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24 Mars 1999 : les bombardements OTAN sur la Yougoslavie

Publie le vendredi 26 mars 2004 par Open-Publishing



Article paru dans l’édition du 24 mars 1999 de L’Humanite (ici)

UNE DEFAITE POUR L’EUROPE

de JEAN-PAUL PIEROT

La diplomatie aurait-elle capitulé ? Telle était l’angoissante question que l’on
se posait hier soir à l’écoute des déclarations officielles. De celle du Premier
ministre, qui a annoncé que " la France prendrait toute sa part " en cas d’intervention
militaire de l’OTAN en Yougoslavie. De celle du président de la République, pour
qui " il faut constater l’échec de la solution diplomatique et en tirer toutes
les conséquences selon les plans prévus ".

En quelques heures, la préparation de l’opinion à la logique de guerre a pris
des allures de course-poursuite. A Belgrade, l’émissaire américain Richard Holbrooke
dressait un bilan des plus sombres de ses ultimes entretiens avec Slobodan Milosevic.
Les compagnies d’aviation interrompaient leurs lignes vers la Serbie, afin de
laisser tout le ciel aux B 52. Comme au temps de la guerre du Golfe, les noms
de code refleurissent. Après le " renard du désert " parcourant l’Irak, voici " l’oil
d’aigle " qui scrute les Balkans.

Admettre comme inévitables les bombardements sur la Serbie équivaudrait, après
tant d’efforts de dialogue impulsés par la France, à signer la défaite d’une
politique étrangère européenne. A la veille du sommet de Berlin, l’Europe, qui était
parvenue à engager un processus fragile de négociations autour d’un projet de
règlement politique de la crise kosovar, s’apprêterait à céder à la pression
américaine et à renoncer dès que les difficultés deviennent sérieuses. Ce serait
un terrible échec.

Les dirigeants serbes, qui ont depuis dix ans tenté de détourner le mécontentement
social en agitant des leurres nationalistes, se trouvaient dans un piège d’où,
finalement, ils ne pourraient sortir qu’en reconnaissant l’autonomie du Kosovo.
L’annonce d’une intervention occidentale vient à leur secours : ils n’auront
aucun mal à présenter la Serbie comme une victime à un peuple serbe frappé par
les bombes, et à essayer de " justifier " de nouvelles exactions.

Les hésitations entendues ici ou là à Washington sur les conséquences redoutées
d’une intervention sont justifiées par le niveau de préparation et d’armement
d’une armée yougoslave bien supérieure aux troupes de Saddam Hussein. Les mensonges
entretenus sur la guerre chirurgicale ne sauraient tromper davantage. Une fois
de plus, ce seront les populations civiles, serbe et albanaise, qui paieront
le prix du sang. Une action militaire de l’OTAN serait illégale, puisque engagée
sans décision du Conseil de sécurité de l’ONU et sans qu’il y ait eu, contrairement à la
guerre du Golfe, d’agression contre un Etat souverain. Si les Etats-Unis parvenaient à entraîner
l’Europe dans une opération contraire aux règles internationales, ce serait un
bien mauvais signe pour l’Europe en construction. Les faux prophètes de la Grande
Serbie et les aventuriers de la Grande Albanie auraient encore de longs jours
devant eux.

25.03.2004
Collectif Bellaciao