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Grimsel : Une usine hydroélectrique... touristique

Publie le mardi 3 août 2004 par Open-Publishing

de Alexander Künzle

Depuis que l’eau est appréciée comme source d’énergie renouvelable et propre, les paysages alpins et les lacs d’accumulation s’harmonisent de mieux en mieux…

Dans la région du Grimsel, les usines hydroélectriques de l’Oberhasli tentent de marier production d’énergie, tourisme, économie agricole et emploi.

Dans la région du Grimsel, à l’est de l’Oberland bernois, d’importantes constructions industrielles rencontrent des paysages grandioses, la plus grande réserve naturelle du canton de Berne. La nature y est préservée, malgré les lacs d’accumulation et les usines hydroélectriques. Ou grâce à eux ?

Ainsi, cette région comprise entre le lac de Brienz et le col du Grimsel, protégée quoique habitée, prend de la valeur en tant que zone touristique « rendue à la nature ».

L’eau, une matière première unique

Depuis plus de 100 ans, les usines hydroélectriques utilisent l’eau, unique matière première de la Suisse. Cette source d’énergie bon marché a permis une industrialisation précoce du pays. Mais la situation monopolistique des producteurs a développé chez eux une mentalité de technocrates, ’mégawatts à tout prix’ !

La construction forcenée de barrages et de lacs d’accumulations a été remise en question dès les années 70 par les défenseurs de la nature. Selon eux, le développement important de cette industrie dans les zones de montagnes est préjudiciable à l’équilibre hydraulique.

Mais, avec les années 90, on s’est rendu compte que ces usines de forces motrices ne sont pas seulement des sources de revenus pour les entreprises actives dans la production d’énergie, mais qu’elles constituent un apport important au niveau touristique.

Leur fonctionnement est aussi de moins en moins remis en question, du fait que l’électricité est tirée d’une matière première renouvelable, sans émission de gaz à effet de serre, et sans production de déchets.

Comparés aux effets environnementaux négatifs des usines thermiques, les effets de la construction de barrages et de lacs d’accumulation représentent un moindre mal.

Roland Künzler montre l’une des turbines de l’Oberhasli. (swissinfo)

Production flexible d’électricité

Selon les experts en production d’énergie, les usines hydroélectriques vivent actuellement une véritable renaissance en Europe. L’intégration de longue date des réseaux européens d’électricité, de même que la libéralisation du prix du courant, ont modifié les mentalités jusqu’au plus profond des Alpes… « château d’eau de l’Europe ».

Pour Roland Künzler, des forces motrices de l’Oberhasli, « la production du courant dans les usines hydroélectriques peut être adaptée à l’envi, alors que ce n’est pas possible dans des usines thermiques ». L’énergie hydraulique permet donc de « couvrir les surcharges de réseau ».

Les usines hydroélectriques servent ainsi à empêcher les « blackouts » dans le réseau européen en équilibrant l’offre et la demande.

Ce qui pourrait avoir des conséquences locales : les forces motrices de l’Oberhasli aimeraient par exemple élever de 23 mètres les murs du barrage de son lac d’accumulation afin « d’assurer un approvisionnement d’appoint pendant la période de forte demande hivernale », indique Roland Künzler.

L’augmentation de la superficie du lac d’accumulation qui s’en suivrait pourrait permettre la construction d’un pont suspendu pour les voitures. Situé à 2000 mètres au-dessus du niveau de la mer, cette attraction touristique remplacerait l’actuelle route donnant accès au col du Grimsel.

Entre environnement et développement

Les défenseurs de l’environnement et de la nature sont confrontés à un dilemme, lié à l’augmentation de la consommation de courant. Un agrandissement des barrages est aussi peu souhaitable qu’une augmentation des importations de courant des pays limitrophes.

Les forces motrices de l’Oberhasli savent quant à elle que leur source d’énergie est renouvelable et préserve donc déjà l’environnement. Mais elles souhaitent aller plus loin et ménager aussi le paysage. Un certain nombre de mesures sont prises pour faire de l’espace alpin une zone attractive pour tous.

Roland Künzler soutient que « les usines hydroélectriques sont associées aux montagnes et aux Alpes, comme l’extraction d’hydrocarbures l’est à l’Arabie et au désert ».

Il désire conjuguer production d’énergie avec paysage, tourisme… et politique régionale. Les forces motrices de l’Oberhasli permettent par exemple la création d’emplois pour ceux qui sont actifs dans l’économie agricole, Elles participent à l’économie locale à hauteur de 40 millions versés en impôts et en salaires.

Haut-lieu touristique

La région du Grimsel, qui recouvre non seulement les hauteurs alpines, mais aussi la vallée jusqu’au lac de Brienz, devient une véritable attraction touristique. Pour le responsable de l’information, Ernst Baumberger, « les forces motrices de l’Oberhasli sont déjà devenues une véritable destination touristique ».

La formule comprend hôtel, hospice, refuge alpin, concerts dans les halles aux turbines, infrastructure pour des congrès, gouffre de cristal, train à crémaillère vertigineux et train d’approvisionnement à travers le défilé de l’Aar.

Ainsi, le complexe hydroélectrique de béton et de mégawatts est devenu un acteur touristique de premier plan, bien intégré dans sa région. Les forces motrices de l’Oberhasli participent de l’attraction touristique de la « région alpine » de Brienz-Meiringen-Hasliberg et attirent chaque année 30’000 visiteurs.

Les passionnés du monde industriel peuvent assouvir leur intérêt grâce aux 6 installations de barrage, aux 9 usines hydroélectriques, aux 29 groupes de machines, de même qu’au 130 kilomètres de galeries d’accès et de passages sous eau.

On pourrait presque parler d’« Energy Park » ou d’ « Energy Valley ». Et ceci d’autant plus que ces usines hydrauliques fonctionnent aujourd’hui encore avec des turbines datant des années 20, qu’il n’est pas question pour l’instant de les remplacer.

Rôle régulateur des lacs d’accumulation

La modification menaçante du climat n’est pas étrangère au fait que les différents acteurs doivent devenir partenaires.

Si les lacs d’accumulation étaient auparavant considérés comme des corps étrangers artificiels dans un monde alpin idéalisé, on reconnaît maintenant le rôle important qu’ils jouent comme bassins d’équilibrage hydraulique. Ils remplacent la fonction que les glaciers ne vont bientôt plus pouvoir assumer.

Dans le temps, les glaciers gardaient les précipitations irrégulières et les rendaient de manière continue en été. Aujourd’hui, ils fondent inexorablement et jouent de moins en moins ce rôle régulateur.

Sans les bassins d’accumulations, l’eau des précipitations envahirait les prairies et gonflerait les lacs et les cours d’eau des vallées. Ces risques d’inondation mettraient en danger les habitants et réduiraient l’affluence touristique.

Des scénarios bien connus par exemple dans la vallée du Pô, au nord de l’Italie, où l’irrégularité des précipitations n’est plus maîtrisée.

swissinfo, Alexander Künzle, Innertkirchen
(Traduction française et adaptation, Thomas Thöni)

http://www.swissinfo.org/sfr/swissinfo.html?siteSect=105&sid=5121179