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Science, not politics

Publie le vendredi 24 septembre 2004 par Open-Publishing


de Nature Medicine

(Note du traducteur : Nature Medicine fait partie de la prestigieuse collection
Nature (Macmillan Publishers Ltd), l’une des plus réputée dans le monde scientifique
et médical. Son comité de lecture est d’une exigence telle que pour un chercheur,
avoir une communication acceptée et publiée par l’un des journaux de la collection
est synonyme de crédibilité, et donne souvent une chance supplémentaire d’obtenir
des fonds. Nature avait pris position en faveur des chercheurs français lors
du mouvement « Sauvons la Recherche » au printemps 2004. Dans l’éditorial
présent
,
il est démontré comment le gouvernement Bush, en privilégiant des courants de
pensée conservateurs, met en danger la lutte contre le sida.
)

Les préservatifs sont inefficaces dans la lutte contre le SIDA. L’avortement
augmente le risque de cancer du sein. Un contraceptif d’urgence, recommandé comme étant
sûr et efficace par deux groupes indépendants de consultants scientifiques, n’est
pas autorisé à être mis sur le marché aux Etats-Unis.


Ce sont justes quelques-unes des positions auxquelles a abouti l’actuelle administration
américaine, qui a ignoré à chaque fois l’évidence scientifique, soit en dissolvant
certains comités de consultants, soit en y plaçant des candidats choisis davantage
pour des raisons politiques que scientifiques.

Elle a restreint la liberté des scientifiques fédéraux à communiquer avec les médias ou avec leurs collègues (note du traducteur : scientifiques fédéraux = ceux dont le travail est financé par le NIH : National Institute of Health, qui dispose d’un budget environ 100 fois supérieur au budget de la recherche en France). Plus récemment, elle a annoncé que le Département de la Santé (US Dept of Health and Human Services : HHS) déterminerait lesquels des chercheurs fédéraux pourraient participer aux commissions de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS).

Lorsqu’un pays aussi puissant que les Etats-Unis prend des décisions, leurs effets se font cependant sentir loin au-delà de ses propres frontières. Cela est apparu de façon évidente lors de la XVème Conférence Internationale sur le SIDA qui s’est tenue en juillet à Bangkok,. Elle a réuni près de 20000 participants, issus de 160 pays, mais une nouvelle mesure de l’HHS a réduit la délégation scientifique fédérale américaine à moins de 50 membres (ref Nature Medicine 10, 657 ; 2004). Comme cette décision a été annoncée après que beaucoup de chercheurs aient déjà prévu participer à la Conférence, des douzaines de sessions -dont certaines lors desquelles des scientifiques américains étaient censés former les chercheurs de pays en voie de développement à l’écriture des demandes de financement de projets et à l’organisation d’essais cliniques- ont été annulées.

La conférence bi-annuelle sur le SIDA est l’un de ces quelques congrès, parmi tous ceux de cette échelle, qui permet aux scientifiques et aux autres personnes en contact avec les patients dans les pays les plus pauvres d’avoir accès à une telle expertise. L’HHS a mentionné le coût du déplacement à Bangkok pour justifier sa délégation réduite. Mais aucune suite n’a été donnée aux offres d’aide financière faites par les organisateurs de la conférence, et la permission d’assister au congrès a même été refusée à un chercheur dont le voyage aurait été payé par un journal en vue.

Même en dehors du contexte de cette conférence, il a été commis dans le domaine VIH/SIDA peut-être la plus grave erreur scientifique de l’administration Bush. En janvier 2003, le Président Bush promettait 15 milliards de dollars sur cinq ans pour la lutte contre le VIH/SIDA. Ce plan met lourdement l’accent sur la vision traditionnelle de la prévention de la transmission du virus basée sur l’abstinence, la monogamie et les préservatifs -pour certains groupes à risque élevé- et consacre un tiers des fonds au financement de programmes de défense de « l’abstinence comme seul moyen de prévention ».

En pratique cependant, l’utilisation des préservatifs a été marginalisée ou complètement abandonnée. Par exemple, les recommandations publiées le 16 juin par les Centres américains pour le Contrôle de la Maladie et la Prévention (US Centers for Disease Control and Prevention) requièrent de la part des organismes qui défendent la prévention contre le VIH et reçoivent des fonds de l’Etat -même si ces fonds ne sont pas utilisés pour ces programmes de prévention- d’inclure dans l’information qu’ils diffusent le « manque d’efficacité de l’utilisation du préservatif ». Comme l’ont fait remarquer beaucoup d’experts lors de la conférence, les femmes et les jeunes filles de pays en voie de développement n’ont souvent pas le choix de l’abstinence, ce qui fait du préservatif la meilleure protection disponible pour elles.

Le plan Bush empêche également l’utilisation de fonds pour l’achat de formes génériques des médicaments anti-rétroviraux. L’explication officielle de cette mesure est que l’Administration américaine de l’Alimentation et du Médicament (US Food and Drug Administration : FDA) n’a pas confirmé la sécurité et l’efficacité des médicaments génériques. Cependant, ces produits ont été validés par l’OMS, qui s’appuie sur des standards approuvés par beaucoup d’organismes internationaux dont le Fond Global de Lutte contre le SIDA (Global Funds to Fight AIDS), Tuberculose et Malaria (Tuberculosis and Malaria), la Banque Mondiale, et Médecins Sans Frontières.

Prendre des décisions par seul souci de se plier à la volonté de courants conservateurs lorsque des millions de vies sont en danger est inconscient. Au cours de la seule année dernière, 3 millions de personnes sont mortes de causes reliées au SIDA, et 5 millions ont été infectées par le VIH, un nombre plus élevé qu’au cours de chacune des années précédentes selon un rapport du Programme Conjoint des Nations Unies pour le VIH/SIDA (Joint United Nations Programme on HIV/AIDS). Le nombre des infections est en train d’exploser en Asie, en Europe de l’Est et même aux Etats-Unis.

Lors de la conférence de Bangkok, des manifestants ont exprimé leur colère en provoquant les officiels américains à presque chaque session, les huant lorsqu’ils mentionnaient l’abstinence, portant sur eux des affiches qui déclaraient « Science, not politics »*, et répétant « No more lies »**.

Mais il vaut mieux laisser de telles démonstrations aux activistes. Que peuvent faire les scientifiques pour changer l’attitude du gouvernement face à la science ?
Le 8 juillet, plus de 4000 scientifiques, dont 48 lauréats du Prix Nobel et 127 membres de l’Académie des Sciences américaine (US National Academy of Sciences), ont envoyé un manifeste à l’administration Bush, l’accusant de manipuler et de détruire la science pour des raisons de programme politique. Le même manifeste avait également été adressé au gouvernement en février par 62 éminents scientifiques. A chaque fois, les officiels ont dénigré la lettre en la qualifiant de fausse et de tendancieuse.

Les gouvernements précédents ont généralement été plus à l’écoute des revendications des militants et des scientifiques. L’administration actuelle n’accorde son attention qu’aux groupes les plus conservateurs. Rédiger des documents qui profitent d’une bonne couverture médiatique est un bon début pour faire émerger les problèmes sur la scène publique. Mais cela n’est pas suffisant.

Les scientifiques doivent s’organiser et faire entendre leur désaccord. Les chercheurs hors du système fédéral doivent s’aligner avec leurs collègues des services publiques et les soutenir dans leur volonté de s’opposer aux mesures du gouvernement. Le plus important est que les scientifiques ne doivent pas permettre à l’administration de passer leurs revendications sous silence. Ce qu’ils doivent faire -et continuer à faire jusqu’à être entendus- c’est clairement et fermement aller contre les décisions faussement orientées par des arguments basés sur l’évidence seule et non étayées par l’argument scientifique. Sans l’artifice de slogans ni d’affiches, les scientifiques doivent trouver leur façon propre de réclamer « Science, not politics. »

* De la science, pas de la politique.

** Assez de mensonges.

Traduit de l’anglais par Valérie - Bellaciao.

Source : http://bellaciao.org/en/article.php3?id_article=3484