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Présentation de la nouvelle constitution bolivienne

Publie le lundi 14 janvier 2008 par Open-Publishing
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Le 9 décembre dernier l’assemblée constituante de Bolivie adoptait une nouvelle constitution qui devait encore être soumise au peuple au mois de mars, mais les problèmes commencent déjà, notamment sur la question de l’autonomie. D’autres s’étaient déjà posés pendant les délibérations de l’assemblée constituante puisque le MAS (Movimiento al socialismo) ne possédait pas les deux tiers nécessaires pour l’adoption des articles. Toujours est-il qu’aujourd’hui la nouvelle constitution et n’a plus qu’à être soumis à l’approbation du peuple. En voila une brève présentation.

Droits indigènes

Evo Morales arrivé à la présidence, il était évident que les indigènes allaient se voir octroyer des droits qui leur permettront de retrouver une dignité pour ne plus subir la domination des blancs. A ce titre, et quel meilleur symbole que l’actuel président et ancien leader cocalero, l’article 384, qui protège la culture de la coca et la considère comme appartenant au patrimoine culturel de la Bolivie n’est rien d’autre que le résultat des luttes passées pour qu’on cesse de considérer cette plante comme une drogue. Mais c’est loin d’être l’unique avancée en faveur d’indigènes, cette constitution visant à remettre chacun sur un pied d’égalité. Ainsi, en plus du castillan, pas moins de trente-six langues indigènes sont reconnues comme langue d’Etat. De même chaque gouvernement départemental devra utiliser au moins deux langues officielles dont le castillan (art 5) et tout procès devra se faire en la présence d’un interprète si nécessaire (art 121-II).

La constitution reconnaît surtout le droit, pour les populations indigènes, de pouvoir gérer eux-mêmes certains domaines de leur vie tel que leur forme de développement économique et culturel, leur éducation, la gestion des ressources naturelles ou encore leurs propres modes d’habitation (art 305), tout cela dans le but respecter leur identité. De même, les populations indigènes devront être consultées par l’intermédiaire de leurs institutions « chaque fois que sont prévues des mesures législatives ou administratives susceptibles de les concerner » (art 30-II-15) Enfin la constitution crée des circonscriptions spéciales indigènes « où ne devront pas être considérés comme critères la densité de la population, les limites départementales ou la continuité géographique » (art 149-II). Pourtant, malgré toutes ces mesures, on ne peut parler de privilèges pour les populations indigènes. Cette constitution ne fait que prendre en compte la culture de ces personnes tout en leur garantissant des droits qu’elles pouvaient posséder auparavant mais qui n’étaient jamais respectés.

Droits fondamentaux

Plusieurs droits fondamentaux sont garantis par la nouvelle constitution. Ainsi l’article 20-I garantit « l’accès universel et équitable à l’eau potable (rappelé aussi dans l’article 373-I), au service d’égout, à l’électricité, au gaz, au service du courrier et aux télécommunications ». L’article 37 garantit le droit à la santé, domaine qui, précise l’article suivant, ne pourra en aucun cas être privatisé. Un des droits les plus importants sera assurément celui de l’éducation. La constitution en fait un des éléments essentiels du futur état bolivien et de la politique du MAS affirmant par exemple qu’un des buts de l’éducation est « le renforcement de la conscience critique » (art 80-I). Par contre l’Etat n’a plus le monopole de l’éducation à partir du supérieur et accepte même les investissements privés (art 92-I). Ainsi l’école sera gratuite jusqu’au niveau supérieur. Toutefois l’Etat s’engage à appuyer financièrement les élèves dont les possibilités financières sont les plus faibles.

Institutions

Les institutions vont connaître de grands changements en cas d’adoption de la constitution. Les parlementaires ne bénéficieront pas de l’immunité (art 153) et ne pourront percevoir une autre source de revenu (art 159-I-2). Quant aux ministres, ils ne pourront être ni actionnaire ni membre d’une entreprise qui possède des intérêts opposés à ceux de l’état (art 177) et ils pourront être démis de leur fonction s’ils obtiennent au moins deux tiers des voix de l’Assemblée contre eux (art 159-I-18). Enfin, d’une manière plus générale le cumul des mandats est interdit (art 213) et toute personne élue pourra être exposée à un référendum révocatoire à la moitié de son mandat si au moins 15 % de la population le demande.

En plus de ces mesures qui concernent directement les personnes élues, deux nouvelles institutions vont voir le jour. La première est la procuraduria general del estado destiné à promouvoir et défendre les intérêts du peuple (art 230). Cette institution est notamment chargée de recevoir les plaintes des citoyens si ceux-ci considèrent qu’une mesure a été prise à l’encontre des intérêts de l’Etat. La seconde institution est la defensoria del pueblo. Cette organisation, indépendante de l’Etat, est censée vérifier que les droits des citoyens soient réellement accomplis (art 219). Elle pourra enquêter sur la violation de droits, émettre des censures en cas de non-respect des et ses activités ne pourront jamais être suspendues, même si l’état d’exception est proclamé (art 223).

Politique économique

La nouvelle constitution reconnaît quatre formes d’organisations économiques : communautaire, étatique, privée et coopérative (art 307-II). Et « toute activité économique [devra] participer au renforcement de la souveraineté économique du pays » (art 313-I). Cette idée de souveraineté économique est reprise dans plusieurs articles de la constitution. Il faut dire que les politiques néolibérales de ces deux dernières décennies n’ont pas permis à la Bolivie de profiter pleinement de ses ressources. Ainsi les oligopoles et les monopoles privés sont interdits (art 315), de même que toute « accumulation privée de pouvoir économique » si « elle met en danger la souveraineté économique de l’Etat » (art 313-I). Il est aussi précisé qu’ « on ne pourra octroyer à des états ou entreprises étrangers des conditions plus favorables qu’à des boliviens » (art-320-III).

Enfin, et c’est sûrement un des articles les plus marquants de cette constitution, seront considérés comme traître à la patrie, ceux qui réaliseront « l’aliénation des ressources naturelles propriété de l’état bolivien en faveur d’entreprises, de personnes ou d’états étrangers » (art 125-I-2). Ce renforcement de la souveraineté économique national se fera aussi au niveau international puisque l’Etat ne se laissera imposer quoi que ce soit « de la part d’états, de banques ou d’institutions financières boliviennes ou étrangères, ni d’entreprises transnationales » (art 320-IV). On a pu déjà voir un aspect de cette politique le 2 mai 2007 lorsque la Bolivie a quitté le CIRDI (Centre international de règlement des différends liés à l’investissement) avec lequel elle se trouvait en conflit. On retrouve donc, encore une fois, le fruit des luttes du passé, notamment aux guerres de l’eau et du gaz auxquelles la constitution faite explicitement référence dans son préambule.

Enfin, tout un chapitre de la constitution est consacré à la question de la terre. Ainsi, la petite propriété, qui sera indivisible jusqu’à une surface minimale définie selon son emplacement géographique (art 399), ne sera pas soumise à l’impôt sur la propriété agraire (art 394-II). Mais la question épineuse porte évidemment sur la grande propriété. Si le texte précise que « le travail est la source fondamentale pour l’acquisition et la conservation de la propriété de la terre » (art 397-I) les propriétaires de terres ne pourront conserver leur bien seulement si celle-ci exerce une fonction sociale. Qu’entend-on par fonction sociale ? Pour l’accomplir, le propriétaire devra fournir ses terres à des personnes de telle sorte qu’elle constitue « la source de subsistance, de bien-être et de développement » (art 397-II) de ceux qui la travaillent. Que se passe-t-il s’il n’en est pas ainsi. La constitution prévoit tout simplement que la terre soit redistribuée (art 400). Pour autant le latifundio sera bel et bien interdit, même si, aujourd’hui, la surface pour le définir reste encore a être choisi entre 5000 et 10000 hectares (art 398)

En ce qui concerne les droits du travail deux articles ressortent : celui sur la protection des dirigeants syndicaux (art 51-VII) et celui sur la possibilité de la remise en marche par les travailleurs des usines en faillite. Evo Morales ayant été lui-même dirigeant syndicaliste, les mesures visant à protéger ces derniers n’ont rien d’étonnantes. Ainsi il sera interdit de les licencier durant l’année suivant leur mandat et ceux-ci ne pourront pas être privés de liberté pour leurs activités.

Sur la question de la réactivation des usines, celle-ci pourra se faire ne cas de faillite de liquidation, de fermeture ou d’abandon injustifié de l’entreprise. Qui plus est l’Etat pourra participer à cette reprise en main (art 54-VII). Cet article n’est pas sans rappelé la constitution du Venezuela où de nombreuses entreprises ont déjà été reprises par les travailleurs.

Politique internationale

La politique internationale prônée s’articule autour de trois axes : le renforcement de la souveraineté nationale, la solidarité et le contrôle citoyen. En effet, est interdit l’installation de bases militaires étrangères sur le territoire bolivien (art 10-III) et l’état bolivien garantira le droit d’asile tout en favorisant le regroupement familial (art 29). L’article 256 définit, lui, les valeurs sur lesquelles doivent se fonder la ratification des traités internationaux. On y retrouve la « non-intervention dans les affaires internes » (art 256-I), « la défense de la biodiversité » (art 256-7), la défense de la souveraineté alimentaire (art 256-8) ou encore l’ « accès de toute la population à tous les médicaments, et spécialement aux génériques » (art 256-10). Mais l’aspect le plus original semble bien reposer sur le fait que le peuple aura un regard non négligeable sur la signature de ces traités.

En effet, les traités internationaux devront être soumis par référendum quand ils concernent des questions limitrophes, une intégration économique ou monétaire, ou encore l’abandon de compétences de l’état à des organisations internationales ou supranationales. Sur les autres questions, un référendum pourra aussi être convoqué à la demande de 5 % de la population ou 35 % de l’Assemblée législative (art 260-I). On sait que la décision d’imposer un nouvel impôt en 2003, mesure préconisée par le FMI, avait été largement responsable des révoltes qui entraînèrent la démission de l’ancien président Gonzalo Sanchez de Lozada, et du même coup, la preuve que les décisions prises au niveau international se font souvent à l’encontre de l’opinion du peuple.

Ecologie

La nouvelle constitution contient de nombreuses références à la protection de l’environnement et en fait sans doute l’une des plus avancées dans ce domaine. Ainsi l’article 342 élève au rang de devoir de l’état et de la population la conservation et la protection des ressources naturelles et de la biodiversité. L’importance de la nature se reflète dans l’article 112 qui rend les délits contre l’environnement imprescriptibles au même titre, par exemple, que les génocides. Les entreprises, notamment, seront donc amenés à se responsabiliser et ne pourront plus polluer délibérément comme cela se fait toujours dans bien des pays pauvres. Ce principe est érigé de manière générale dans l’article 313-III qui oblige « toutes les formes d’organisations économiques [à] protéger l’environnement ». La constitution se fait plus précise par la suite : « la fabrication et l’utilisation d’armes chimiques, biologiques ou nucléaires sur le territoire bolivien » est ainsi interdite (art 344-I). De même, il est considéré que quiconque réalisera des activités ayant un impact sur l’environnement devra mettre en œuvre des mesures pour en empêcher les effets nuisibles (art 347-II).

Et, alors même qu’en France la question des transgéniques est en plein débat, l’article 408, lui, « interdit la production, l’importation et la commercialisation d’OGM ». Pour mener à bien ces mesures, l’état bolivien pourra s’appuyer sur l’article 383 qui lui permet de prendre « des mesures de restrictions partielles ou totales, temporelles ou définitives sur l’extraction de ressources », mesures devant viser à la sauvegarde et préservation des espèces en voie de disparition. Mais l’état n’est pas le seul garant de la protection de l’environnement puisque l’article 34 offre à chacun le droit de mener une action en justice pour défendre l’environnement. Toutes ces mesures montrent la volonté de l’Assemblée Constituante de faire valoir les enjeux écologiques avant les enjeux économiques tout en offrant de nombreux outils juridiques pour parvenir à ces fins.

Ce texte, si il reste encore à être adopté, s’avère donc être le résultat de nombreuses luttes sociales qui ont su se concrétiser politiquement par l’élection d’Evo Morales, dans un premier temps, puis, par cette nouvelle constitution. Si celle-ci est adoptée, la Bolivie s’apprête à vivre un grand changement comme ce fut le cas au Venezuela et comme cela est en train d’être ébauché en Equateur où le président Correa a déjà obtenu une large majorité lors de l’élection de l’Assemblée Constituante. Il ne reste plus qu’au peuple bolivien de faire son choix

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