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... & BASTA !

Publie le samedi 19 avril 2003 par Open-Publishing

Texte d’une brochure réalisée par le couvent des frères dominicains de Montpellier à la suite d’un débat interne à la pentecôte 95 sur le questionnement que leur posait la campagne de débaptisation.

... & BASTA !

Dimanche 11 juin 1995

Echange animé par le frère Jacques Martin

Texte : Ac 17, 16-34
Chant d’entrée : Le temps des cerises (J-Bte Clément, 1866)

PROPOS :
Comment réagissez-vous au texte suivant, récemment affiché sur les murs de notre ville ?

Parce que les cathos traditionnalistes, le Vatican, l’Opus Dei, les antiathées, le F.N. et ses séides, les suppôts du crapaud de Nazareth, les moralistes, les fanatiques de l’AGRIF, les bigots, les commandos anti IVG, les pélerins, les fondamentalistes, l’église universelle, les bien pensants, les guérisseurs, les prophètes, les télé évangélistes, les missionnaires en position, le sacré, les sectes, les interdits sur la capote, les adorateurs de la Vierge, les klannistes, les miraculés, les possédés, le soutien de l’église aux dictatures, les extrémistes, qu’ils soient islamistes, catholiques, juifs, orthodoxes, parpaillots...
... contre tous ces déguisés qui nous racontent des conneries, qui profitent de notre peur, de notre ignorance, de notre faiblesse, de notre besoin d’espérer et de croire, nous les brisent depuis une éternité :

DEBAPTISONS-NOUS
NI DIEU, NI MAITRE, NI PAPE & BASTA !

On trouvera ci-après la transcription de l’échange de dimanche 11 heures, enrichie de quelques Notes et précisions.
J.M.

 J’ai trouvé ce texte intéressant dans la mesure où il exprime un cri, qui peut paraître anarchiste dans un premier temps mais qui est en fait un appel à la vigilance devant la médiatisation qui déferle partout et qui nous soumet à beaucoup de précarité, de fragilité. Nous sommes au 21ième siècle, au milieu de messages de toutes sortes, bons, mauvais, extravagants etc. Et donc, en tant que chrétiens, nous devons être plus authentiques et vigilants, avoir l’Evangile en nous, pour faire la part des choses...

 Une grande partie du document réagit contre des interdits. Malheureusement, la chose que les religions font surtout apparaître, c’est l’interdit ! Et nous ne sommes pas tellement à l’aise d’avoir à transporter sur notre dos cette image-là. (1)

*

 Je trouve le texte très destructurant, puisqu’il démolit, il déstabilise, il met à bas une série de choses. En soi, ce n’est pas sain. Mais à nous de voir ce que nous en tirons de bien. Et je trouve intéressant que malgré tout ce qui nous est dit dans la première partie, à deux lignes de la fin ils clament leur besoin d’espérer et de croire. Je crois que c’est important.

 En effet. Il est douloureux d’entendre d’une part un refus des interdits dont nous disons qu’ils masquent la Réalité chrétienne ; et d’autre part une affirmation du besoin d’espérer et de croire dont les auteurs ont le sentiment qu’on l’exploite de manière pas très honnête. Cette tension donne au texte quelque chose de pathétique.

*

 Par rapport au message relativement ancien de l’athéisme des Lumières et puis de la Fédération anarchiste, j’ai été interloqué par le mot d’ordre Débaptisons-nous !. Ce point-là est nouveau, c’est une consigne orientée vers une communauté de baptisés. J’en suis davantage préoccupé que du reste...

 C’est en effet ce qui m’a accroché d’abord. Le caractère ancien de certaines thèses n’est certes pas un motif suffisant de rejet. Leur permanence montre qu’elles continuent à travailler certaines personnes, qu’elles représentent une constante du paysage religieux et idéologique. Mais on propose un passage à l’acte qui constitue une étonnante nouveauté.

 Il s’agit de renier sa formation, sa culture... Mais alors pour espérer quoi ? en qui ? puisqu’on dit ni Dieu ni maître, ni pape !

 Mais ces propos sont homogènes à ce qui vient d’être signalé. On rejette le Dieu de l’interdit - qui n’est pas celui de l’Evangile, bien sûr, mais celui qui est habituellement enseigné et donc perçu et imaginé par beaucoup de gens autour de nous. Il y a là un malentendu colossal mais qui fait partie de la situation présente.

 Pourtant cela se termine par un rejet total !

 Oui, parce que le Dieu père Fouettard ne peut pas répondre au désir de l’homme. L’ensemble des réalités dénoncées par le texte empêchent de découvrir le Dieu véritable, celui que les chrétiens désignent en principe mais qui se trouve en fait généralement occulté.

 On parle cependant de l’église universelle, mais pour la rejeter elle aussi.

 Sauf que l’église universelle n’a pas le même sens pour vous et pour eux. Ils rejettent la prétention hégémonique et autoritaire. Rendons-nous compte que les mots que nous employons sonnent tout autrement aux oreilles de ceux qui ne partagent pas notre intimité. Tout un langage qui nous est familier dit des choses fort différentes aux auditeurs non prévenus...

*

 Je vois dans la fin du texte l’expression d’une espérance en l’homme, qui sera libéré de tous les interdits, de toutes ses croyances perverses. C’est très cohérent avec l’athéisme.

 L’espérance d’un homme libre de tous interdits, celle d’une transparence totale, d’un autogouvernement des individus et des groupes par eux-mêmes , d’une solidarité qui permette l’épanouissement individuel, d’un monde dans lequel on n’aurait plus besoin de recourir à l’autorité parce que les uns et les autres seraient au service du bien commun : c’est là une UTOPIE qui n’est certes pas éloignée de celle du Royaume de Dieu, du Dieu tout en tous de saint Paul ! Je lis ici une ambiguïté très palpitante.

*

 On pourrait rebondir à présent sur ce qui existe depuis le début du monde : l’ignorance, la faiblesse, le besoin d’espérer et de croire ; et aussi le mot éternité. Mais je voudrais d’abord qu’on règle le problème du débaptisons-nous qui est vraiment un mot d’ordre, un appel à des gens baptisés. Renvoyez votre acte de baptême, comme on renvoie son livret militaire ou sa carte d’électeur ! Il y a une position à prendre sur ce point.

 Oui. J’ai écrit et demandé mon dossier de débaptisation. J’ai reçu, en réponse, des documents qui m’expliquent qu’il suffit d’adresser deux lettres (recommandées si nécessaire) : l’une au curé de la paroisse dans laquelle on a été baptisé ; l’autre à l’évêché du même lieu. Ceci afin de demander sa radiation du registre des baptêmes. A l’appui de cela, il y a le fait que la loi française permet désormais à toute personne d’exiger que son nom soit retiré d’un fichier, de même qu’il est interdit aux organisations de maintenir en leur sein quelqu’un contre son gré. Et la presse nous apprend qu’à la suite de cette campagne, une centaine de montpelliérains ont ainsi demandé l’annulation de leur baptême.
Je suis tenté de dire que ces gens qui se veulent libres ont en réalité des flics dans la tête, en ce sens qu’ils ont été éduqués dans l’idée que le baptême ( des petits enfants, en l’occurrence ), vous fait automatiquement membres de l’Eglise. Ils auraient pu s’en moquer totalement ; or ils considèrent qu’ils appartiennent à l’Association du fait qu’ils ont été inscrits sur le registre. D’où l’idée - peut-être féconde - de réagir à un moment donné, de se faire radier, pour dire qu’on ne veut pas être solidaire de l’ensemble des réalités dénoncées dans le papier.

 Cela aussi m’a frappé. Il y a là un paradoxe, car au discours anarchiste traditionnel s’ajoute quelque chose d’actif. Nous avons affaire à un anarchiste qui pose un acte positif. C’est plutôt bien en soi, même si c’est gênant de notre côté à nous, qui le prenons négativement alors que c’est franchement positif pour celui qui le fait.

 Les auteurs sont en effet des gens très actifs. J’ai également reçu de leur part cinquante propositions pour la ville de Montpellier qui sont loin d’être stupides et entendent répondre à un certain nombre de problèmes parfaitement analysés. On aimerait que la plupart des membres de nos assemblées fassent le même genre de réflexion et d’imagination. Ces militants ont par exemple obtenu la gratuité des transports publics pour les chômeurs, et ils en sont légitimement très fiers. Ils vont donc tout à fait dans le sens que vous dites. D’ailleurs, après avoir exprimé leur souci d’une pratique sociale antiautoritaire, ou celui d’aller à l’encontre d’un sentiment diffus d’impuissance, ils ajoutent : Le dire, c’est bien. Se battre pied à pied, c’est mieux. Gagner de nouveaux espaces de liberté, c’est encore mieux. Le passage à l’acte en matière de débaptisation est par conséquent parfaitement cohérent. Il me semble que nous ne pouvons pas être insensibles à ce souci actif de faire advenir un certain monde de liberté... (2)
Je me demandais, du coup, si l’on ne pourrait pas instituer une procédure selon laquelle les gens qui ont été baptisés enfants seraient invités, à 18 ou 20 ans, à choisir personnellement : soit confirmez votre baptême, soit demandez votre débaptisation ! Ce serait peut-être mieux que d’avoir affaire à un peuple qui ne se pose pas de questions et continue à se considérer catholique en vertu de la vitesse acquise, permettant à l’épiscopat d’agir comme un groupe de pression au nom d’un pourcentage assez élevé de baptisés qui, en réalité, ne représente pas grand chose. (3)

 Pourquoi ne pas supprimer simplement le baptême des petits enfants en laissant à chacun le choix ? Il y a là un cri de révolte que nous devons prendre au sérieux.

 La question n’est pas celle du maintien ou du refus du baptême des nourrissons car la grande Tradition chrétienne par l’initiation, laquelle est un processus étalé dans le temps, dont ce baptême-là constitue la première étape mais qui doit aboutir à une authentique confirmation, à la ratification personnelle adulte. ( Ceci n’empêche pas l’accès de personnes, proportionnellement de plus en plus nombreuses, au baptême des adultes ). A condition, bien entendu, que la confirmation n’intervienne pas sous la pression de la famille ou de l’institution, ce qui, quoi qu’on en dise, est encore aujourd’hui le cas le plus fréquent. Car le système fonctionne toujours, on confirme en seconde et non plus en sixième, on fait preuve d’un faux libéralisme, mais l’Eglise n’accepte que difficilement de prendre le risque de la liberté de la foi, en sorte qu’il n’est pas surprenant d’entendre protester les libertaires.
Il y a donc tout lieu de penser que la demande de débaptisation est une démarche certes négative, une confirmation inversée, mais qui traduit chez l’intéressé une prise de conscience, une honnêteté intellectuelle qui peut être, dans certains cas, le premier pas d’une découverte de foi, lorsqu’un authentique témoin se trouve par grâce sur le chemin d’une personne aussi exigeante...

*

 Pour moi, ce texte est percutant et en même temps me fait réfléchir. Il provoque une prise de conscience que j’accueille avec beaucoup de sérieux.

*

 Je pense à l’expression suppôt du crapaud de Nazareth. C’est la chose qui m’a fait un petit peu mal, alors j’ai réfléchi. Suppôt veut dire au-dessous ; or Jésus ne s’est jamais mis au-dessous, il a toujours été avec, Emmanuel Dieu-avec-nous. Mais le crapaud coasse : or Jésus a parlé, tous ses gestes et ses actes ont été accompagnés de paroles libératrices ; il a parlé à temps et à contretemps. Et je pense au poème de Hugo, intitulé Le crapaud, où un homme vieux, une femme belle, des passants méchants, indifférents, des gosses cruels, défigurent et martyrisent, jettent des pierres sur un pauvre crapaud qui veut traverser la route. Et voilà qu’un âne descend la côte, chargé à fond, sous les coups de fouet de son maître ; et quand il voit le pauvre être misérable que l’on va achever avec un pavé jeté par un petit gamin, il fait un détour au prix de gros efforts pour épargner la pauvre bête. Générosité entre êtres misérables aussi pitoyables l’un que l’autre ! Jésus était vraiment crapaud, bafoué, flagellé, crucifié sur le bois, et seul le larron a eu une prière vers lui, disant sa confiance. Alors, suppôt du crapaud de Nazareth, ce n’est peut-être pas si mal !

 Sans doute s’agit-il d’abord d’une sorte d’allitération, le mot suppôt appelant crapaud...! Mais poème pour poème, j’en ai reçu un, de Jules Renard, adressé par un ami en vue de cet échange et que je dois vous transmettre ici :

Si le monde injuste le traite en lépreux, je ne crains pas de m’accroupir près de lui et d’approcher du sien mon visage d’homme.
Puis je dompterai un reste de dégoût et je te caresserai de ma main, crapaud !
On en avale dans la vie qui font plus mal au coeur.
Pourtant, hier, j’ai manqué de tact. Il fermentait et suintait, toutes ses verrues crevées.
 Mon pauvre ami, lui dis-je, je ne veux pas te faire de peine mais, Dieu ! que tu es laid !
Il ouvrit sa bouche puérile et sans dents à l’haleine chaude et me répondit, avec un léger accent anglais :
 Et toi ?

 Personnellement, j’ai pensé à la voix nocturne et lancinante du prophète de Galilée, qui retentit en dépit et en-dessous de toutes les caricatures épinglées avec raison dans le texte, et dont on ne parvient pas à se débarrasser facilement. Il appartient aux chrétiens de la répercuter et on voit bien que cela suppose une purification très considérable, tant au plan personnel que collectif. Vaste chantier à labourer en permanence !

*

 Le côté le plus positif, à mon avis, est dans les dernières lignes, cette reconnaissance qu’ils sont tout de même des hommes : Notre peur, notre ignorance, notre faiblesse, notre besoin d’espérer et de croire. Cela désole peut-être l’auteur du tract de faire cette déclaration, mais il reconnaît qu’il en est là, comme nous tous finalement.

 Oui, la peur fait partie de l’homme mais la pastorale de la peur n’a pas toujours disparu de la pratique de l’Eglise !

 Il est très positif de reconnaître ainsi la condition humaine.

 Sans doute, mais dans le même temps ils reprochent à l’institution de profiter de cette situation existentielle pour inculquer, comme on dit, un certain message.
A ce propos, je ne résiste pas au désir de vous communiquer le billet suivant qui, dans une rencontre, m’a été adressé par un garçon de Terminale. Il s’agit d’un élève d’établissement privé de la région, lycée doté du caractère propre des écoles catholiques, du label de l’épiscopat :

Quelle différence faites-vous entre la religion chrétienne et le nazisme ; j’entends par là, tout le cheminement pour arriver à croire en quelque chose d’abstrait qui a pour seul but : le contrôle des gens ; quelle différence donc, à part

Jésus Xt = amour, vie
Hitler = haine, mort

JC Hitler
On prend un enfant à 4 ans,
durant 10 ans on lui raconte la même chose,
à 14 ans, il y croit dur comme fer

15 ans 15 ans

La question porte sur l’absorption de la religion. Je parle de lavage de cerveau que l’on applique à des enfants de 4-5 ans en les envoyant au catéchisme.
Mais il est vrai que le catholicisme est un grand commerce, il faut pas en dire du mal.
J.-M. B.

Comment n’aurais-je pu abonder dans son sens ? Mais lorsque après l’avoir fait et expliqué pourquoi, je lui ai parlé de l’appel évangélique, quelque chose s’est allumé dans son regard. Un peu plus tard, la cloche ayant retenti, tous ont détalé comme des lapins. Alors il est venu me serrer la main, avec un grand sourire et j’ai su que quelque part la parole l’avait rejoint...
Ainsi voyons-nous aujourd’hui de plus en plus de jeunes devenir conscients de ce qu’une certaine manière de faire est réellement abusive et qu’on profite de leur peur, de leur vulnérabilité. Nous sommes particulièrement à l’aise pour entendre cette protestation puisque Vatican II a déclaré, je le rappelle, dans son texte sur la liberté religieuse : La vérité ne s’impose que par la force de la vérité elle-même qui pénètre l’esprit avec autant de douceur que de puissance (n.1). Et encore : Dans la propagation de la foi et l’introduction des pratiques religieuses, on doit toujours s’abstenir de toutes formes d’agissement ayant un relent de coercition, de persuasion malhonnête ou peu loyale, surtout s’il s’agit de gens sans culture ou sans ressources (n.4). Sans doute sommes-nous souvent encore fort éloignés d’une rigoureuse mise en pratique de ces principes.

*

 Le texte ne me paraît pas positif. Il est tout à fait en contradiction avec lui-même. Car c’est un appel à la libération qui débouche sur un slogan : Débaptisons-nous !

 On peut effectivement formuler bien des critiques ou refuser d’entendre ce qui est dit. On peut également prêter l’oreille, se laisser interroger, sans forcément majorer un tel document. N’enfermons pas notre regard dans la seule assemblée chrétienne, sachons voir aussi ce qui est écrit sur les murs. Le souci des gens dits du dehors, l’accueil de leur protestation, doivent animer notre façon de réfléchir, de célébrer, de nous exprimer. L’Eglise est-elle relative à l’incroyance, aux hommes et femmes de son temps, ou relative à son propre nombril ? La générosité manifestée par nos interlocuteurs de ce matin montre qu’ils devraient être fondamentalement réceptifs à la Parole chrétienne. Ils ne la perçoivent même pas, en raison d’une certaine image. J’éprouve douloureusement cette situation, cette fracture...

 Le texte rejette en fait ce que l’homme a fait de la Parole de foi. Le fond, ils n’en parlent pas, ils ne rejettent pas la Parole mais seulement ce qu’on en a fait, les interdits séculaires etc....

 Tout cela me fait penser à la distinction qu’opère Marcel Légaut entre religion d’appel et religion d’autorité ( et Bergson, semblablement, entre religion ouverte et religion fermée ). Il y a des religions d’autorité, qui s’enseignent comme le nom l’indique, inspirent des structures politiques, visent à embrigader les gens en les dispensant de réfléchir. Elles remplissent souvent une utile fonction sociale, psychologique, sécurisante, et sont essentiellement conservatrices. Ce qui ne les empêche pas d’être parfois porteuses de quelque chose d’autre. Mais elles sont de nos jours irrémédiablement condamnées à disparaître, en raison de l’évolution du monde et de la culture, de la sécularisation et de la planétisation. Et puis il y a les religions d’appel. Nées de l’accueil du témoignage, elles s’adressent au plus profond de l’homme, à son coeur, à sa liberté, pour l’inviter à se tenir debout, à s’épanouir, à devenir autre, et cela de manière aussi légère que possible au plan institutionnel. C’est le type d’appel que nous essayons de faire retentir dans la prédication, car la foi chrétienne n’est pas, fondamentalement, une religion d’autorité. Le conflit entre ces deux formes de religion me semble sous-jacent à notre texte. Des gens de tradition libertaire, anarchiste, ne peuvent pas accepter la religion d’autorité que le christianisme est souvent devenu par accident historique. Mais on peut les croire du coup extrèmement sensibles et perméables à la religion d’appel, à condition que l’autorité ne constitue pas un obstacle trop infranchissable à l’appel. Là est le drame, là est la difficulté, là doit se situer notre prise de conscience.

 Tout fonctionne souvent comme un éteignoir que l’on poserait sur une flamme !

 Mais oui. Car il est facile de se débarrasser de la protestation. C’est ainsi qu’un prêtre du Centre-Ville répond au journaliste de la Gazette, à propos de l’affiche invitant à la débaptisation. Il y voit un relent d’anticatholicisme que l’on traite par l’ignorance, à défaut de mépris.
Le catholicisme se porte donc solidaire des diverses organisations ou catégories dénoncées par les auteurs du panneau mural ? Prenons-en acte volontiers. (4)
Où voyons-nous l’apôtre Paul professer à l’égard de ses contemporains, même s’ils sont ses adversaires, l’indifférence ou le mépris ?
Mais, ajoute le prêtre du Centre-Ville, si la personne qui s’est fait débaptiser veut revenir dans l’Eglise, elle devra alors faire une profession de foi. Et, en principe, un mariage ou un enterrement à l’église deviennent impossibles. On n’impose pas nos services... Il devient clair dès lors que la simple inscription sur le registre des baptêmes dispense de profession de foi les candidats au mariage religieux ou à la célébration des funérailles ! Passe encore pour ces dernières, mais le mariage à l’église ne représente-t-il vraiment rien d’autre que le simple recours aux services d’un prêtre du Centre-Ville ? Grandiose mystification selon laquelle tout inscrit au registre est supposé croyant de l’Evangile de Jésus ! En réalité, la non-radiation des dits registres ne garantit en rien la sacramentalité du mariage, car il n’est de sacrement que de la foi. A défaut de cette dernière, le mariage religieux ne représente le plus souvent qu’une vaine pitrerie. Et en ces conditions, monsieur le curé du Centre-Ville, il est à craindre que vos services n’accroissent régulièrement les bataillons réactionnaires que l’anticatholicisme nullement primaire a toutes raisons de combattre avec la plus grande vigueur !

*

 Je vois aussi toute une partie du texte qui fait appel à la culture de l’individu et un autre fragment, avec la peur, l’ignorance, la faiblesse, davantage appel à la nature de l’être. On retombe encore dans la dialectique qui oppose toujours la nature à la culture. Or à présent, il y a beaucoup de communication entre tous les pays, toutes les cultures se mélangent, en sorte que nombre de personnes ont le plus grand mal à exprimer leur propre nature et se sentent embrigadées dans des mouvements...

 Sans doute. C’est l’une des raisons pour lesquelles Légaut pense que les religions d’autorité n’ont plus de réel avenir, elles apparaissent incapables de rassembler vraiment les gens. Mais leur absolutisme, en se crispant, devient de fait le principal obstacle aux religions d’appel...

*

 Tout ceci me semble très important. J’ai enseigné dans le public et tout au long de ma carrière j’ai eu à faire face à des discours analogues à celui qui nous occupe. Je trouve qu’il ne faut pas le prendre à la légère, car c’est le discours qu’entendent nos enfants s’ils vont à l’école laïque...

*

 La Gazette raconte que, suite à la campagne en question, monsieur le Curé de Carsan dans le Gard a reçu, de la part de Céline, une demande de débaptisation. Il répond sympathiquement par l’envoi d’une bande dessinée. On y voit une jeune fille qui dit Je ne crois pas en Dieu et un prêtre qui lui rétorque Ce n’est pas grave, Dieu croit en toi .
Certes, monsieur le Curé de Carsan dans le Gard, Dieu croit en elle, Dieu croit en tous. Il est même de logique évangélique que le Dieu de Jésus croie davantage encore en ceux qui ne sont point baptisés, ou ont voulu se faire débaptiser, qu’en ceux-là mêmes dont les noms demeurent paisiblement couchés sur les registres paroissiaux.
Mon malaise pourtant, monsieur le Curé de Carsan dans le Gard, tient en ce simple fait que vous portez le débat sur le terrain du croire en Dieu alors qu’il ne concerne manifestement que l’Eglise, je veux dire l’innombrable variété des disciples et des séides, des cathos et des suppôts. Le passage est un peu rapide et je me demande du coup si nous parlons bien du même Dieu. Car enfin, monsieur le curé de Carsan dans le Gard, le baptême ne consiste pas à croire en Dieu purement et simplement - sans quoi les musulmans seraient tous baptisés ! - mais bien à croire de tout son coeur en Dieu tripersonnel évangéliquement reconnu en Jésus de Nazareth mort et ressuscité. A charge pour l’Eglise de témoigner de ce Dieu-là, de manière crédible et sans blocage indû, sans non plus mettre entre parenthèses l’Evénement essentiel.
Quant à la vieille théorie de chrétienté selon laquelle le baptême nous constitue irrévocablement enfants de Dieu, elle ne va pas sans préciser qu’il n’est en ce bas monde de filiation authentique que celle de l’humain qui reconnaît son père, est apte à l’appeler papa. Hors cette relation singulière qui est sans confusion possible celle de la foi, seule concernée par la célébration du baptême, il faut bien dire que tout homme, toute femme venant au monde est bel et bien enfant de Dieu, au titre de la (pro)création, de la vocation à l’amour. Notre Dieu n’est pas quelqu’un qui, respectant en tous points les interdits pontificaux sur la capote, sèmerait à tous vents des enfants naturels pour les abandonner aussitôt et ne se soucierait que de constituer un petit clan privilégié d’enfants d’adoption, dûment inscrits sur le registre ! Il appelle chaque femme et chaque homme à le connaître intimement, mais de toute manière il croit en elle, il croit en lui, et point n’est besoin de baptême à cet effet. (5)

 La réaction fait penser à celle des Mormons qui établissent des listes de baptisés - lesquelles présentent d’ailleurs un intérêt généalogique extaordinaire. Mais ils ne s’interrogent nullement sur l’adhésion de fond, sur la motivation. Toutefois, le fait d’être inscrit quelque part est une mémoire pour les générations ultérieures. Et les livres de la Genèse et de l’Exode sont remplis de listes de noms...

 Il importe en effet de garder mémoire. D’autant que la Tradition chrétienne ne réitère jamais le baptême. En ce sens nul ne peut véritablement se faire débaptiser ! Il y a là quelque chose qui est de l’ordre du rattachement définitif à l’Eglise de Jésus Christ, en dépit de toutes les péripéties de l’existence. C’est une fidélité qui peut être unilatérale, la fidélité de l’Eglise à ceux qui lui ont été un jour présentés par le baptême. Mais il faut aussi se demander à quoi cela sert-il, quel système d’autorité on maintient de la sorte : Tu es baptisé, donc tu dois ! (6) Nous n’échappons pas à ces interrogations, avec la sortie accélérée de la situation de chrétienté. Il est plus aisé de tenir des listes que de vouloir l’adhésion libre et libératrice des personnes, dont on ne sait ni où elle commence ni où elle s’achève, mystère insaisissable du rapport à la Parole de foi. Ce sont bien là deux visions fort différentes du monde et de la religion.

*

 Moi, je fais une lecture du texte très positive et pleine d’espérance, car dans la caricature qui est tracée je constate que ne sont critiquées que des attitudes très individuelles et que mère Teresa est sauvegardée de cette boue, que l’abbé Pierre et le père Damien sont sauvegardés. Basta ! signifie pour moi A la grâce de Dieu, je l’entends comme un cri, comme un appel...

 Littéralement, il faudrait lire Ca suffit, Stop, il y en a assez ! Mais c’est dit de façon poétique et, après tout, libre à chacun d’y voir une proclamation d’espérance.
Reste que le témoignage personnel est vraiment essentiel et qu’il sera de plus en plus le mode principal de proposition de la foi, de communication de l’Evangile. Or on ne peut tout de même pas le séparer totalement de l’aspect collectif et institutionnel. Fatalement, il y a une visibilité. Une tension constante s’exerce en conséquence entre ces deux aspects. Le problème de la responsabilité de l’Eglise est de faire toujours en sorte que les façades et institutions soient le moins possible en contradiction avec le témoignage personnel et spirituel, qui demeure fondamental. Il y faut, comme on le disait au début, une vigilance constante et un combat effectif, qu’il nous appartient d’exercer et de conduire.

Le texte de ce matin aura été occasion, en ce temps après la Pentecôte, d’aborder de façon concrète ces questions de la crédibilité du témoignage ecclésial, du baptême, du rapport à l’incroyance et de l’annonce de la Parole. Que l’authenticité de notre vie chrétienne soit le signe pur et simple de l’appel évangélique à proclamer obstinément. Rien dans les mains, rien dans les poches, serviteurs...

... ET BASTA !

NOTES
1. Dommage qu’aucun intervenant ne nous ait expliqué pourquoi et comment il restait dans l’Eglise en dépit de tous les obstacles !

2. L’association anarchiste Vivre au Présent a signé ces affiches. Ceci explique le style provocateur. Mais je trouve que, dans leur démarche, il y a une grande cohérence et, à la limite, je pourrais signer un truc comme ça. Cette association est remarquable parce qu’on peut la rencontrer dans des combats d’aujourd’hui à Montpellier, notamment à la CRAM, avenue de Lodève, ou dans diverses luttes du genre de celle qui s’est menée autrefois à la place de la Canourgue etc. Ils ne rejettent pas du tout le spirituel, qui est vraiment pour eux très important. Je suis d’accord avec bon nombre de leurs contestations. Ils ont une soif de justice très importante, et aussi de liberté. On peut les trouver excessifs, mais je les sais prêts au dialogue et pleins d’ouverture à notre égard. Je préfère de beaucoup des gens qui signent un truc comme ça, à ceux qui disent Je m’en fous ! Ils sont beaucoup, beaucoup, beaucoup plus proches de nous et nous renvoient à quelque chose qui nous appelle dans notre rôle de porteurs de la Parole du Christ et de notre engagement de tous les jours, dans toutes les prises de risque qu’on peut avoir les uns et les autres. Effectivement, c’est un appel qui nous rejoint tous, qui nous atteint tous, de par le style un peu provocateur et aussi par l’invitation qu’il y a à la fin (19 h 30)

3. Cela m’a donné une idée ! Moi, après l’affaire Gaillot, j’ai fait la grève de la messe. Je ne connaissais pas encore les dominicains ; puis, je suis revenu ici et j’ai en quelque sorte repris une pratique. Cette grève revenait à se dire : J’aime l’Eglise et je conteste. Les gens qui demandent la débaptisation aiment l’Eglise à leur façon. Ils veulent une communauté d’hommes et de femmes autour de Jésus Christ. Si ce pouvait être utile, je suis prêt à me faire débaptiser ! (18 h 30)

4. - Depuis quelque temps, je sillonne beaucoup la France dans des milieux très différents, professionnels, non professionnels, associatifs, et je n’ai jamais vu la proportion statistique de tous les gens dont l’amalgame a été fait sur ce papier. J’ai rencontré des gens respectueux, engagés dans des tas d’actions, qui croyaient quelque part à la dignité de l’homme, et pas tout le temps en train d’adhérer à l’Opus Dei ou au F.N. Et là-dedans, il y avait un bon paquet de chrétiens. Parmi les gens qui bougent un peu dans les manifestations, si l’on fait le compte, il y a beaucoup de chrétiens...

 Moi, je trouve qu’il y a tout de même beaucoup de monde qui vient rejoindre les idées dénoncées. Voyez les pourcentages de Le Pen en France, ce n’est pas peu et je m’interroge. De même pour les commandos anti IVG, à quoi ça rime ? Or tout ceci est poussé par un mouvement moraliste et catholique, notamment aux USA. Ce qui se passe ici n’est que le reflet de ce qui arrive là-bas. Ce qui se passe en Amérique, au niveau des élections, le retour du courant raciste, les textes et projets contre les minorités noires... cela est assez affolant et arrive chez nous avec un certain décalage. De Villiers et ses thèses débordent sur les mouvements extrémistes, et pourtant ils se réclament aussi d’un courant chrétien. A mon avis, ce n’est pas peu... (19 h 30)

5. Au Lycée La Merci, le talent de l’ami Guntz a réalisé un admirable petit oratoire, rond et blanc comme cachet d’aspirine. On y trouve un matin ce billet anonyme, que je transcris littéralement :

Dieu,
Je ne connaissais pas l’existence de ta maison, dans notre Lycée, aujourd’hui je vois qu’on t’a consacré de loin la plus belle pièce, je croyai pourtant que l’on devait rester modeste devant toi.
Je suis donc rentrer dans cette pièce par erreur mais puisque j’y suis, autant en profiter, cela ne m’arrivera pas souvent dd t’écrire.
Prions ensemble pour une société meilleur, que dis-je prions ? Que la société soit meilleur, que l’inégalité entre les hommes cessent, que chaque être humain ait le droit à la parole, arrêtons de pleurer sur notre sort, et agissons sans toi surment car ton existence n’est pas certaine, mais si tu es là et que du haut de ton trône tu regardes un peu sur cette triste terre, aide nous à combattre contre l’inégalité.

Merci.
Remarquables intuitions ! Mais encore un adolescent à qui la catéchèse, ignorant tout de l’Incarnation, n’a jamais manifesté le Dieu de Jésus Christ. Il n’a de pressentiment que du Grand Surplombant, trône élevé, regard lointain. - Comme tu as bien raison de noter au passage que l’existence d’un tel dieu n’est nullement certaine ! Non, ce dieu-là n’existe pas.

6. La grâce du baptême des petits enfants tient au fait qu’il célèbre liturgiquement la naissance d’un enfant de parents chrétiens, fruit d’un amour sacramentel. Ces parents croient que de ce fait, au coeur de l’acte créateur, est offerte à l’enfant une réelle chance pour la Vie. Mais elle ne se concrétisera que si l’intéressé vient un jour, de lui-même, à rendre grâces, à reconnaître lucidement que ce fut bel et bien pour lui un apport inappréciable que d’être ainsi mis, de naissance, au contact de l’Evangile. Plusieurs se demandent toutefois si, de nos jours, le baptême des enfants représente effectivement une telle chance pour la foi ou s’il constitue au contraire un obstacle certain...

Le monde ne sera sauvé
s’il peut l’être, que par des insoumis.
Sans eux, c’en est fait de notre civilisation,
de notre culture, de ce que nous aimions
et qui donnait à notre présence sur terre
une justification secrète. Ils sont,
ces insoumis, " le sel de la terre "
et les responsables de Dieu.

André Gide