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Affaires jaunes

Publie le lundi 16 avril 2007 par Open-Publishing

de Enrico Campofreda traduit de l’italien par karl&rosa

S’il y a une façon schizophrène et factieuse de vivre la globalisation, Letizia Moratti l’incarne parfaitement dans sa double mentalité de femme politique et d’entrepreneur. En tant que maire de Milan elle a amorcé cette incompréhension entre hommes et communauté que représente le non sens du peuple planétaire globalisé.

La révolte du Chinatown milanais contre ses vigiles qui sanctionnent et qui frappent naît d’une incommunicabilité du vivre en hausse exponentielle partout, mais qui – dans la version Moratti – exaspère en creusant des sillons profonds comme des canyons.

Nous avons assisté à une rébellion contre l’hypocrisie des comportements avant qu’aux amendes, au « deux poids et deux mesures », car ceux qui hurlaient au coin des rues Paolo Sarpi et Bramante n’étaient pas des Albanais ou des Nord-africains désespérés – qui peuvent tout au plus commettre des délits mais qui jusqu’ici ne protestent pas – mais, au contraire, des jeunes de la communauté la plus fiévreusement laborieuse, les épigones du dragon voués au dollar ou à l’euro avec un zèle sans égal. Depuis des années le capitalisme occidental jacasse d’envie de marché très libre et, à l’est européen d’abord et en extrême orient ensuite, le capital mondial a relancé une entreprise canaille et sans règles, même pire que celle racontée par Dickens.

Chez nous, aujourd’hui encore, des catégories appréciées comme celles des entrepreneurs et des commerçants se plaignent des entraves, des taxes et des impôts étatiques étranglant leurs activités. Ils réclament des espaces libres, ils veulent zéro contrôles et la déréglementation. Ils souhaitent se volatiliser et, fiscalement, ils y sont arrivés. Mais si à l’horizon apparaît quelqu’un qui fait davantage d’efforts et qui, comme les immigrés chinois, rachète des entreprises et des boutiques, les relance, travaille jour et nuit jusqu’à l’asphyxie, à l’obsession, en frôlant l’aliénation, alors cela fait tourner la tête des capitaines d’industrie – plus habitués aux commandes facilitées par les pots-de-vin qu’à la vraie concurrence. Ainsi, par le biais d’entrepreneurs amis prêtés à la politique comme Madame Letizia, ils réalisent des revanches transversales ou directes, des amendes ethniques aux ambulants étrangers et pas aux ambulants italiens, des contrôles à sens unique des magasins pour voir si les nem sont mangeables tandis que les cannelloni rances du traiteur d’à côté gisent tranquillement dans de lugubres poêles.

On ne crée sûrement pas de fractures diplomatiques à cause de quelques amendes. Mais si aux amendes suivent des fractures de bras et que l’on croit résoudre des questions de cohabitation et de respect des lois d’une façon vexatoire voilà que, comme pour les fiers petits Chinois de la via Paolo Sarpi, on fomente l’idée de persécutions personnalisées. Les commerçants et les entrepreneurs chinois ne plaisent pas aux commerçants et aux entrepreneurs italiens, parce qu’ils travaillent pour eux-mêmes en exaspérant – même en dépit des règles – les principes du capital. Des principes basés sur le super travail et la super exploitation, sur les arnaques de la clientèle et, disons-le, sur de petites et grandes escroqueries. Précisément comme les Occidentaux et peut-être plus. Marco Polo l’avait appris il y a désormais huit siècles.

Et alors, Madame Moratti, pourquoi s’acharner contre les chargements et les déchargements irréguliers des marchandises via Paolo Sarpi si via Montenapoleone aussi on décharge en dehors des horaires et sans acquit-à-caution ? Nous ne voulons sûrement pas exalter l’illégalité, les lois doivent être respectées, mais par tout le monde. « Aucune zone franche » dit le maire, aucune pour personne, que ce soient des Chinois ou des Milanais. C’est ce que réclamaient les gars orientaux à l’accent désormais lombard qui poursuivent depuis des années la logique du profit dans ce coin de la ville, grâce aussi aux licences concédées à foison par ce supporter du Milan qui vend qu’a été le maire précédent, Albertini.

Du vendez et multipliez-vous d’Albertini et de Formentini, en se limitant aux maires des trois derniers lustres, on passe à la régulation forcée et force italique où, derrière le masque des devoirs d’autrui, la xénophobie et la sinophobie se poursuivent rageusement. Par-dessus le marché – l’affaire n’est pas terminée du tout et la cendre peut couver longtemps sous le feu si les gouvernants les plus sensés ne décident pas à se réveiller de leur torpeur – les marchands de Chinatown agitaient des drapeaux rouges, un cauchemar pour le boutiquier de chez nous et pour sa représentation administrative de service. Ils chantaient l’hymne maoïste (« Chinois, levez-vous »), mais dans la version capitaliste imposée par Deng il y a des décennies qui n’a rien de communiste et ne conjugue que la marchandise et l’argent avec la nation. Une nation de 1 milliard et 350 millions d’habitants voulant s’enrichir. Et cela, de Wall Street à Milan, fait plus peur que le communisme.