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17 février : Compte rendu d’une journée à Calais
Publie le mercredi 18 février 2009 par Open-Publishing1 commentaire
Ce mardi, nous sommes partis à deux de Lille pour aller rendre une visite aux migrants de Calais, chargés de deux sacs de vêtements. Autant dire qu’on a été vite replongé dans la réalité calaisienne...
Arrivés à la gare, nous nous dirigeons tout de suite vers la Cabina, le lieu de la distrib du midi, en suivant les rails qui mènent jusqu’à la zone industrielle des Dunes. La distribution par la Belle Etoile a déjà commencé et une longue file en escargot de migrants s’étend sur le terrain, tandis que le van de l’association serre l’algeco pour ne pas être dépassé par la foule. On retrouve toujours les mêmes bénévoles, qui imposent leur discipline de façon quasi militaire pour maintenir les migrants les uns derrières les autres. Ils sont alors près de 400 à attendre les maigres vivres distribuées par la Belle Etoile.
Mais cela ne tarde pas à changer, car quelques afghans s’empressent de passer devant tout le monde pour être sûrs d’avoir de quoi manger, ou pour reprendre plus que ce qu’ils peuvent obtenir. En l’espace de quelques instants, les protestations deviennent des cris et les migrants en viennent aux mains. Les erythréens et les kurdes reprochent aux afghans de ne pas respecter les règles, sur quoi la bagarre prend des proportions impressionnantes : les afghans s’opposent aux autres à grand renfort de pierres que les deux partis se jettent à la figure avec virulence. On essaye de s’interposer, de crier et d’appeler au calme, mais les migrants eux-mêmes nous incitent à garder nos distances, tandis qu’une course poursuite commence en direction des rails et derrière les afghans en fuite. Tout le monde se lance des pierres et court dans toutes les directions...
Les bénévoles de la Belle Etoile quant à eux, s’enfuient dans leurs voitures et on ne les reverra plus.
Il ne faudra pas attendre 10 minutes avant que ne déboulent sept véhicules de police, mais heureusement la plupart des migrants sont déjà évaporés. Même les chefs ont fait le déplacement. Ca nous apparait comme une nuée de rapaces prêts à l’assaut, tant leur arrivée a été instantannée. Qui les a appelé ? Mystère...
Pas d’arrestations sous nos yeux, mais les cognes restent stationnées au bord du terrain et attendent les ordres, tandis qu’un groupe d’une quarantaine d’africains (érythréens et somaliens pour la plupart) reste présent. Deux cognes nous contrôlent, insistant lourdement sur le fait que nous sommes en danger à rester sur place. Peu nous importe ; une fois le contrôle effectué, nous nous rapprochons des érythréens et entamons une discussion.
Nous faisons connaissance avec Saïd et Muhammad, deux érythréens. Ils nous expliquent qu’ils ont quitté leur pays à cause de la conscription qui les oblige à quitter leurs études pour faire la guerre contre l’Ethiopie, conflit qui dure depuis 30 ans. Saïd nous dit que tous les autres érythréens sont dans le même cas. Ils n’ont pas de passeurs, ils essayent par eux-mêmes. Certains sont là depuis 4 à 7 mois.
Un iranien est là aussi, ils nous explique qu’il a quitté son pays pour des raisons politiques liées au pouvoir de Ahmadinejad, mais il ne veut pas nous en dire plus. Nous demandons aux érythréens s’il est possible de visiter leur squat qui se trouve juste derrière les policiers, mais ils ne semblent pas emballés : " It’s not possible, you know, we have a big boss..." Ils nous expliquent que les policiers viennent presque chaque nuit, projettent du gaz par les fenêtres, mais n’interpellent personne. Harcèlement ? Méthode dissuasive ?
Après avoir discuté avec Salim, un vieux somalien qui a fuit son pays parce que les milices voulaient le contraindre à soutenir la guerre civile, nous décidons d’aller dans la jungle, en suivant les rails qui mènent à la zone des Dunes. Là-bas, un premier groupe nous dit de partir, mais nous persévérons à travers un premier bois, jusqu’à la zone où sont installés les afghans.
Très vite, nous tombons nez-à-nez avec un véritable village. C’est près d’une vingtaine de cabanes que nous découvrons, alors que nous nous attendions à en trouver une ou deux. Elles sont éparpillées dans les fourrés et s’organisent en plusieurs cercles reliés entre eux par des sentiers.
Après avoir dépassé le premier cercle, nous nous laissons inviter par un groupe d’afghans regroupés autour d’un feu, sous une bâche. Ils sont six, puis huit, à discuter avec nous. Parmi eux, quatre se sont mis en tête de rejoindre la légion étrangère. Ils nous expliquent qu’ils espèrent ainsi échapper à leur exil impossible et obtenir une régularisation. Ils se sont renseignés et savent qu’il leur faut juste un passeport en règle. Ali, 25 ans, marié et père de trois enfants restés au pays, a déjà fait les démarches et attend son passeport qu’il doit rechercher à l’ambassade à Paris. Nous essayons de leur expliquer que ça nous semble être un voeu difficilement réalisable, mais ils n’en démordent pas et posent beaucoup de questions sur la légion française...
C’est Jawed, 24 ans, qui nous sert de traducteur tandis que les plus jeunes s’empressent à re-remplir trois fois nos gobelets de thé au lait (très bon d’ailleurs !). L’un d’eux à 14 ans, mais le plus jeune semble en avoir 12. Nous restons un long moment avec eux...
Finalement, l’un d’eux se propose de nous faire visiter le reste du campement. Bientôt, nous rencontrons un autre groupe, afféré à la construction d’une cabane. Ils nous expliquent qu’ils l’agrandissent, car elle est trop étroite pour eux cinq. Nous assistons avec intérêt à l’édification de la cabane, tandis que Zabihullah, qui parle mieux anglais que nous, s’entretient avec nous. Il nous raconte que sa famille a quitté l’Afghanistan au moment de l’invasion russe en 1979, pour rejoindre le Pakistan. Il a fait ses étude là-bas, avant de retourner près de Jalalabad pour y construire une maison. Mais les taliban l’ont contraint à fuir son pays, comme tous les autres. Il nous dit qu’ils ne viennent pas ici pour s’enrichir, mais pour trouver un endroit vivable. Il a le bras en écharpe : il est tombé du haut de la cargaison lorsqu’un chauffeur lui a demandé de descendre de son camion. Tandis que la construction progresse, nous décidons de continuer la visite...
Nous découvrons alors leur mosquée, construite en hauteur, de façon à s’y tenir debout. Jawed et Zabihullah nous ont évoqué tous les deux leur difficulté pour respecter le culte musulman : ils n’ont pas d’eau pour effectuer les ablutions indispensables lors de la prière. Même s’il est possible de le faire avec la terre, les cinq prières quotidiennes ne sont pas réalisables dans les conditions où ils vivent.
Alors que nous quittons le village, nous croisons trois afghans qui font sécher leurs vêtements au dessus du feu. Ils veulent que je les prenne en photo, rigolent.
Finalement, nous quittons la jungle pour rejoindre la distribution du soir. Avant de sortir, on traverse un grand espace qui sert de terrain de jeu. Quand nous sommes arrivés, ils y jouaient au ballon.
Nous arrivons au quai Paul Dévôt vers 18h10. Les tensions de midi sont tombées et tous les migrants tiennent la file. Toute la longueur du quai est occupée, c’est impressionnant. Les bénévoles de Salam nous disent qu’ils sont 450 ce soir. Nous faisons connaissance avec un parisien, Michel, qui s’est installé à Calais pour l’hiver, afin de venir en aide aux migrants. Sont neveu est venu pour un jour ou deux. Il y a toujours de nouveaux visages, de gens qui découvrent la réalité du littoral.
A 19h, nous quittons les migrants pour reprendre le train pour Lille.
Ce que nous tirons de ces visites sur le littoral, c’est que rien ne change, si ce n’est que tout devient pire. Depuis qu’il n’y a plus de douches et que la Belle Etoile assure une distribution minimale, les conditions de vie des migrants se sont aggravées. La concurrence pour le peu qui leur est donné crée des tensions entre groupes, parfois violentes. La responsabilité de ces rixes, n’en déplaise aux politiques donneurs de leçons et autres xénophobes, n’en incombe pas aux migrants, ni aux passeurs, mais aux autorités, qui par leur ignorance laissent pourrir la situation. Tandis que l’incapable Besson s’oppose lui-aussi à l’ouverture d’un Centre d’Accueil, terrorisé comme beaucoup de politicards fébriles par le mythe de l’appel d’air et des invasions barbares, et que la mairie enchaîne des promesses non suivies d’effet, les associations fatiguent, se bouffent le nez ou abandonnent doucement le terrain. Bien au contraire de ce qui serait raisonnable, le transfuge Besson parle de rendre la zone "étanche" , laissant ainsi le champ libre aux cognes qui se font un plaisir d’augmenter la pression sur les migrants.
Et le "système délation" proposé par Besson fait rire tous ceux qui connaissent la situation. Même Jawed l’afghan souriait à l’évocation de cette monumentale connerie. Mais laissons donc les politiciens véreux dans leur bulle, sur leur pied d’estale doré, car ils ne sont bons que pour nous pourrir la vie à tous. Ils ne viendront jamais en aide à ceux qui en ont besoin et ne réussirons - fort heureusement - jamais à mettre un terme aux flux migratoires, qu’ils soient légaux ou non !
Les migrants sont toujours là et sont toujours autant, quoi qu’en disent les idiots qui nous dirigent, et ils ont plus que jamais besoin de notre soutien !
Quand est-ce qu’on achète un ferry pour les emmener tous en Angleterre ?
ARTICLE AVEC PHOTOS ICI.
Messages
1. 17 février : Compte rendu d’une journée à Calais, 19 février 2009, 09:56
J’espère que vous êtes bien rentrés au chaud