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Agent Orange, Chronique 1
par André Bouny
Publie le mardi 15 janvier 2013 par André Bouny - Open-PublishingMon intention n’est pas de réécrire ici mon livre Agent Orange, Apocalypse Viêt Nam (Éditions Demi Lune, Collection Résistances, Paris, 2010), mais la tenue d’une chronique mensuelle sur l’actualité du sujet. Mon ouvrage étant paru le 5 juin 2010, « Journée Mondiale de l’Environnement », je vais donc démarrer ce périodique à partir de ce mois.
Le 1er juin 2010, dans Environemental Health Perspectives (ehp), à la rubrique « critique de livres », Jeanne M. Stellman et Steven D. Stellman (1) signent une analyse du dernier ouvrage de Alvin L. Young parut chez Springer, New York, fin 2009, sous le titre : The History, Use, Disposition and Environmental Fate of Agent Orange.
Tout d’abord, il convient de préciser qu’Alvin Young a joué un rôle majeur dans la mesure et le suivi des « herbicides » depuis les années 1960. Aujourd’hui, retraité de l’armée de l’air (AF), il bénéficie de l’appui des ex-fabricants d’agents chimiques utilisés au Viêt Nam, Dow et Monsanto, et Young reste un porte-parole gouvernemental dans les relations post-conflit avec le Viêt Nam. Son « nouveau » livre sur la question, une compilation de recherches méconnues et de renseignements précieux, largement ravis à d’autres auteurs, aussi bien en ce qui concerne le contenu du texte que les illustrations photos, cela sans en mentionner les emprunts, constatent en premier lieu les Stellman. Ces derniers mettent en garde sur les citations sorties de leur contexte, comme sur les propos d’auteurs « mal interprétés ». Par exemple, les estimations du « Rapport Stellman » à partir d’archives militaires retrouvées concernant des plans de vols d’épandages. Par ailleurs, pour Young, il semblerait que la science ait pris fin dans les années 1970 et début des années 1980. L’île Johnston, lieu du dernier repos de la plus grande partie d’Agent Orange stocké au Viêt Nam avant son incinération en mer par le navire incinérateur « Vulcain », n’aurait pas connu de problèmes importants selon Young. Pourtant, une réévaluation de1986 d’Air Force trouve une teneur marine maximale de 472 ppm de dioxine TCDD, le sous-sol allant jusqu’à 510 ppm, et 682 247 ppm de 2, 4, 5-T (Huse G, et al. 1991. Préliminaires de la santé publique, des risques environnementaux, et Exigences relatives aux données d’évaluation pour le site de stockage d’Agent Orange à l’île Johnston Brooks Air Force Base, TX : Direction de la santé au travail et environnementale).
Certaines affirmations de Young contenues dans le livre sont de mauvaise foi ou bien contredisent ses travaux antérieurs, ajoutent les auteurs de cette recension qui concluent « Si il y a une chose que ce recueil de documents réimprimés nous montre, c’est qu’existe une grande quantité de données qui peuvent être utilisées pour répondre aux nombreuses questions ouvertes sur l’environnement. »
Il semble indiscutable que les propos et les travaux des Stellman ont une tonalité d’indépendance inversement proportionnelle à celle de Young.
Le 7 juin, The U.S. Environmental Protection Agency (EPA) publie un projet de rapport scientifique sur les risques d’exposition à la dioxine en réponse aux commentaires et recommandations de la National Academy of Sciences (NAS), visant à réévaluer les enjeux liés à la toxicité des dioxines dans le but de protéger le public étasunien. La voix de Lisa P. Jackson engage l’EPA à mener une réévaluation scientifique de qualité, intègre et transparente, des risques d’exposition de ses compatriotes par un groupe d’experts scientifiques convoqué par le Conseil consultatif scientifique de l’EPA. Un projet d’étude très attendue. Et surtout, ce projet scientifique sera soumis à un examen externe par des pairs indépendants. L’Agent Orange est passé par là. Car on connaît les interventions du lobby et se souvient des actions d’empêchement du Président Reagan lui-même ayant demandé à des scientifiques de ne pas établir de lien entre la dioxine de l’Agent Orange et les pathologies des vétérans U.S.
Le 16 du même mois, un groupe Vietnamo-Étasunien (US-Vietnam Dialogue Group on Agent Orange/Dioxin), créé en 2007 par la Fondation Ford (constructeur automobile), une organisation privée basée à New York, coordonnée par l’Aspen Institute (association privée de recherche basée à Washington), annonce qu’une somme de 300 millions de dollars (étalée sur 10 ans, soit 30 millions annuels) pourrait prendre en charge une part significative des retombées de l’Agent Orange au Viêt Nam. Le Président George W. Bush, lui, avait parlé de 3 millions de dollars seulement, par la suite, il fit preuve de largesse en annonçant 6. Dans un premier temps, Barack Obama annonça 9, avant que les bruits de couloirs du Congrès murmurent 12. Seulement, l’Aspen Institue est une organisation qui n’a aucun pouvoir décisionnel, et pas davantage économique. Mais son annonce, colportant une image positive des États-Unis d’Amérique, est reprise à l’unisson par les médias internationaux, alors qu’elle n’est et reste qu’une recommandation. Cependant, le chiffre ronflant de 300 millions de dollars sur 10 ans se dégonfle au regard des 13 milliards de dollars du budget 2010 du Département des Vétérans étasuniens pour les seules victimes de l’Agent Orange qui ne sont « qu’un peu plus de » 200 000, en comparaison aux millions de victimes vietnamiennes, notre esprit n’ose même pas songer au coût supplémentaire d’une décontamination à l’échelle du pays.
Dans la foulée, le 28 juin, le Programme des Nations unies pour le Développement (PNUD) dévoile un projet de 5 million de dollars pour la décontamination de l’Agent Orange… le projet se concentrera sur l’aéroport de Bien Hoa, situé au nord de la capitale économique Ho Chi Minh-Ville (ex-saigon). Un des sites les plus contaminés, selon l’ONU : “La concentration de la dioxine dans les trois principaux sites (2) est bien plus élevée que ce qu’autorisent les standards nationaux et internationaux”, a affirmé le PNUD dans un communiqué.
“Si aucune action n’est entreprise, les sites continueront de contaminer l’environnement autour et à poser un grave problème de santé à la population vivant et travaillant dans les environs”, a-t-il poursuivi.
Le ministère vietnamien des Ressources naturelles et de l’Environnement dirigera le projet financé par le PNUD avec une organisation indépendante, la Global Environment Facility.
L’an dernier, un responsable vietnamien avait indiqué qu’Hanoï avait déjà dépensé cinq millions de dollars pour la décontamination de Bien Hoa. Nettoyer les trois anciennes bases américaines pourrait coûter jusqu’à 60 millions de dollars, avait-il ajouté.
Les États-Unis se concentrent sur le site de Danang, où la décontamination devrait commencer en 2011, a indiqué en mai un responsable américain.
Á cette époque, au-delà de ces déclarations, nous savions déjà que les sommes annoncées étaient non seulement insuffisantes mais ridicules. Une façon d’amorcer la pompe dirons-nous.
À cette même date, une étude d’endocrinologues associés de l’Université Buffalo de New York (Dr Toufic Abdo, David Kasinski, Amy O’Donnell, et Stephen Spaulding) portant sur 224 048 vétérans montrait que les anciens combattants ayant été en contact de l’Agent Orange (23 939) développaient plus souvent la maladie de Basedow (maladie auto-immune de la thyroïde) que ceux qui n’avaient pas été au contact du poison (200 109) : “Nos résultats montrent que les anciens combattants du Viêt Nam en contact avec l’agent Orange sont plus susceptibles de développer la maladie de Basedow que ceux qui n’y ont pas été exposés. » explique le Dr Ajay Varanasi. Et ajoute : “La maladie auto-immune a été trois fois plus fréquente chez les anciens combattants qui ont rencontré la substance chimique contenant des dioxines. »
(1) Jeanne M Stellman est professeure émérite, École de santé publique de l’Université Columbia. Elle a été chercheur principal de Académie nationale des Sciences sur l’Agent Orange au Viêt Nam (Rapport Stellman). Rédactrice en chef de l’’Encyclopédie de la santé et sécurité au travail (4e éd.) Elle est actuellement professeur à l’Université SUNY Downstate Medical Center, à Brooklyn, New York. ; Steven D. Stellman est professeur d’épidémiologie, École de santé publique de l’Université Columbia. Il est titulaire d’un doctorat en chimie physique.
(2) Danang, Bien Ho et, entre les deux, Phu Cat.