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12 hommes meurent de faim ! :"J’ai passé la moitié de ma vie ici, je ne comprends pas"

Publie le mardi 3 mai 2005 par Open-Publishing

A la Bourse du travail à Paris, 43e jour de grève de la faim pour douze sans-papiers.

Par Dominique SIMONNOT

L’affiche est violente : « 12 hommes meurent de faim ! », la situation l’est aussi. Les quarante-trois jours de grève de la faim se lisent sur les visages creux, les cuisses maigres, les alliances qui flottent sur les doigts. Ils sont douze sans-papiers qui jeûnent depuis le 17 mars. Algériens, Marocains, Tunisiens, Maliens. Mariés, ou pas. Avec ou sans enfants. Tous travaillent. Au noir bien sûr et toujours dans les mêmes secteurs : bâtiment, confection, restauration.

Matelas. « Sans-papiers désespérés », proclame une autre affiche, collée sur un des murs de cette salle de la Bourse du travail à Paris. C’est là qu’ils ont été recueillis par les syndicats, après avoir été chassés, le 19 avril, des locaux de l’Unicef qu’ils occupaient (Libération des 31 mars et 19 avril). Les matelas sont rangés côte à côte. Ahmed Bellal, un Algérien, potasse un livre le Code de la nationalité et ses annexes. « Tu me le passes ? », réclame son voisin. « Te casse pas la tête, la loi, malheureusement, ils ne l’appliqueront pas... », souffle Ahmed. Sa femme, enseignante dans une école primaire à Paris, a une carte de séjour. Lui est couturier : « Je suis en France depuis 1992, j’ai passé la moitié de ma vie ici, je ne comprends pas, je n’arrive pas à comprendre pourquoi on me refuse toujours mes papiers. »

Toutes leurs histoires sont extravagantes. Jamel Zenati, marocain, travaille dans le bâtiment, « en France depuis 1984 ». Il a un père de 82 ans qui vit à Bordeaux, « un ancien combattant qui a participé à la libération de la France ». Et Malik, né dans les Ardennes, d’une mère belge et d’un père algérien qui l’a ramené en Kabylie en 1977. Il avait 17 ans. L’Algérie, il ne s’y est jamais fait, il revient à Namur. Expulsé en Algérie, il s’y marie avec une femme née à Lyon, ramenée en Algérie par son père comme lui. Ils ont eu deux enfants là-bas. Lui, technicien en fabrication mécanique, elle enseignante. Quand son père meurt, il pense : « Où est notre avenir ? Nous sommes tous les deux de confession chrétienne, tôt ou tard, les islamistes s’en prendront à nous... » Il vend son terrain, elle démissionne. En 2001, ils sont à Paris. Dans le bâtiment, il gagne « 35 euros par journée de 8 heures à 20 heures, et un patron qui dit "si t’es pas content, j’en ai dix autres demain" ». Son aîné passe le bac l’an prochain, le petit est au collège : « Ils mangent au McDo, vont au musée, au cinéma, ont des copains, ils sont parisiens. Je me bats pour eux ! »

Pareil pour Kamal Harrache, ancien instituteur devenu plaquiste : « Là-bas, je suis rejeté, ici, je n’existe pas. » Bahija Benkouka, ancienne sans-papiers, complète : « Les autorités savent qu’ils sont là, qu’ils travaillent au noir, exploités, mais ils ne les régularisent pas. C’est d’une hypocrisie totale ! » La situation est bloquée. « Il ne peut être question d’une régularisation collective », explique-t-on à la préfecture.

Manu militari. Lassés de ne rien voir venir, inquiets de l’état des grévistes, les dirigeants d’associations (1) ont prévenu, mercredi, le ministère de l’Intérieur de leur venue vendredi pour discuter de la situation. Ils ont été reçus sur le trottoir de la place Beauvau par des CRS : « Ils nous ont dégagés manu militari et escortés plus loin. Je les ai menacés d’une plainte, rapporte Michel Tubiana, président de la Ligue des droits de l’homme. Alors que nous partions vers mon bureau, deux policiers en civil nous ont demandé où nous allions. C’était grotesque ! »

Au-delà de cette brutale fin de non-recevoir, les associations lancent un cri d’alarme : « Le blocage est total, nous n’avons jamais vu ça ! Cela nous remonte de tous les coins de France ! Rien ne passe, les sans-papiers et les militants sont à bout », relate Mouloud Aounit, du Mrap. Et, Marie-George Buffet, a, au nom du PCF, lancé un appel au gouvernement pour qu’il entende « cette souffrance qui dure depuis de trop longues années » et reçoive les représentants des sans-papiers.

Après avoir été éjectées du ministère de l’Intérieur, les organisations ont dénoncé « le refus du ministre de l’Intérieur de prendre en compte la situation d’hommes qui n’ont comme seul tort que de vouloir vivre dignement en France ». Elles avertissent Dominique de Villepin : « Nous le tenons pour personnellement responsable des conséquences graves que peut avoir cette situation sur l’intégrité physique des grévistes de la faim. » C’en est au point que certains, parmi ces défenseurs des sans-papiers, en sont à regretter Sarkozy : « Avec lui, au moins, on pouvait négocier ! »

(1) Gisti, LDH, Mrap, CGT, ATMF 9e Collectif des sans-papiers.

http://www.liberation.fr/page.php?Article=293342