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L’Académie des sciences dénonce l’inadaptation du modèle français de recherche...

Publie le mercredi 14 avril 2004 par Open-Publishing

L’Académie des sciences dénonce l’inadaptation du modèle français de recherche
et prône une refonte totale

Dans un avis qui sera rendu public fin avril, ses membres proposent de
transformer les rapports entre les organismes et les universités, les statuts
des personnels et les méthodes d’évaluation.

La recherche française est "en crise" et doit être réformée de "façon urgente"
pour éviter de voir se creuser un "fossé irréversible" avec les autres grands
pays. Ces réformes devront déboucher sur une refondation du modèle français.
Telles sont les grandes lignes de l’avis que l’Académie des sciences devrait
rendre public fin avril après l’avoir transmis au président de la République,
Jacques Chirac, et au ministre de l’éducation nationale, François Fillon.

Dans une version provisoire de ce texte, dont Le Monde s’est procuré une copie,
l’Académie émet une série de propositions conduisant à une transformation en
profondeur des rapports entre organismes et universités, du statut des
personnels et des méthodes d’évaluation de leurs travaux. Ces conclusions sont
distinctes du travail commencé par le comité d’initiative et de proposition
(CIP), conduit par le président et le vice-président de l’Académie des sciences,
Etienne-Emile Baulieu et Edouard Brézin (Le Monde du 5 avril).

Le constat est sévère. La plupart des indicateurs (nombre de brevets et de
publications, taux de citations) concordent pour témoigner de la "régression"
française vis-à-vis des autres pays européens et des Etats-Unis. Cette situation
"alarmante" résulte de l’insuffisance des financements mais également de
l’inadaptation du modèle français, caractérisé par la rigidité des statuts et la
coexistence des universités et des organismes de recherche (CNRS, Inserm, CEA...).

Face à ces carences, l’Académie plaide pour un rapprochement entre
universitaires et chercheurs qui pourrait déboucher "progressivement" sur la
création d’un statut unique. Dans ce schéma, "un pourcentage élevé" des jeunes
chercheurs pourrait être recruté sur des postes d’universitaires. Après
évaluation de leur projet et de leurs "qualités", ils seraient détachés vers des
activités de recherche, renouvelées tous les cinq ans en fonction de "la qualité
de la production scientifique".

DÉCHARGES D’ENSEIGNEMENT

Cette réforme s’accompagnerait d’une refonte des carrières. L’Académie ne
condamne pas le bénéfice - pour trois quarts des chercheurs et
enseignants-chercheurs - du statut de fonctionnaire, qui "fournit en théorie, et
souvent dans la pratique, une opportunité unique de mener des recherches
originales, en dehors des pressions alimentaires associées à la menace
permanente de la perte de l’emploi, de la fonction ou du financement des
recherches".

Mais l’institution critique les "effets néfastes" d’un "système poussé à
l’extrême". Elle propose de différencier les rémunérations selon la qualité des
recherches et d’accorder des décharges d’enseignement pour les universitaires
directeurs de thèses, participant à des jurys ou à des instances d’évaluation.
Les jeunes enseignants "les plus prometteurs et originaux" pourraient également
obtenir des moyens spécifiques pour "leur donner toutes leurs chances à l’âge de
leur meilleure productivité".

Cette transformation suppose une amélioration significative des méthodes
d’évaluation des travaux scientifiques. Considérant que celles-ci ne sont pas
suffisamment rigoureuses et internationales, l’Académie suggère de créer des
"commissions ad hoc" non renouvelables, composées de chercheurs "sélectionnés
sur leur seule valeur scientifique".

L’évaluation aurait beaucoup plus de conséquences sur les personnels eux-mêmes.
Ceux qui se trouvent "en difficulté" pourraient être amenés à changer
d’activité. "Il arrive malheureusement que la motivation pour la recherche ou
l’aptitude à rester compétitif s’émousse avec l’âge", constate en effet
l’Académie. "Notre pays n’a plus les moyens de continuer à supporter la charge
de fonctionnement de ces personnels, même si beaucoup d’entre eux n’ont pas
démérité", affirme-t-elle en revendiquant une vision élitiste de la recherche.
Elle suggère de proposer à ces personnels des "passerelles attractives" vers
d’autres métiers plus ou moins proches de leur métier d’origine.

Selon l’Académie, la structure et l’organisation de la recherche doivent aussi
évoluer de façon radicale. "Le rapprochement de certains organismes doit être
encouragé au-delà de ce qui existe déjà", assure-t-elle, en citant l’hypothèse
d’une fusion de l’Inserm, des sciences de la vie du CNRS et de la division
biologie du Centre de l’énergie atomique (CEA). A l’intérieur de ces organismes,
elle suggère de revoir la répartition des moyens, héritée selon elle des années
1950 et aujourd’hui inadaptée. Cette volonté de réforme concernerait aussi les
universités. L’Académie insiste en effet sur l’"hétérogénéité" du monde
universitaire en matière de recherche : 75 % des crédits versés par le CNRS aux
universités concernent seulement 15 % d’entre elles. Une façon indirecte de
souligner que, sur les 88 universités françaises, seule une douzaine d’entre
elles sont réellement performantes en matière de recherche.

Luc Bronner

M. d’Aubert : "Pas d’idées préconçues"

François d’Aubert, ministre délégué à la recherche, explique qu’il n’a " pas
d’idées préconçues sur les réformes à mener", dans un entretien publié dans Le
Figaromardi 13 avril. Il souligne que sa démarche se veut "avant tout
pragmatique" car il souhaite être le plus efficace et affirme que " la recherche
n’est pas une charge budgétaire mais un investissement productif et valorisant
pour la nation".

" Si on sort des modèles idéologiques et des corporatismes des uns et des
autres, que l’on cherche à tous les niveaux d’excellence, je pense que l’on
arrivera à un corps de propositions sur lequel se construira un large consensus,
précise le ministre. J’ai la conviction que la future loi sera une coproduction
des chercheurs et du gouvernement."

LE MONDE