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POURQUOI J’IRAI PAS À EVIAN

Publie le mardi 6 mai 2003 par Open-Publishing
2 commentaires

mardi 6 mai 2003

Pendant que la jet’set d’extrême gauche s’apprête à

se retrouver à Evian pour le prochain anti-G 8, "sans aucun état d’âme", comme dirait Bernard Cassen, de plus en plus de personnes se posent -à juste titre- des questions sur de tels rassemblements. Voici des extraits d’un article d’une militante qui n’est pas apparentée à la CNT-AIT mais dont l’analyse, nourrie par sa participation aux précédents rassemblements, rejoint en maints points la nôtre.

Aller à Evian, plus encore qu’aller à Gênes ou Barcelone, la question est devenue un rituel dans les milieux réformistes, gauchistes, anarchistes ou anti-globalisation.

LE RITUEL

Plusieurs mois avant le déroulement du sommet G8 à Evian, la question se fait
de plus en plus lancinante. La question même, sa récurrence, indique déjà le vide de cette éventuelle présence. Qu’importe l’action qu’on va y mener, dans quel objectif, ni surtout en quoi cela s’inscrit dans une continuité de comportement ou d’action, l’important est d’être à Evian ou pas. La question se suffit à elle-même et devient vite accusatrice, voire agressive, provenant d’un militant, si l’interlocuteur ne répond pas sobrement et par l’affirmative. Pour l’essentiel des participants à cette mobilisation, cette présence devra répondre à un refus romantique de l’ordre du monde, dont le sommet du G8 symboliserait l’un des piliers. Romantique parce que ce refus provient d’un raisonnement intellectuel, d’une séduction de l’idée avant tout, d’une réduction des enjeux et des actions à une confrontation idéale. J’y reviendrai. On ne peut guère douter de la sincérité de chacun en la matière, d’une réelle volonté de compassion avec les premières victimes de cet ordre du monde. Mais il reste que cette sincérité n’amène qu’à une confrontation rituelle avec la symbolique du G8. Rituelle parce qu’elle obéit à des codes très établis, différents pour chaque groupe. Rituelle y compris dans les risques pris par les manifestants au cours des rencontres avec les forces de l’ordre. Rituelle parce qu’elle revient à intervalle régulier -quelle déception ce serait, à la fin d’un sommet, de ne pas se donner rendez-vous au prochain ! Rituelle parce qu’il y a une véritable délectation, un profond plaisir, à se retrouver quelques heures, quelques jours au plus, entre communiants d’une même utopie ; et je connais bien ce plaisir.

LA VALSE DES ICONES

La force et la présence du rituel permet d’occulter toutes les autres questions :
quel est le rôle et l’impact d’un sommet du G8, quelle devrait en être alors la réponse la plus appropriée ? Mais surtout, qu’est-ce qui, dans l’impact du G8, nous impose le rituel de la confrontation idéale 1 à 2 fois par an ? De quoi nous détourne-t-il ?

Le G8, l’OMC, les institutions de Bretton Woods (FMI, Banque mondiale), les méchantes multinationales, sont devenus nos cibles. Mais surtout, nous en avons fait nos cibles. Il y a une photo prise à Seattle pendant le blocus de l’OMC en novembre 99. Cadrée en plongée, on y voit un flic américain, caparaçonné des pieds à la tête, matraque et masque à gaz, immobile et le regard froid. A ses pieds une jeune femme est assise en tailleur, les mains jointes. Elle évoque le courage d’une résistance non-violente. Cette photo peut raconter une situation, un avant et un après. Mais nous ne voulons plus voir le hors-champ. Nous recherchons ce qui n’est plus qu’une icône, une figure idéale. Un robocop froid, bras armé de l’OMC, protecteur de l’ordre du monde. Nous lui enlevons sa réalité pour construire l’iconographie d’un combat idéal, pour nous construire un ennemi rassurant parce que conforme à nos fantasmes. Je le regrette d’autant plus que je l’ai prise, cette photo, et que je connais, là, le hors-champ.

A reproduire les rassemblements, nous ne construisons plus que ce rituel romantique et il n’y a rien à gagner ainsi contre des icônes, contre des photos, contre nous-mêmes. Ce besoin d’icônes, de figures simples du mal, de confrontation idéale, cette photo de Seattle nous détourne de l’essentiel : quel est l’état du monde qui permet la domination des institutions de Bretton Woods ? Quel est l’état du monde qui permet l’émergence des multinationales, qui ouvre à l’invention des OGM ? Quel est l’état de la société qui crée la nécessité d’un G8 ? Qu’est-ce qui fonde ces figures, quel est le hors-champ, qu’est-ce qui est derrière le spectacle et lui donne sa raison d’être ?

J’imagine que les membres des communautés noires de Colombie qui sont venus en Europe de janvier à mars 2001 pour témoigner n’ont guère besoin d’iconographier leurs oppresseurs. L’oppression existe parce qu’elle s’oppose fondamentalement à eux, parce qu’elle détruit leur mode de vie. S’ils luttent contre les multinationales pétrolières américaines, c’est qu’elles sont chaque jour criminogènes pour leur existence. Ce n’est pas notre cas. Notre vie quotidienne, largement hors sol, s’accommode assez bien de ces multinationales. Prétendre le contraire est profondément hypocrite. Et pour les combattre, par compassion avec les colombiens, dans une résistance hors sol, nous avons besoin de réduire les enjeux à de simples figures, d’en faire des icônes, de nous inscrire dans une confrontation idéale, sans réalité.

LES TROIS SOMMETS

Se retrouver à Evian, dans cette eule définition, est le rouage bien huilé d’une
démocratie médiatique ; en aucun cas le grain de sable qu’espèrent certains. Outre le sommet du G8, on y trouvera donc le "contre-sommet in", celui d’ATTAC et des grandes ONG, des réformistes, des verts et des communistes lorsqu’ils sont dans l’opposition. Ce sera celui des "propositionnels", que le véritable sommet commence à écouter dans ses requêtes les plus acceptables, c’est-à-dire les plus inoffensives. Il est certain qu’une grande porosité existe entre le sommet et le contre-sommet in", permettant aux uns et aux autres d’apprendre le vocabulaire nécessaire à la soumission ultérieure de l’opinion, permettant aux autres d’approcher les antichambres du pouvoir, de se préparer à la cogestion.

On trouvera également à Evian le "contre-sommet off", celui des radicaux, des vrais gauchistes, anarchistes, autonomes. Le sommet leur laissera un bac à sable, pour jouer. Ils feront un village, ou même des villages, pendant trois jours ou une semaine pour montrer que l’on peut vivre autrement. Il n’y aura pourtant aucune réalité à Evian. Ce sera pour beaucoup une projection artificielle pendant trois jours de ce qui restera toute l’année un fantasme. Ce sera pour quelques uns la reproduction artificielle -parce que face au G8 et autres propositionnels, sourds à ce témoignage- d’un équilibre de vie attaché à d’autres lieux qu’Evian.

La plupart manifesteront leur opposition, radicale et non-violente. Ils montreront malgré eux que la démocratie fonctionne, qu’elle accepte la présence des opposants, même les plus turbulents, et qu’elle peut aussi les réprimer lorsque les limites, communément admises, sont dépassées. Ils seront utilisés comme caution médiatique d’un système démocratique que le G8 représente, et qui a besoin d’opposants, fussent-ils énervés dans un bac à sable, pour valider complètement ses décisions.

Messages

  • Tu écris dans un langage très élégant et très intellectuel qui révèle une très bonne connaissance des enjeux, tant d’un côté que de l’autre. Et tu as raison de souligner le fait que les instruments des « alter mondialistes » (ce n’est vraiment pas un bon substantif !) sont inefficaces et, chose encore plus dangereuse, considérés par les G8 comme une valve de sécurité, un exutoire qui canalise la colère des « anti » et, par-là même, clôt toute possibilité d’être dangereux pour le système. C’est vrai, le mouvement est encore très jeune et il doit faire encore un long parcours soit au niveau individuel, soit au niveau collectif.

    Tu as photographié des situations emblématiques à Seattle, moi j’étais à Gênes, ma ville d’adoption, assiégée, défigurée, violée ; j’ai vu les charges de la police, j’ai entendu l’inexorable bruit des hélicoptères sur la tête des manifestants pacifiques, j’ai été glacée par les sirènes, j’ai respiré les lacrymogènes, j’ai vu la sciure qui couvrait le sang de Carlo Giuliani mort dans la place de l’église qui m’a vue enfant. Malgré tout ça, j’ai senti que cet énorme cortège recelait une force immense ; la force de ceux qui, quelque part dans leur cœur et dans leur conscience, savent d’être des justes.

    Oui, il faut être très vigilant pour que cette grande richesse ne soit pas exploitée par le système et par ceux qu’ils croient le combattre, mais qui, au fond, ne font que l’alimenter ou, pire, en devenir le canal par le biais d’une opposition contrôlée d’en haut. Oui, il faut souligner toutes les dérives que le mouvement a la tendance à manifester ; oui, il faut dénoncer l’appropriation illégitime des besoins les plus profondes des gens par des organisations dont la position n’est pas claire, mais je ne parlerais pas de rituels et d’icônes comme si une personne à problèmes psychologiques pouvait voir dans le mouvement la possibilité de projeter ses propres fantasmes, non, je crois dans la sincérité du mouvement à condition qu’il ne s’éloigne pas de la base.

    Donc, il ne faut pas déserter le contre-G8, mais il faut veiller à qu’il y ait une forte participation de cette base, qui propose des vraies alternatives.

    Une pensée de reconnaissance envers Carlo Giuliani, tué par la police au cours des manifestations contre le G8 du 2001 et qui disait qu’il y a ceux qui restent à la maison et ceux qui prennent des risques.

    Une pensée respectueuse à la famille de Carlo à qui on n’a même pas rendu justice ! Il serait de très mouvais goût de lui parler d’icônes et de rituels !!!!

    Maria Vittoria

    • Ton langage est plein d’émotion. C’est bien, c’est beau. Mais au delà des sentiments, concrétement quand tu dis :

      > il faut veiller à qu’il y ait une forte participation de cette base, qui propose des vraies alternatives.

      Quelles vraies alternatives ?

      Celles de Lula au Brésil ?

      Ou dit plus crument : pour quoi est mort carlo ?

      A +

      Paulo Giovanni