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ATTENTION, POISON VIOLENT : LE PIEGE DE L’ELECTION PRESIDENTIELLE
Publie le vendredi 18 août 2006 par Open-Publishing1 commentaire
Par Marc Mangenot
(un des animateurs de la Fondation Copernic)

L’élection présidentielle « à la française » est un véritable poison politique. C’est un poison d’autant plus violent que cette élection est populaire. Le peuple serait-il friand de poison ? Certes, il est souvent drogué, consentant ou non : alcool, bagnole, religion, feuilletons spécieux, et bien d’autres. A petites doses, ces poisons potentiels peuvent être des plaisirs. Mais pourquoi donc ce poison qui tue la République et la démocratie, pourtant bien loin d’être parfaites, est-il prisé à ce point. Les raisons en sont simples. Tout d’abord il n’y a pas de doses contrôlables. L’injection est massive et d’effet durable. En effet, une majorité d’électeurs estime plus importante cette élection que toutes les autres réunies. Diable (si je puis me permettre) ! Car, la présidence de la République française apparaît comme le lieu central du pouvoir. Mieux alors vaudrait, peut-il sembler, se déterminer, ou se déterminer d’abord ou avant tout, sur ce terrain que sur d’autres. Cette manière de voir n’est malheureusement pas fausse, tant la Constitution de la République cinquième que les pratiques successives de tous les occupants de la fonction en ont conforté la prééminence, y compris, avec quelques nuances, mais toujours au profit de l’exécutif, en période dite de cohabitation. Toutefois, croyant peser sur les événements futurs, la majorité des électeurs (considérés comme des consommateurs de slogans et non des citoyens) renforce le côté pervers de l’élection et de la fonction présidentielles. Il est absolument nécessaire de se démarquer de cette posture dangereuse et ruineuse pour toute démarche ou pratique émancipatrice et démocratique.
Les travers de ce mode d’élection peuvent être ramenés à quelques éléments essentiels. En premier lieu, par un vote direct de l’ensemble des électeurs, est en quelque sorte légitimé l’octroi de pouvoirs (très et beaucoup trop) importants entre les mains d’une seule personne. En second lieu, et conséquemment, se trouve renforcée la primauté, déjà excessive par ailleurs dans l’ensemble institutionnel français (1), de l’exécutif sur le délibératif. En troisième lieu, c’est offrir un boulevard aux démagogues et aux « marchands » de slogans politiques. Lors de cette élection, le champ politique est en effet traité à la fois et plus que jamais comme un marché et comme un spectacle. Le ci-devant citoyen, après avoir assisté au spectacle est sommé d’acheter (de donner sa voix au plus clandestinement persuasif, pour reprendre une formule de Vance Packard). Toute élection est une occasion pour les démagogues et les partis de l’ordre imposé de se manifester, mais celle-ci, par sa forme, plus que toute autre.
La gauche, celle qui se définit « anti-libérale », se doit de prendre position. Elle a redonné l’espoir avec la victoire du non au référendum sur le projet de traité constitutionnel européen. Ce rejet d’un projet européen antisocial et antidémocratique a ouvert le champ des possibilités, et a participé de la victoire contre le gouvernement qui a dû retirer le CPE. Ce résultat positif est aussi, et justement, le fruit d’un long, patient et systématique travail d’explication et de réflexion mené en commun par des dizaines de milliers de gens. Loin des slogans. Loin des démagogues. Loin des puissants et de leurs complices.
Si cette analyse est correcte, elle devrait conduire à privilégier les élections aux assemblées délibératives. Autrement dit, et beaucoup déjà se sont exprimés dans ce sens, la participation à l’élection présidentielle doit être subordonnée aux élections législatives et municipales. Comme le référendum européen, la gauche de gauche devrait s’organiser, avec ses propres moyens et ses propres forces, pour mener une campagne pour la démocratie et pour le rééquilibrage des pouvoirs, spécialement entre exécutif et législatif. Une telle campagne porterait à la fois sur la critique de la remise de pouvoirs exorbitants dans les mains d’une seule personne, sur le poids excessif des exécutifs, sur les modes d’élection, sur la participation citoyenne. Elle aurait pour mot d’ordre « une autre constitution, pour une république (réellement) sociale et démocratique ». En ce sens, elle servirait de pré-campagne aux élections législatives. La « Charte pour une alternative au libéralisme », fruit d’une élaboration collective large, constitue un des éléments du débat nécessaire, populaire et citoyen, sur le fond.
Dès lors, la campagne présidentielle aurait un quadruple objectif : mobiliser et organiser le débat sur les grandes orientations ; contester le mode d’élection et mettre en débat une réforme constitutionnelle ; devancer le ou la candidat (e) soial-libéral(e) , et préparer les élections législatives unitaires, ainsi que les suivantes (municipales). L’actualité, nationale, européenne, internationale, conduira, bien entendu, à ajuster les thèmes de campagne.
Il y a bien sûr la délicate question du choix de la personne qui représentera la gauche, unie comme elle l’a été durant la campagne contre le traité constitutionnel européen, c’est-à-dire contre l’institutionnalisation de la domination du capital sur ce demi-continent. Bien des éléments sont à prendre en considération avec soin : l’importance des partis, mais aussi celle des citoyens organisés en centaines de comités locaux ; l’absence de concessions au social-libéralisme et aucune alliance avec lui, ce que n’est pas le désistement républicain.
Il reste beaucoup à faire (nous sommes début août). Mais c’est seulement dans l’hypothèse où la gauche sort du piège de l’élection présidentielle et s’engage collectivement pour changer la politique dans ses orientations et dans ses pratiques, que les objectifs résumés ci-dessus pourront être atteints. Et ils peuvent l’être.
(1)La prééminence de l’exécutif est redoublée dans les institutions de l’Union européenne
Messages
1. > ATTENTION, POISON VIOLENT : LE PIEGE DE L’ELECTION PRESIDENTIELLE, 18 août 2006, 21:10
Une autre manière d’éviter "le piège" consiste à émigrer dans un autre pays, ou bien, mieux encore, sur la planète Mars...
C’est à dire : j’ai beaucoup de mal à comprendre l’intérêt de telles "mises en garde". Il me semble que cette manière de voir suppose qu’on oublie l’essentiel : nous combattons, nous combattons des adversaires extrêmement puissants, sur un terrain que nous n’avons pas choisi.
Mère des batailles ou pas (pour reprendre la formule du commentaire précédant), l’élection présidentielle est en tous cas...UNE bataille.
Est-elle à mener ? On peut le nier, pour les raisons que nous donne Marc Mangenot, par exemple. Est-elle à mener ? Je le crois.
Que pouvons-nous y gagner ? Une prise du pouvoir par la gauche anti libérale (ce qui suppose une victoire doublée d’une autre, aux législatives) ? Cela m’étonnerait !
Plus facile : que pouvons-nous perdre à ne pas participer à cette élection, ou à y participer en ordre dispersé ?
Etant donné la victoire du NON, un tel fiasco serait très dommageable. Il enfermerait les "radicaux" dans la sphère des "bavards militants", qui savent manifester, qui savent dire NON, mais ne sont décidément pas capables de mettre en avant un projet, ni de s’unir pour le faire au moins entendre !
Et voila ce que nous pouvons y gagner : poser les linéaments d’une force politique alternative, pourvue d’un projet et produisant, du point de vue organisationnel, une transformation de la gauche française.
C’est énorme.
Et cela, nous pouvons le gagner aux présidentielles, pas aux législatives, puisque l’absence de proportionnelle nous interdit de conquérir sans alliances une quelconque représentativité.
Etrange retour de bâton d’un dispositif contre lequel la gauche de l’époque (et j’en étais) s’est mobilisé, au motif qu’il était en effet de nature "plébiscitaire". Et alors ? Ainsi va la vie politique avec ses surprises.
Le référendum aussi, ami Mangenot ! favorise les démagogues ! Et cette fois, il nous a favorisé, nous les tenants du NON. On peut aussi "reprocher" au référendum de favoriser la confusion politique, puisque Le Pen, Fabius et José Bové ont fait campagne pour le NON à partir de convictions politiques certainement différentes... Et alors ?
C’est seulement sur la planète Mars que la politique est claire et pure, sans alliances, sans compromis, sans ambiguités.
Mais c’est dans mon pays qu’il y a trois millions de chômeurs, six millions de chomeurs et de précaires, dix millions de gens qui sont dans la pauvreté.
Alors si j’ai l’occasion de porter un coup, de marquer un point, de faire un pas, je suis d’avis de le faire. Cela suppose de jouer clairement et sans réserves le jeu de la présidentielle, raison pour laquelle, depuis presque un an, je milite pour un candidat unique, le seul qui puisse l’être, José Bové.
José Bové deviendra-t-il un "bonaparte" ? je ne le crois pas. Mais c’est possible ! On avisera alors ! Pour le moment, il ne convient pas de faire les difficiles !
jp boudine