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Cadarache : le drame "devait arriver"

Publie le jeudi 17 septembre 2009 par Open-Publishing

de DAVID COQUILLE

Justice. Une opération mal préparée, sans chimiste, déclarent les experts.

Surmontant les incidents de procédure à répétition, le procès si longtemps repoussé de l’explosion mortelle à Cadarache en 1994 d’une cuve de sodium radioactif au sein d’un réacteur à l’arrêt a pu se tenir et mettre publiquement en lumière les dysfonctionnements et les insuffisances graves ayant conduit au drame.

L’ingénieur René Allègre, 59 ans, avait trouvé la mort le 31 mars 1994 à la veille de son départ à la retraite et quatre techniciens avaient été sérieusement blessés dans l’effondrement de 300 mètres carrés de plafond du réacteur Rapsodie à l’arrêt et en phase de démantèlement.

Les trois experts judiciaires Max Brun, Hubert Ballée et Bernard Lissonnet, spécialistes respectifs en incendie explosion, chimie et instrumentation, n’ont d’abord pas manqué d’évoquer les obstacles divers rencontrés au cours de leurs investigations au centre d’études atomiques de Cadarache : « difficultés d’accès », « climat délétère », « réponses évasives », etc. « On était tenu à distance. Il a fallu qu’on aille avec un magistrat instructeur pour recadrer », a rappelé Max Brun pour qui tout laissait à penser que « la priorité était donnée à l’enquête interne », celle du CEA.

« S’il y avait eu un chimiste.. »

Sur le fond, l’opération d’élimination chimique d’une flaque résiduelle de 100 kilos de sodium en fond de cuve était très insuffisamment préparée du fait de l’absence de chimistes véritablement compétents pour l’opération délicate et innovante de destruction de sodium par adjonction d’alcoolats. Ainsi de mauvaises mesures de température n’ont pas été repérées. « Aucune étude fondamentale n’avait été entreprise. Cette opération était largement banalisée. S’il y avait eu un chimiste sur cette installation, il aurait probablement dit il y a quelque chose qui ne va pas. On était dans un contexte où l’accident devait arriver dans une situation à risques qui n’a pas été perçue », a dit Max Brun. « La cellule de sûreté n’a pas rempli son rôle en validant sans élément probant », a-t-il ajouté.

Le juge d’instruction Le Gallo n’avait pas dit autre chose à l’issue de onze années d’instruction dans ce dossier signalé et en dépit du non lieu singulier qu’il avait rendu le 13 juillet 2005 dans cette affaire que l’on disait susceptible de nuire à l’opérateur dans des négociations internationales serrées pour l’implantation du réacteur expérimental Iter à Cadarache : parlant d’une « série d’insuffisances », d’ « anomalies », de « processus dangereux de risques mettant en péril la vie humaine et la sécurité des installations », le magistrat instructeur avait lui aussi pointé un « procédé chimique insuffisamment maîtrisé », « une équipe chargée de l’opération faiblement structurée », « une instrumentalisation inadaptée », des « lacunes dans la conduite des opérations », « un contrôle indépendant de la sûreté inapproprié par la direction du Centre de Cadarache », jusqu’au « rôle défaillant de la Direction de la sûreté des installations et de l’Institut de protection et de la sûreté nucléaire ».

« Les alertes étaient criantes »

Pour Laurent Beziz, infatigable avocat de l’Union fédérale des syndicats du nucléaire CFDT constituée partie civile, ce drame est véritablement survenu dans un « contexte d’impréparation totale de l’opération » alors que le phénomène de décomposition organique des alcools utilisés pour dissoudre le sodium dans la cuve RENA 302 avait déjà été signalé en 1988 lors d’un congrès international. En résumé, « les alertes étaient criantes. On allait droit dans le mur ».

Si des vérités ont été dites pour la première fois en audience publique, beaucoup redoutent malgré le récent « sauvetage » du dossier par un arrêt de la Cour de Cassation qu’un nouveau jugement vienne encore frapper d’irrecevabilité les poursuites initiées en particulier par Claudette Allègre, 72 ans, la veuve de l’ingénieur tué. « Je n’ai à requérir à l’encontre de quiconque », a d’ailleurs confessé l’avocat général Yves Granger. C’est dire… « Je trouve particulièrement inadmissible de ne pas avoir de réquisitions du parquet dans un dossier d’une telle exemplarité. Je doute que l’avocat général ait jamais vu de fautes aussi clairement identifiées », s’exclamait Me Laurent Beziz pour la CFDT.

Thierry de Bruyne, représentant du CEA prévenu d’homicide et blessures involontaires, en restait à un « problème parasite et pas un problème de sécurité », devant un « phénomène inattendu, inconnu, jamais constaté ».

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