Accueil > Libération, le jeu du maillon faible

Libération, le jeu du maillon faible

Publie le dimanche 22 février 2009 par Open-Publishing
6 commentaires

de Dominique Conil

Un pas, minuscule et ravageur, vient d’être franchi dans le hall de Libération. Presque rien, des phrases reprises et répétées, de dépêche en journaux, honteuses : cette fille là n’est pas assez appréciée pour que l’on fasse grève.

Elle s’appelle Florence Cousin, il a fallu que je m’en aille cliquer sur Rue 89 pour trouver son visage masqué, que je me dise, ah, oui, bien sûr, Florence Cousin.

Vingt-cinq ans de maison donc, fin de mandat syndical, et un licenciement sec qui tombe pour faute professionnelle : la dame serait mauvaise secrétaire de rédaction, au terme de trois semaines de formation. La voici couchée dans le hall de Libé, en grève de la faim aujourd’hui encore.

On lit, ici et là. Elle "reconnaît qu’elle n’est pas très populaire sur son lieu de travail" ( rue 89) "Fragile". "Pour beaucoup le scrutin ( rejet de la grève) reflète la faible popularité de la journaliste" ( Le Monde). "Dans le colimaçon du journal, on parle d’incompétence…" Et j’ai lu pire encore. On résume : Florence Cousin n’a pas été élue Miss rédaction de l’année.

J’ignore qui sont les Grands Communicants pressés d’ainsi nourrir articles et dépêches. De pervertir l’information, au demeurant. Ces phrases là sont tuantes. Imaginez : vous ouvrez un journal, vous lisez cela, venu de gens avec lesquels vous travaillez depuis un quart de siècle. Vous ne valez pas une grève…

C’est faux. Des gens se relaient la nuit auprès de Florence Cousin. Dès l’annonce de son licenciement, une quarantaine de personnes se sont mobilisées. Lundi, la rédaction a débrayé trois heures. Louis Sckorecki, longtemps critique à Libé, parti il y a deux ans, prend sa défense sur son blog : http://skorecki.blogspot.com/2009/02/mourir-liberation.html

C’est faux, car le problème n’est pas Florence Cousin. De joyeux incompétents, à tous les niveaux, partis avec de solides indemnités, nous en avons tous connu, à Libé. Mais la donne a changé, fini les « guichets départs », la direction annonce huit ou neuf licenciements contraints, ce qui toujours met une chaude ambiance.

C’est faux, car jeudi, les salariés du journal étaient appelés à voter pour ou contre une grève à propos de ces futurs licenciements. Florence Cousin, ici , est le maillon faible, celle qu’on sort du jeu en premier.

Libé a voté contre la grève, en écrasante majorité. Pour des raisons un peu plus complexes que le taux de popularité d’une journaliste. Evitement pour les uns ( tant que ça ne me tombe pas dessus) et difficulté réelle à faire une grève dans un journal mal portant. Faire grève dans une rédaction, c’est une vraie punition. On se prive de faire ce qu’on aime, on se prive d’article, de page, on a la triste impression d’abimer un outil précieux. Non, pas facile, parfois nécessaire.

Après large écho médiatique et négociations, Laurent Joffrin propose un licenciement indemnisé, une formation réelle et sur plusieurs mois ( qui peut-être aurait dû avoir lieu avant…), un reclassement. Offre temporaire, précise-t’il, puisque la dame sous la couverture rose qui campe dans le hall, une semaine de grève de la faim, refuse. Elle veut pouvoir, après formation, avoir une chance de réintégrer le journal.

Nous en sommes là. Je n’aime guère commenter Libération. Ce que j’avais à dire, je l’ai dit en temps et en heure, à Libé où j’ai longtemps travaillé. Maintenant, l’histoire avec un journal, c’est comme une histoire de couple. Préserver ce qui fut m’importe davantage que commenter ce qui n’est plus. Comme tout le monde, j’ai vu des gens quitter Libé meurtris, cassés, ou aigris. Mais c’est la première fois que je vois, dans le cadre de ce qui est , hélas, un très ordinaire conflit du travail, un dégraissage comme on dirait ailleurs, utiliser l’attaque personnelle, la phrase destructrice pour justifier une faible mobilisation ou comme on l’écrit pudiquement, un « trouble à Libération ». Ca, ce n’est vraiment pas bien.

Photo de JP Quino / flickr

http://www.mediapart.fr/club/blog/d...

Messages

  • encore une prise de position solidaire ! Encore un journaliste qui n’a pas perdu ses principes ! un titre qui résume tout....

    lire pour d’autres détails

    Libération Grève de la faim d’une journaliste contre son licenciement

  • Je trouve fielleux le discours de Médiapart, de Plenel.

    Nous sommes tous des Florence Cousin.

    Si un jour, je faisais grêve de la faim pour pas perdre mon boulot, j’aimerais bien que les copains me soutiennent.

    Surtout quand elle sera partie, ça sera leur tour.

    Et Plenel qui "comprend" cette façon de se tirer dans le pied et de jeter une fille assez désespérée, une salariée au bout, une des cassée du système économique, localement géré par Rotschild.

    Moi, je comprends pas. Et je ne veux pas comprendre.

    Soleil Sombre

    • Plenel ?

      j’ai pas tout suivi ! il s’agit d’un article tiré d’un blog hébergé par Mediapart non ? pas d’un article de Plenel...

      ce qui ne change rien au soutien à apporter à Florence..

    • florence cousin commence demain sa QUATRIEME semaine de grève de la faim .... le silence des medias devient assourdissant
      je m’étais interdit depuis deux semaines tout nouveau commentaire sur la grève de la faim de florence cousin, mais de nouveaux évènements m’obligent à intervenir

      1. risquer de mourir à libération, dans le silence assourdissant de la presse écrite, de la presse télé, des sites et des blogs (même mediapart ne parle plus de florence depuis une semaine, on ne peut même plus répondre au très beau texte de dominique conil ... qui commence à dater) devient intolérable.
      2. il ne s’agit ni d’encourager florence, ni de la décourager ....son combat est un combat moral contre l’injustice qui lui est faite : ça, la direction de libé ne l’a jamais compris ... qui ne communique qu’à coup de chiffres énormes qu’elle aurait promis à florence, ainsi que d’une longue formation, en laissant même entendre -ça ne mange pas de pain- qu’elle aurait d’ores et déjà un poste assuré dans un quotidien national.
      3. pourquoi ne dit-elle pas, outre les violences et les humiliations qu’elle lui fait subir quotidiennement, que la direction oblige florence cousin à payer elle-même les 60 euros de la vite quotidienne d’un médecin ?
      4. la brutalité et le cynisme de laurent joffrin sont légendaires, ils ne me choquent plus, je m’y suis fait ; le cynisme et l’indifférence d’une grande partie de la rédaction de libération sont plus choquants à mes yeux que les méthodes du petit fürher local, qui a de toutes façons d’ores et déjà sa retraite dorée assurée (à radio france ou ailleurs).
      5. me choque au moins autant le cynisme implicite de 99% de la presse française qui n’a qu’un seul discours à la bouche : eh pauvre fille, prend l’oseille et tires-toi ...
      6. je lance un appel solennel pour qu’on relaye ces informations par n’importe quel moyen ; par la parole, par l’écrit, par les syndicats, par une chaîne humaine, par internet ....
      7. courage, florence, contre l’injustice qui t’es faite, on est avec toi, et ON SERA TOUJOURS AVEC TOI ....