en décrit les étapes :

1) De l’Etat social à l’Etat d’exception
La première étape est celle audébut des nnées quatre-vingt de la "découverte" que les tensions sociales contemporaines sont productrices de nouveaux désordres . (cf Minguettes 1981) . Des dispositifs expérimentaux, localisés et contractuels se mettent alors en place pour prendre le nom de "politique de la ville". Un social d’intervention et d’exception s’instlle sans ambition ni dispositif d’ensemble. Les exclus sortent du droit commun et entrent dans des dispositifs particuliers et conditionnels. Ces derniers sont vite rendus responsables de leur propre malheur et même rapidement soupçonnés d’être potentiellement coupables du malheur des autres. La différence et la disqualification sociale semblent considérées comme des maladies transmissibles. Le rejet se substitue à la solidarité. Après la stigmatisation vient la pénalisation.

2) De l’exception sociale à l’exception policière
Le tournant sécuritaire est franchi en 1997 avec une compréhension qui écarte l’explication sociologique des phénomènes au profit d’une analyse en terme de responsabilité donc de répression. La logique sécuritaire n’est pas "police partout" mais hiérarchisation des actions de cette police : la sécurité quotidienne avant toute chose, la vitre cassée avant la délinquance financière, l’ordre "en public" avant "l’ordre public".
La "nouvelle raison pénale" née à New York est celle de "la tolérance zéro". Et la question n’est pas la masse ou la gravité des délits mais le niveau de leur visibilité. Il s’agit moins de faire baisser la criminalité dans son ensemble que de faire baiss er le niveau d’inquiétude de "l’opinion". Les premiers visés sont les aliens, les étrangers et considérés comme tels. Sont concernés les sans papiers (qu’il ne s’agit pas "d’intégrer", ce discours n’est pas fait pour eux !)

3) Logiques de normalisation
De proche en proche c’est toute la vie sociale qui est concerné. L’ultime étape, celle d’aujourd’hui, est celle du traitement policier de la question sociale, de la criminalisation des comportements hors normes et des incivilités. C’est là que l’on passe de la problématique du désordre à l’anormalité . Le glissement de la notion de délinquance à celle d’incivilité est lourd : l’incivilité est une infraction à la norme pas à la loi et au délit. On va passer de la stigmatisation des actes à la stigmatisation des personnes. Ainsi, les "inemployables" relève non d’un stage qualifiant mais d’une mise aux normes du "savoir être" de l’entreprise.

III - UNE SOCIETE DISCIPLINAIRE.

Le tournant sécuritaire de la campagne de 2002 n’a pas trouvé une solution "de gauche" portant sur la sécurité de l’emploi et de meilleures conditions de travail pour tous et toutes . Bien au contraire le racisme, le mépris des RMIstes et des fainéants s’est développé dans certains milieux populaires, sous l’influence des discours de la droite . Aujourd’hui cela débouche sur une solution de type bonapartiste ou un démagogue prend appui sur une fraction du peuple pour satisfaire les intérêts des dominants (1) en soumettant le peuple et le salariat. N. SARKOZY va oeuvrer à former une société d’individus assujettis par le pouvoir politique comme par les dirigeants d’entreprise. Il s’agit de soumettre, de faire plier, de faire "courber l’échine", d’avoir des travailleurs dociles en entreprise et ayant "peur du gendarme" dans les quartiers. D’ou l’émergence des résistances, d’ou la nécessité d’aller au-delà sur un projet émancipateur et rassembleur .

A - LA SOCIETE DISCIPLINAIRE "HORS TRAVAIL", DANS LES QUARTIERS (2).

1 - Qu’est-ce qu’une société disciplinaire ?

Une société disciplinaire ce n’est pas le fascisme ni l’Etat policier même si l’on y tend. C’est une société qui pratique le contrôle social (1), donc une société qui restreint la liberté d’aller et de venir en accroissant le dispositif pénal et les pouvoirs de police. C’est une société qui pénalise les problèmes sociaux, qui pénalise aussi bien les pauvres que les immigrés. C’est une société qui ne sait plus distinguer la prévention de la répression.
Elle se met en place avec l’aval des masses (2) obsédées par la peur de l’autre et sensible au discours sécuritaire des libéraux impuissants à répondre à l’insécurité économique crée par les licenciements. En effet, au lieu de chercher une réponse économique et sociale protectrice qui s’attaquent directement aux inégalités et au chômage les artisants de la société disciplinaire choisissent au contraire les solutions économiques et sociales néolibérales qui précisément accroissent le chômage et l’exclusion . Il ne reste alors que la répression, l’excusion et l’enfermement voire l’élimination : que la "racaille crève" ! Vive l’eugénisme !

2 - Danger, le pire est qu’ils n’ont pas d’autres solutions : il n’y a que la fuite en avant !

La société disciplinaire met la justice et les agents des services publics sous les ordres des maires et des préfets pour faciliter les opérations de police. Fondamentalement le coeur et la raison chavire car il "faut punir les individus et non pas rechercher les causes sociales ou psychologiques de leurs difficultés".
C’est cette ignorance volontaire des causes sociales de la délinquance qui constitue une régression considérable . Nul ne pense qu’il faut abolir les prisons. C’est tout au autre chose que de penser que la prison est la solution ! La société disciplinaire est une société carcérale ou la police et la justice enferme aisément car la prévention n’existe plus comme remplacée par tout un discours sociobiologisant et fataliste sur la délinquance . Ici l’histoire n’indique-t-elle pas qu’elle peut mener au pire. D’autres peuvent ici prolonger mon propos.
En attendant, contre la barbarie, il va falloir s’engager et voter contre Sarkopen. Puis montrer qu’une autre orientation est possible dans le discours mais aussi dans les actes.

B - AU TRAVAIL : LA GENERALISATION DE LA VIEILLE "DISCIPLINE D’USINE"

Extrait d’un texte de Philippe ZARIFFIAN (3) :

Ce qui frappe d’abord, dans toute une série d’emplois, c’est la perdurance de dispositifs disciplinaires de type taylorien, à savoir : disciplinarisation des opérations de travail, contrôle direct du temps, contrôle de la présence du salarié à son poste au sein du temps dit " effectif ", contrôle des mouvements du corps. Néanmoins, la technologie informatique apporte du nouveau, non sur la visée, mais sur les moyens, dans tous les emplois pour lesquels l’ordinateur devient un outil central de travail. Plusieurs points sont à noter à ce sujet :

 un affinement considérable du contrôle de chaque acte de travail et de sa durée, grâce à la précision des relevés d’informations, - le fait que c’est le salarié lui-même qui déclenche les informations de contrôle, tout simplement parce que l’ordinateur ou le terminal qu’il utilise est en même temps son moyen obligatoire de travail, structuré selon des procédures précises. Le salarié ne peut faire autrement que de déclencher ces opérations de contrôle (qu’il ne connaîtra pas nécessairement),

 cela engendre, pour la direction, une forte économie de personnel de contrôle, en particulier du côté de la hiérarchie directe, donc une économie en salaire et en facteurs de tension sociale, malgré, en contrepartie, un investissement dans le système d’information et son exploitation,

 enfin, et surtout, la technologie informatique utilisée offre une occasion, probablement sans équivalent historique, de développer un pouvoir disciplinaire qui porte à la fois sur chaque individu et sur des ensembles de population (ce que Foucault considérait comme impossible). Par exemple : l’occupation du temps de travail de chaque salarié peut être contrôlée, mais on peut aussi, à partir des mêmes données de base, établir des statistiques qui permettront, pour une population donnée (de guichetiers à La Poste par exemple) de réélaborer les normes standards de travail et de calculer les effectifs " nécessaires " (de chaque bureau de Poste) avec une extrême précision, à des fractions d’individus près. On assiste donc à un affinement considérable de la disciplinarisation, le " moule " étant défini et suivi avec une précision inédite.

Christian Delarue

1) L’unité dans la clarté
Face à une droite dure construisons l’unité sur des exigences claires.
Sur Bellaciao et Europe sans frontières
2 ) Lire : Surveiller et Punir :
l’exemple du projet de loi "prévention de la délinquance"
Texte de l’intervention de Evelyne Sire-Marin,
magistrat, coprésidente de la fondation Copernic
et membre du Syndicat de la magistrature
au colloque du 17 juin 2006
"pas de zéro de conduite pour les enfants de trois ans"*.


publié dans COPERNIC FLASH
le 13 Septembre 2006 (en version pdf)
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3) "Masse" car toutes les classes et couches sociales peuvent connaitre ces craintes y compris les ouvriers et employés. Mais comme pour le racisme, ce sont les élites adeptes du néolibéralisme qui alimentent ces craintes.
4) Des sociétés disciplinaires aux sociétés de contrôle Zarifian
http://perso.orange.fr/philippe.zarifian/page111.htm

Messages

  • Très bonne analyse. Ce n’est pas souvent que l’on voit resituer la Politique de la Ville dans la mise en place de ce nouvel ordre (Garnier) qui date en France de manière visible de 1977 (peut-être parce que les fonctionnaires, les travailleurs sociaux et les "militants" associatifs qui en ont été les agents, en se croyant acteurs !, en ont été les complices de fait). Cette approche a le mérite de dépasser le faux problème des gouvernements de droite et de gauche (social démocrate) qui se sont succédés pour développer cette politique européenne de l’aménagement des territoires (il faut préciser que la Politique de la Ville est une politique "globale" : économique, urbain, social, sécuritaire ; même si ça ne paraît pas aussi limpide sur le terrain).

    • LES LIMITES PATENTES DE LA POLITIQUE SOCIALE DEMOCRATE DE LA VILLE (Christian DELARUE ATTAC)

      à la lecture d’une intervention de Jean-Marie DELARUE l’ex-délégué interministériel à la ville

      http://www.fondation-res-publica.org/Intervention-de-Jean-Marie-Delarue_a109.html

      La politique de la ville et ses principes

      BREF HISTORIQUE

      A l’instant, Jean-Pierre Chevènement en a donné un aperçu. On résumera donc de la manière la plus succincte possible l’apparition de la politique de la ville, par quelques dates très simples.

      La première est 1971 et passe inaperçue. Cette année-là, le ministère de l’équipement (l’importante direction de l’aménagement foncier et de l’urbanisme – la DAFU) et le ministère des affaires sociales (direction de l’action sociale, alors brillamment conduite) tiennent ensemble un séminaire sur le devenir des quartiers nouveaux, ceux édifiés dans les vingt années qui viennent de s’écouler. On a pris conscience que la disparition des taudis ne règle pas toutes les questions et que ces cités alors neuves peuvent aussi poser des questions qui appellent des solutions de proximité sociale.

      La deuxième est 1977. Après plusieurs années de montée du chômage, notamment chez les jeunes (c’est aussi l’année du premier plan Barre à leur intention), la situation se détériore. Sur la base notamment des réflexions conduites depuis 1971, le secrétaire d’Etat au logement du moment, Jacques Barrot, lance les programmes Habitat et Vie sociale (H.V.S.), qui consistent à passer convention avec des organismes HLM pour la réalisation d’actions sociales diverses.

      La troisième est 1981. C’est l’été des Minguettes, ce quartier de Vénissieux qui est le premier à être marqué de ce que j’appelle, au sens du langage classique, une « émotion », sans ordre ni mot d’ordre, qui surprend et marque l’opinion. La gauche arrivant au pouvoir lance (outre un programme local immédiat) un « remue-méninges » sur la question sous-jacente, d’où sortiront des réflexions encore actuelles et importantes (3), notamment, sur la question du devenir des quartiers, celle d’Hubert Dubedout, auteur du rapport intitulé « Ensemble, refaire la ville » qui inspirera directement la création d’institutions centrales (Commission nationale d’abord, délégation interministérielle à compter de 1988 (4)) et la naissance d’actions locales que résume donc et symbolise sans doute celle effectuée dans le quartier de l’Alma-Gare, à Roubaix.

      La quatrième, ce sont deux années, 1990 et 1991. De nouvelles « émotions » surviennent, singulièrement autour de Paris et de Lyon (c’est-à-dire non pas là où la pauvreté est la plus grande, mais où la distance sociale est la plus forte). Il est créé un ministère de la ville, dont le premier titulaire est Michel Delebarre, avec les moyens d’une mission de coordination. Avec les élus locaux, le ministre est bien l’incarnation d’une politique, c’est-à-dire d’une analyse, d’une critique, d’une pédagogie et d’une action qu’expriment et que portent des élus du suffrage universel.

      PRINCIPES

      On décrira ici les modalités de l’action entreprise, avant de revenir sur l’objectif politique tel qu’il a été défini avec constance par le législateur.

      Le cadre d’action d’abord ? On peut en retenir quatre aspects.

      En premier lieu, la politique de la ville consiste à accroître très sensiblement les moyens financiers disponibles pour ces quartiers.
      Les uns – la plupart – proviennent des ministères « classiques » qui ont « redéployé » une part de leur budget au profit de ces cités. Autrement dit, s’opère dans la dépense publique un nouveau partage plus favorable – ou moins défavorable comme on voudra – aux résidents des quartiers. Ainsi le ministère de l’équipement a-t-il engagé des dépenses élevées pour la réhabilitation des logements, par le biais de la prime d’amélioration de l’habitat dite « PALULOS » ; ou le ministère de l’éducation nationale pour les crédits ZEP ou les primes des enseignants des « zones sensibles » (6) ; ou celui du travail, pour les programmes en faveur de l’emploi dans la partie vouée aux jeunes des cités ; ou celui de la culture, pour les actions de développement culturel dévolues à ces lieux.
      Les autres (principalement sous la forme de crédits d’investissement ou d’intervention) sont dépensés par le ministère de la ville proprement dit, lequel mobilise par ses subventions les crédits des collectivités locales et d’investisseurs, singulièrement la Caisse des dépôts. En 2006, ce ministère dépensera ainsi 1, 6 Md d’€, dont 465 millions au titre des programmes de rénovation urbaine. Mais la contribution d’ensemble des ministères et des autres financeurs s’élève à 7, 2 Md d’€ en autorisations d’engagement et 7, 1 Md € en crédits de paiement.

      En deuxième lieu, la politique de la ville doit mobiliser de nouvelles ressources et de nouveaux acteurs.
      La politique de la ville ne s’est guère (au moins à ses débuts) embarrassée de structures nouvelles, encore moins de corps et de statuts. Son pari est beaucoup plus audacieux : il s’agit de faire agir autrement les institutions et les personnels existants pour que les besoins des habitants des quartiers soient mieux pris en considération et satisfaits.
      En particulier, elle s’efforce de confier des tâches à des « tiers » qui ne sont pas des agents publics : comme on l’a observé (7), l’Etat en la matière se préoccupe autant de « faire faire » que « faire ». D’une certaine matière, il a entendu renouveler ses moyens d’action et innover largement. Et plutôt que faire du « vertical », comme l’Etat le pratique depuis bien longtemps, de s’efforcer au « transversal », c’est-à-dire de pratiquer une véritable politique de « lieu » et non plus de catégories ou de temps. C’est pourquoi, dans cette politique à l’égard des relégués, il a beaucoup misé sur les associations locales (on y reviendra), les « adultes-relais », les médiateurs, les régies de quartiers, les conseils de quartiers…

      C’est pourquoi, en troisième lieu, la question de l’impulsion et de la coordination de la politique de la ville est cruciale.
      Au niveau central, il revient au ministre compétent de coordonner, autant que possible, les actions des différents services pour que chacun, dans la chaîne hiérarchique qui lui est naturellement propre, contribue à une action globalement cohérente. C’était bien l’intention initiale du décret d’attribution du premier ministre de la ville, en janvier 1991, qui mettait à sa disposition, « en tant que de besoin » selon la formule consacrée, toutes les grandes administrations des ministères concernés. Est-il besoin d’ajouter que cette formule n’a pratiquement jamais été reconduite depuis 1993 ?
      La question est identique au niveau local, non pas tant pour les services municipaux, coordonnés par le maire, que pour les services publics entre eux (Etat, département, ville, établissements publics). C’est à cet effet qu’ont été institués les sous-préfets à la ville, parfois redoublés par des délégués de l’Etat dans les quartiers (inventés par un préfet du Rhône), et que la réalisation pratique des actions dans un quartier déterminé est confiée à un « chef de projet » reconnu à la fois par la commune et l’Etat.
      La coordination a pu trouver à s’exprimer au-delà des personnes et des institutions dans les « contrats de quartier » puis « de ville » qui ont été la traduction programmatique et financière de la politique de la ville. Celle-ci – c’est le fait d’une coïncidence – est née pratiquement avec la décentralisation. La coordination des actions entre les services municipaux et les services de l’Etat a trouvé ainsi à se traduire dans des contrats d’une durée de cinq ans, qui ont été intégrés aux contrats « Etat-région », eux-mêmes conclus dans le cadre de la planification de 1982, abandonnée depuis lors. Cette fragilité de l’assise des contrats de ville ne doit pas dissimuler leurs mérites (au moins potentiels) : négociation locale, possibilité d’adaptation et de renouvellement périodiques, égalité des cocontractants, association possible d’autres partenaires.
      La géographie des contrats, donc celle de la politique de la ville, mérite d’être précisée. Pendant les premières années, elle s’est limitée aux quartiers. Mais, à partir des contrats de ville de 1994, elle a été étendue aux agglomérations. Non qu’elle entende couvrir tous les secteurs urbains, mais la résolution des difficultés d’une cité passe souvent, c’est même un de ses caractères, par des interventions à l’extérieur (ainsi les réseaux de transport). Plus généralement, la question urbaine est un conflit relationnel entre deux parties de la ville. Il s’agit aussi d’agir sur cette relation.

      En quatrième lieu, enfin, il faut préciser les terrains d’action de cette politique, en précisant qu’ils doivent tous être occupés simultanément, sans quoi ce qui est fait se traduit pour les habitants par ce qui est pire que l’inaction : un comportement incohérent, dont des résultats positifs ne masquent pas des aggravations notoires. On y reviendra aussi. Il faut donc travailler à la fois :

      · la réhabilitation des logements mais aussi des espaces publics, bref le « dur », l’investissement. On a déjà évoqué l’habitat et la « PALULOS » ; on doit mentionner aussi les grands projets urbains, rebaptisés « grands projets de ville » (GPV) et plus généralement les projets que, depuis la loi du 1er août 2003, finance l’Agence nationale de rénovation urbaine (ANRU) ;
      · la prévention de la délinquance : la sécurité est naturellement une question majeure de la vie de ces quartiers. La répression doit nécessairement s’accompagner d’une prévention imaginative, définie localement, selon les possibilités, regroupant tous ceux qui y ont un rôle (policiers, magistrats, élus, enseignants, médecins, associations) mais aussi tous ceux qui y ont gagné à une vie collective plus sûre (commerçants, professions libérales, sapeurs-pompiers, jeunes…), ce qu’avait conçu Gilbert Bonnemaison en imaginant les comités communaux de prévention de la délinquance (CCPD) à quoi ont succédé diverses formules contractuelles ;
      · l’emploi : sans pouvoir se substituer aux efforts nationaux, des actions locales doivent s’y ajouter pour remédier à ces fléaux majeurs que sont le chômage et l’activité des working-poors, en permettant à la fois de créer des emplois et de remédier à des difficultés des quartiers. Des formules originales ont ainsi vu le jour : missions d’accueil et d’insertion des jeunes en difficulté (imaginées par Bertrand Schwartz), associations ou entreprises intermédiaires, régies de quartiers, plans locaux d’insertion par l’économique. Elles ont été depuis largement supplantées par le principe des zones franches urbaines mis en œuvre à partir de 1996 ;
      · enfin les services publics : dans la pauvreté de nombreux services publics désormais, ceux des cités sont les plus misérables. Non, comme on le dit souvent, par leur personnel, mais par les moyens dont ils disposent et leur adaptation à la réalité locale (8). Or, c’est sur le devenir de ces services qu’en principe la puissance publique dispose des leviers les plus puissants. Il n’est pas surprenant qu’ils soient souvent l’enjeu de défoulements et de destructions divers, dès lors qu’ils incarnent précisément la collectivité nationale. Repenser leur rôle pour remédier à l’urgence sociale, améliorer leur fonctionnement, faire en sorte qu’ils deviennent des modèles pour les autres parties urbaines : voilà un enjeu décisif.

      Encore faut-il, à travers ce cadre d’action, définir quel est le but de la politique de la ville. Il convient de terminer ces développements sur ce point, puisqu’il y a matière à débat, au moins à interrogation. Faisons-le (pour simplifier) à travers quatre concepts.

      MIXITE SOCIALE

      Paradoxalement, il n’y aucun débat au sein du politique sur le concept majeur censé unifier la politique de la ville. Le législateur a inscrit pour la première fois l’idée de « mixité sociale » dans la loi dite Besson sur le logement du 31 mai 1990. Et cette formule a été constamment reprise depuis, que ce soit dans la loi « Delebarre » d’orientation sur la ville de juillet 1991, la loi « Pasqua » d’orientation d’aménagement du territoire de février 2005, la loi « Juppé » de novembre 1996, et la loi « Borloo » d’août 2003. Cette continuité ne laisse pas cependant de susciter des interrogations. Sur le contenu exact de l’idée d’une part : son emploi fréquent ne laisse-t-il pas penser que l’on est en présence d’un de ces objectifs aux contours imprécis si fréquents dans notre vie nationale ? Sur sa véracité d’autre part : les résistances aux lois de construction de logements sociaux où il ne s’en trouve pas (loi « Delebarre », loi de solidarité et de renouvellement urbains du 13 décembre 2000) montre que la traduction de cet objectif théorique est un sujet qui divise profondément. Sur sa nécessité enfin : depuis longtemps, les quartiers populaires sont une part indissociable de notre vie urbaine ; il est moins important de les « mêler », que de leur assurer des conditions de vie qui ne déparent pas celles des autres quartiers.

      DISCRIMINATION POSITIVE

      Il est aussi paradoxal que s’insère aujourd’hui dans ce contexte l’idée de positive action que l’on traduit drôlement par « discrimination positive ». Sans vouloir épuiser le sujet qui mérite un débat en soi, indiquons simplement que si, d’une part, ces mesures ne sont nullement inconnues du droit français, contrairement à ce qu’on feint de découvrir (9), on peut se demander si l’urgence n’est pas d’abord de prendre conscience des discriminations quotidiennes dont souffrent les habitants des cités à des degrés divers, singulièrement pour l’accès au marché du travail que tous les jeunes de vingt ans dénoncent dans ces quartiers depuis longtemps, et d’y mettre fin.

      DOTATION DE SOLIDARITE URBAINE

      Une troisième idée fait beaucoup plus difficultés : il s’agit de la solidarité. Si, par exemple, les discussions du budget (modeste au regard d’autres dépenses) du ministère de la ville n’ont jamais suscité de difficultés majeures, en revanche, l’instauration, par la loi du 13 mai 1991 réformant la dotation globale de fonctionnement, d’une dotation de solidarité urbaine (DSU) a été l’occasion de vives discussions, sur le thème : « nous n’avons pas à payer pour les communes qui sont mal gérées ». En somme la pauvreté et la richesse n’étaient le résultat que d’une mauvaise ou d’une bonne gestion des élus. Plus généralement la prise en charge collective de ces quartiers suscite des réticences d’une bonne part de l’opinion, jugeant qu’on en « fait trop » pour la voyoucratie et pas assez pour les « honnêtes gens ». L’extrême-droite recrute sur des thèmes de cette nature, ce qui atténue sensiblement l’enthousiasme de beaucoup d’élus nationaux et locaux en la matière. Faut-il rappeler que la politique de la ville n’existera que tant que les élus la soutiendront ?

      DEMOCRATIE

      Enfin un dernier concept me paraît être la clé de voûte de la politique de la ville. Il s’agit de la démocratie. Il n’y a pas de questions plus difficiles à régler, dit-on, que celles que l’on est persuadé d’avoir déjà réglées. La manière dont la démocratie, y compris la démocratie locale, se vit concrètement dans ces quartiers se pose. Si le défaut d’expression ne laisse le choix qu’à la révolte des gamins dans les établissements d’enseignement, au caillassage des voitures de police, à la triste résignation des parents, voire au doctrinaire religieux, ne faut-il pas d’abord trouver d’autres voies pour faire s’exprimer un mécontentement peut-être simplificateur ou excessif, mais qui requiert des formes compatibles avec notre système démocratique ? Ne faut-il pas interroger sur ce point le vide laissé par la quasi-absence de représentation sociale des plus démunis, le fonctionnement des mairies à l’égard des associations qu’elles ne maîtrisent pas, l’absence de familiarité des fonctionnaires de responsabilité avec ces réalités, le choix politique réduit à la dénonciation virulente ou la démagogie réductrice ? Avant toute chose, la politique de la ville (10) doit se préoccuper d’aider à éclore ce que j’ai appelé « les jeunes pousses de la démocratie ».

      .../...

    • Les policiers ne sont pas des fonctionnaires comme les autres ...

      Rappel du communiqué de RESF
      http://www.educationsansfrontieres.org/spip.php?article6282


      L’équipe du cinéaste Laurent Cantet était présente dans l’avion. Témoignage.
      Tabassage immédiat à bord du vol Paris-Bamako
      Par Catherine COROLLER
      QUOTIDIEN : lundi 28 mai 2007
      http://www.liberation.fr/actualite/societe/256475.FR.php

      « n ous partions à Bamako tourner quelques scènes de mon prochain film »,
      raconte le réalisateur Laurent Cantet (Ressources humaines, l’Emploi du
      temps). « Et au moment où les portes de l’avion allaient se refermer, on a
      entendu des hurlements », poursuit son assistant et directeur de production,
      Michel Dubois. Une bagarre vient d’éclater à l’arrière de l’appareil d’Air
      France 796 à destination de la capitale du Mali. Le décollage était prévu à
      16 h 40 samedi. L’embarquement s’était passé tout à fait normalement. Les
      passagers ne savaient pas qu’un sans-papiers en cours d’expulsion de la
      France vers le Mali devait voyager dans le même avion qu’eux.
      « Grande violence ». La suite est racontée par Laurent Cantet, Michel Dubois
      et des membres de l’équipe de tournage. Ce qu’ils ont vécu était si dur que,
      dans la nuit de samedi à dimanche, ils ont couché leur témoignage par écrit.
      Le Réseau Education sans frontières (RESF), auquel appartient le cinéaste,
      s’est chargé hier de le diffuser.
      Michel Dubois est assis au fond de l’appareil. Il se retourne. Voit deux
      personnes en civil tentant de contenir un Noir assis au dernier rang, qui se
      débat violemment. « On s’est demandé s’il s’agissait d’une agression entre
      passagers », raconte-t-il. Plusieurs personnes s’interposent. Les individus
      en civil révèlent alors leur état de policiers. « S’ensuit une scène d’une
      grande violence, raconte Laurent Cantet. Les flics étaient à genoux sur le
      mec. L’un semblait vouloir l’étrangler, l’autre lui assénait des grands
      coups de poing dans le ventre. » Les hurlements du Noir se transforment en
      râles. « Sous les huées des passagers, l’homme finit par être immobilisé et
      sanglé », témoignent les collaborateurs de Laurent Cantet. La scène a duré
      dix bonnes minutes.
      Dans l’avion, et plus précisément à l’arrière, beaucoup de voyageurs sont
      Noirs, et réagissent particulièrement mal. « Un passager a filmé la scène
      avec son téléphone portable », raconte Laurent Cantet. Une policière qui
      semble être la responsable de l’opération « menace alors d’arrestation les
      personnes les plus proches et photographie les protestataires ». Elle leur
      explique que l’homme n’est pas un simple sans-papiers mais un « double peine »
       ; en clair, un repris de justice condamné à une peine de prison et à
      l’expulsion de France. Le passager, lui, semble avoir perdu connaissance.
      « Il a fait une sorte de crise d’épilepsie », témoigne Michel Dubois. Les
      policiers décident de l’évacuer.
      « On l’a vu passer avec les yeux révulsés, la langue qui pendait, de la bave
      autour de la bouche, rapporte Laurent Cantet. Quelqu’un l’a ensuite aperçu
      par le hublot dans une ambulance avec un masque à oxygène. » Les témoins sont
      sous le choc. « Beaucoup imaginent que l’homme est mort, ce qui fait encore
      monter d’un cran l’émotion. » Une hôtesse et plusieurs passagères pleurent.
      Une fois l’homme débarqué, « une bonne dizaine d’agents de la police de l’air
      et des frontières [la PAF, ndlr] font irruption dans l’appareil »,
      poursuivent les collaborateurs de Laurent Cantet. Le cinéaste pense que les
      policiers sont à la recherche de celui qui a filmé la scène. Mais ils ne
      parviennent pas à l’identifier. Et repartent avec Michel Dubois. « J’ai été
      désigné par la responsable de l’opération comme celui qui avait mené
      l’opposition à cette action extrêmement violente », témoignait-il hier. De
      nouveau des passagers protestent, refusant de s’asseoir et de se calmer. Un
      policier remonte alors à bord de l’avion pour leur proposer, selon Laurent
      Cantet, « un marché incroyable : Michel pourrait réembarquer à condition que
      l’expulsé le soit aussi ». Un autre policier indique que Michel Dubois a été
      placé en garde à vue, et menace les protestataires du même sort.
      Vol annulé. L’affrontement dure depuis une bonne heure. Il est près de 18
      heures. Le commandant de bord annonce que le vol est annulé. Dans son
      message, il évoque « les "manoeuvres" d’un individu refusant d’être reconduit
      dans son pays d’origine », et « les manifestations d’une minorité de
      passagers », affirment les collaborateurs du cinéaste. Dans l’aérogare, les
      policiers sont toujours, selon Laurent Cantet, à la recherche du
      photographe. Michel Dubois, lui, a été relâché vers 22 heures. Apparemment
      sans que des poursuites aient été engagées contre lui, affirmait hier son
      avocate, Dominique Noguères.
      Du côté d’Air France, un porte-parole de la direction banalisait l’affaire,
      confirmant qu’un « reconduit à la frontière a protesté, à la suite de quoi il
      y a eu une petite réaction d’hostilité, semble-t-il, de certains passagers ».
      Le commandant de bord, estimant alors « que les conditions de sécurité
      n’étaient pas entièrement réunies pour que le vol ait lieu sereinement », a
      préféré l’annuler.
      Du côté du gouvernement, le ministère de l’Intérieur, dont dépend la PAF,
      renvoie désormais sur le nouveau ministère de l’Immigration, de
      l’Intégration, du Codéveloppement et de l’Identité nationale. La version des
      policiers telle que la rapporte un collaborateur du ministre Brice Hortefeux
      est évidemment différente. Selon lui, l’expulsé est un « ressortissant malien
      âgé de 50 ans faisant l’objet de deux interdictions du territoire ». Calme
      dans un premier temps, l’homme se serait ensuite montré « surexcité »,
      ameutant les passagers, « assénant un coup de tête et mordant l’un des trois
      policiers qui l’escortaient si bien que la PAF a dû intervenir pour prêter
      main-forte à l’escorte ». Pris d’un malaise, le Malien aurait ensuite été
      débarqué de l’avion et examiné par un médecin qui a jugé son état compatible
      avec un placement en garde à vue. Sous le coup d’une plainte pour
      « opposition à une mesure d’éloignement, refus d’embarquement et coups et
      blessures contre un policier », il sera jugé aujourd’hui en comparution
      immédiate.
      Face à la multiplication des poursuites contre des citoyens ayant tenté de
      s’opposer à l’expulsion de sans-papiers, les animateurs du RESF ­ qui
      défendent les parents sans papiers d’enfants scolarisés ­ ont annoncé la
      création d’un collectif de « défense coordonnée des victimes de la
      criminalisation de la solidarité ».